Aujourd’hui,
il paraît,
c’est le Printemps des poètes.
Alors ça frémit dans les salons
les anthologies tortillent du battement de cil sur l’éphémère des gondoles
on est tous un peu powètes quelque part
toutes un peu powètes aussi
(je voudrais « powète » comme « artiste », un et une
dans le même coffret de lettres tressées qui lui sert d’écrin)
Aujourd’hui,
il paraît,
c’est le Printemps des poètes.
Ceci est une pipe.
Mais tout le monde sait bien que ceci n’est pas une pipe. Même sans la légende, Magritte arrête ton char, on a compris. On n'a pas besoin de stabilo. On n'est pas des crétins.
Ça n’est pas vraiment ça, « une pipe ».
Je nous laisse ricaner.
Depuis nos natures mortes.
Nos indécences notoires.
Notre pornographie confiscatoire
de plaisir.
Nos selfies de pipe arrière-plans floutés.
Nos powèmes tête de gondoles
vernissages et musées
morts avant que d’être nés.
Ceci est un printemps.
Mais ce n’est pas un printemps.
Ceci est un powème.
Mais ce n’est pas un powème.
Ça n’est pas vraiment ça, « un powème ».
On en a plein la bouche.
Ça saigne la métaphore comme la guerre est jolie.
On a cadenassé Mahmoud Darwich dans les livres.
On a fait taire Ferlinghetti en lui donnant de l’éloge funèbre.
Les belles dissidences sont des tulipes en soliflore.
Fadwa Souleimane est morte.
Léo Ferré ruisselle de cheveux blancs sur nos âmes empapaoutées de morgue et d’ennui
Pourtant on sait
c’est de notoriété publique :
On devient poussière quand on quitte la gueuloire.
La grande gueuloire où il ferait bon s’envoyer des vers à la figure
et des verres au comptoir
sans attendre un retour de notoriété
sans se draper d’écharpes rimbaldiennes
sans remettre ses chaussures après la performance inspirée qui fait genre « elle a pas de chaussures »
sauf que c’est seulement « genre »
en vrai, des chaussures, elle en a
pas comme les gosses de Mada
« dis, pourquoi ils ont pas de chaussures ? »
« c’est parce que c’est le printemps des poètes, petit »
La grande gueuloire s’est QR codée la gueule : veuillez présenter votre passe-porte et vous déchausser à l’entrée. Seul·e·s les powètes agréé·e·s seront habilité·e·s. Veuillez présenter votre convocation. Les petits fours ont été au préalable plexiglacés et hydrogélifiés. Servez-vous. Nos hôtes et hôtesses sous casque circulent et veillent à votre approvisionnement. Le public est hygiénique et à usage unique. Vous pouvez le jeter après usage.
Je les ai vu·e·s faire la queue
dans le rang
devant la gueuloire sympathique
les powètes
se congratulant et check le poing pour un coin de table partagé
ô l’anthologie
ô je signe mon ouvrage
ô que la guerre est jolie
tandis qu’Ashraf Fayad
attend l’ouverture de sa cage
(peut-être en 2023 ? quelqu’un a des nouvelles ?)
gentiment
avec pourtant
ses instructions à l’intérieur
pour si jamais
on apprenait à lire dans l’intervalle
Aujourd’hui,
il paraît,
c’est le printemps des poètes.
Alors je vais boycotter
les salons,
les chaussures,
les passe-portes,
les églises de la générosité qui transpirent le don miel putride échappé de l’abcès trop énorme de nos retenues assassines
- Calais crève dans nos franges dans des toiles éventrées
mais le powème est à nos portes qui répare -
dit-on
- la poésie sauvera le monde -
dit-on
Alors aujourd’hui
je vais faire des paquets
de powèmes tout petits
et je vais les envoyer par la poste
pour des gens
cadeau
même pas des réfugiés
ou si peut-être des réfugiés
même pas des sans papiers
ou si peut-être des sans papiers
même pas des sans-maisons
ou si peut-être des sans-maisons
je n’enverrai pas de produits de première nécessité
pardon
la première nécessité
ce serait
peut-être
parfois
un peu de dignité comme un cautère sur langue de bois
un peu de silence
pour trinquer aux blessures du monde
qui se remettra de notre sauvagerie
et à la santé de tes trente ans
fillette
j’aurais voulu t’offrir
peut-être
autre chose
le jour où je t’ai mise au monde
mais aujourd’hui,
tu vois
c’est silence
et powème pour tout le monde
je t’aime