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Ce qui compte
c’est pas seulement la taille du poireau
c’est
comment il a grandi
c’est
comment le voisin partage sa récolte
(bio, sur terre labourée)
et puis comment toi tu nourris ton sol
ou plutôt comment tu le laisses se nourrir tout seul
sans l’éventrer
en le chouchoutant sous la main cajoleuse de la paille
sans rien y faire
(bio, sur sol pas labouré)
seulement pour l’instant, t’as rien à donner au voisin
tes ptis poireaux font tout juste kémia vapeur et vinaigrette
les siens font potage ou asperges du pauvre, mais ils font tout un plat.
Il t’en donne à foison : « t’as qu’à mettre tes bottes et prendre ma fourche et hop, au champ, camarade, le marché est à tes pieds, sers-toi, j’ai un cent de poireaux de trop, ma mère ne cuisine plus »
Bon.
Entre le dire et le faire, y a tout un univers
et ça tombe bien
« Chap’ti va loin »
elle dit, Madeleine, la maman du voisin
depuis sa toute petite silhouette en cristal
qui ne peut plus trottiner
qui ne peut plus planter les poireaux
qui ne peut plus cuisiner
qui regarde tes zones de culture
encore glabres de vert
c’est normal, c’est l’hiver
crottinées, paillées, bichonnées
en vue du printemps qui va ramener sa fraise
bientôt
un poil interrogative
« C’est pour quoi faire ? »
tu dis
« Je laboure pas. J’essaye. Je vais planter là. On verra bien. »
elle dit
« Bah oui. Pourquoi pas ? Y a plein de façons. Y a pas de raisons »
tu dis
« Pour l’instant, j’ai fait que préparer les zones »
elle dit
« Faut bien commencer par un bout. Chap’ti va loin »
On verra cet été si les courges y poussent dodues.
Les aminches de Graines de troc ont dit « tout accès à la terre se fête »
Alors on fête.
Tes poireaux minuscules et tes zones de culture glabres.
La fourche qui te pousse en travers de la main
à la place d’un manche de guitare.
« Les ails qui sont nées » comme elle dit Madeleine
Tes médiators qui jonchent le sol comme des pétales de coquelicot, tombés
(Je t’aime un peu beaucoup passionnément)
et ta marmite norvégienne.
On fête.
À la salade, je suis malade, c’est l’hiver mais les semis lèvent tout doux
quand même
nonobstant les aléas
de la constitution
des simagrées médiatiques
des infiltrations sournoises de groupes fermés presque placides pour distiller des murs, des barbelés et de la haine enragée (comme si la vache ne suffisait plus)
alors
il perle des boucs-émissaires au bout de l’alambic, tu parles d’une liqueur !
Mais on ne boit pas de ce pain-là
ici
chez les gens de peu, comme on dit,
ou de pas grand-chose
les bac moins quelque chose
Ici, quoique maigre, la pension de retraite baisse encore d’un millimètre
- y a pas de petits profits pour l’État scélérat -
nonobstant
les gens de peu
partagent les poireaux et les œufs, y a pas un micro-gramme d’intolérance pour distiller du bouc-émissaire
pendant ce temps, par journalistes interposés, les couteaux dans le dos
les duels fratricides qui n’ont de frère que dalle
les empires médiatiques, main basse et torsion les cerveaux, neurosciences à l’appui, rho, les belles synapses
versant papier glacé pour la haute,
versant taupe-fiel-troll pour le populo
Nonobstant, donc,
nous, les œufs, les poireaux
à la laitue, rien n’est foutu
à la tortue, rien n’est perdu
le printemps se lève en avril
comme les salades, les radis,
les prunelliers déjà sont en fleur
les fèves et l’ail sont debout
on n’attend plus que nous
nous, tout le monde,
c’est te dire si ça en fait,
les gens de peu
ils sont beaucoup.
« Chap’ti va loin », elle dit, Madeleine
en attendant on partage les savoir, les savoir-faire
mine de rien
les cultures, les poireaux, les chansons, le patois saintongeais,
(j’y entrave que dalle pourtant)
c’est ténu
mais ça revient,
l’espoir
à dos de savoir-petit
à dos de carapace-sagace
ça avance
chap’ti
chap’ti
Ce qui compte
c’est pas seulement la taille du poireau
c’est
comment il a grandi
et comment
on partagera
les récoltes