
Un drôle de titre qui m’a attiré. Nicolas Tenzer est un haut fonctionnaire, plutôt proche du Prince (ENS, ENA, bien entendu) qui écrit beaucoup sur la géopolitique. Pour compléter le titre, sur le bandeau : « Petits et moyens États à la conquête du monde ». Fichtre. La subversion au coin de la page ?
Que nenni. Ce livre est un inventaire assez complet (n’étant pas expert, je ne peux pas vraiment juger d’un travail où la perfection n’existe sans doute pas) de la situation de guerre, de paix, des relations internationales du monde tel qu’il va en l’an 2025. Le livre est sorti en avril. Et, comme chacun sait, la situation internationale est en perpétuel changement, avec une sorte d’instabilité maladive. Un des exemples récents est la « lune de miel » Trump – Elon Musk, déjà terminée. La route vers la planète Mars est pleine de surprises…
Le tour d’horizon est complet : États-Unis, Chine, Asie, Europe bien sûr, avec un traitement particulier pour la France et le Royaume-Uni, sans oublier évidemment l’Ukraine. L’Afrique, le Moyen Orient, la résistance des peuples, en particulier à partir du cas syrien où l’auteur me paraît un peu aveuglé par un optimisme assez surprenant. La Russie de Poutine, exécrée, que Nicolas Tenzer voit défaite définitivement, est traitée un peu partout et nulle part. On sent une volonté d’exécution pure et simple.
C’est là que se trouve les limites de ce livre : la guerre est partout, et la paix nulle part. Le désarmement n’est jamais envisagé, si ce n’est par une ou deux allusions rapides à la non-prolifération nucléaire. Seul le réarmement des États, en particulier les États qualifiés de moyens, est envisagé, avec la perspective de la relance économique que cela est susceptible d’impliquer. Le salut par l’équilibre de la terreur ? En quelque sorte, et pas uniquement au niveau des « grands États ». D’ailleurs, l’auteur est très méfiant vis-à-vis de la diplomatie. P. 267 : « Il faut sortir des fictions diplomatiques ». Pour lui, le règlement des conflits passe par le réarmement, la victoire d’une force sur une autre. Que dis-je, d’une Nation sur une autre. Il n’envisage jamais de solution fédérale.
Pour nous qui souhaitons « agir pour désarmer », ce livre me paraît à l’opposé de ce que nous souhaitons. Les petites et moyennes nations doivent se réarmer de manière massive, pour garantir leur sécurité (p. 32). Les drones, les blindés, les missiles pour la sécurisation des populations civiles, drôle de conception de la sécurité. La vraie sécurité pour les populations est de ne pas vivre sous la menace des armes. Défense et sécurité ont bon dos. Si les États se réarment, c’est pour les utiliser. Un jour ou l’autre.
Autres points qui ne peuvent que rentrer en contradiction avec nos désirs de pacification de la politique internationale :
- Conflit Russie – Ukraine : page 144 : « Tous savent qu’il n’y a d’autre voie que la victoire totale » de l’Ukraine. Et donc par conséquent, une défaite totale de la Russie. Victoire totale, défaite totale ? De quoi s’agit-il vraiment ? Anéantissement, conquête territoriale de la Russie par l’Ukraine ? Quelle défaite, quelle victoire ? L’auteur souhaite visiblement la peau de Poutine, de la Russie. Et le monde d’après, pour reprendre une expression beaucoup employée, qui ne débouche généralement sur rien ? Est-il vraiment sérieux de l’envisager sans Russie ?
- Europe : page 167, l’auteur n’hésite pas à construire une Europe qui n’existe pas. « L’Europe formerait un tout cohérent à l’Ouest de la Russie, et à son sud occidental. » Tout est dans le conditionnel bien sûr. Á condition… que les États concernés soient partie prenante d’un tel projet. Pour l’instant, nous en sommes à l’opposé, me semble-t-il, avec la montée de forces politiques de la droite extrême dans de nombreux pays. Bien entendu, le monde politique évolue, rien n’est jamais définitivement acquis, mais il semble quand même assez logique de partir de l’existant des années actuelles.
D’autres points de désaccord pourraient être cités. De fait, ce livre me semble tout à fait dans un air du temps qui veut nous convaincre, convaincre les peuples, que seul le réarmement peut permettre une réelle cohabitation des diverses populations civiles. La voie des armes contre la voie de la diplomatie. Les grandes puissances semblent en effet moins puissantes qu’il y a quelques années. Les empires ne sont pas si impériaux qu’ils veulent bien nous le faire croire. Certes. Mais le titre lui-même reste un leurre, à mon sens. L’armée, le réarmement, n’a qu’un but : consolider la puissance. Remplacer les grandes puissances par des moyennes puissances ne peut déboucher sur une paix durable. Cela met en lumière les États que l’auteur nomme moyens, mais la rivalité dans la puissance ne peut qu’entériner un monde où la puissance n’a qu’un but : anéantir les faibles.
Avec l’aide des armes fabriquées par les puissants, justement. Alors, comme le bandeau de couverture nous le dit, les petits et les moyens États ont-ils besoin de conquérir le monde ? C’est la paix qu’il s’agit de conquérir. Mais une économie fondée sur les ventes d’armes, sur le réarmement, la mise à l’écart de la diplomatie, ne peut que pérenniser un monde de guerre.
Cela se trouve à l’opposé du projet de l'Observatoire des armements
Site : https://www.obsarm.info/.