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Billet de blog 22 février 2022

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CHAP'TI VA LOIN

Poème de campagne

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Ce qui compte

c’est pas seulement la taille du poireau

c’est

comment il a grandi

c’est

comment le voisin partage sa récolte

(bio, sur terre labourée)

et puis comment toi tu nourris ton sol

ou plutôt comment tu le laisses se nourrir tout seul

sans l’éventrer

en le chouchoutant sous la main cajoleuse de la paille

sans rien y faire

(bio, sur sol pas labouré)

seulement pour l’instant, t’as rien à donner au voisin

tes ptis poireaux font tout juste kémia vapeur et vinaigrette

les siens font potage ou asperges du pauvre, mais ils font tout un plat.

Il t’en donne à foison : « t’as qu’à mettre tes bottes et prendre ma fourche et hop, au champ, camarade, le marché est à tes pieds, sers-toi, j’ai un cent de poireaux de trop, ma mère ne cuisine plus »

Bon.

Entre le dire et le faire, y a tout un univers

et ça tombe bien

« Chap’ti va loin »

elle dit, Madeleine, la maman du voisin

depuis sa toute petite silhouette en cristal

qui ne peut plus trottiner

qui ne peut plus planter les poireaux

qui ne peut plus cuisiner

qui regarde tes zones de culture

encore glabres de vert

c’est normal, c’est l’hiver

crottinées, paillées, bichonnées

en vue du printemps qui va ramener sa fraise

bientôt

un poil interrogative

« C’est pour quoi faire ? »

tu dis

« Je laboure pas. J’essaye. Je vais planter là. On verra bien. »

elle dit

« Bah oui. Pourquoi pas ? Y a plein de façons. Y a pas de raisons »

tu dis

« Pour l’instant, j’ai fait que préparer les zones »

elle dit

« Faut bien commencer par un bout. Chap’ti va loin »

On verra cet été si les courges y poussent dodues.

Les aminches de Graines de troc ont dit « tout accès à la terre se fête »

Alors on fête.

Tes poireaux minuscules et tes zones de culture glabres.

La fourche qui te pousse en travers de la main

à la place d’un manche de guitare.

« Les ails qui sont nées » comme elle dit Madeleine

Tes médiators qui jonchent le sol comme des pétales de coquelicot, tombés

(Je t’aime un peu beaucoup passionnément)

et ta marmite norvégienne.

On fête.

À la salade, je suis malade, c’est l’hiver mais les semis lèvent tout doux

quand même

nonobstant les aléas

de la constitution

des simagrées médiatiques

des infiltrations sournoises de groupes fermés presque placides pour distiller des murs, des barbelés et de la haine enragée (comme si la vache ne suffisait plus)

alors

il perle des boucs-émissaires au bout de l’alambic, tu parles d’une liqueur !

Mais on ne boit pas de ce pain-là

ici

chez les gens de peu, comme on dit,

ou de pas grand-chose

les bac moins quelque chose

Ici, quoique maigre, la pension de retraite baisse encore d’un millimètre

- y a pas de petits profits pour l’État scélérat -

nonobstant

les gens de peu

partagent les poireaux et les œufs, y a pas un micro-gramme d’intolérance pour distiller du bouc-émissaire

pendant ce temps, par journalistes interposés, les couteaux dans le dos

les duels fratricides qui n’ont de frère que dalle

les empires médiatiques, main basse et torsion les cerveaux, neurosciences à l’appui, rho, les belles synapses

versant papier glacé pour la haute,

versant taupe-fiel-troll pour le populo

Nonobstant, donc,

nous, les œufs, les poireaux

à la laitue, rien n’est foutu

à la tortue, rien n’est perdu

le printemps se lève en avril

comme les salades, les radis,

les prunelliers déjà sont en fleur

les fèves et l’ail sont debout

on n’attend plus que nous

nous, tout le monde,

c’est te dire si ça en fait,

les gens de peu

ils sont beaucoup.

« Chap’ti va loin », elle dit, Madeleine

en attendant on partage les savoir, les savoir-faire

mine de rien

les cultures, les poireaux, les chansons, le patois saintongeais,

(j’y entrave que dalle pourtant)

c’est ténu

mais ça revient,

l’espoir

à dos de savoir-petit

à dos de carapace-sagace

ça avance

chap’ti

chap’ti

Ce qui compte

c’est pas seulement la taille du poireau

c’est

comment il a grandi

et comment

on partagera

les récoltes

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.