Les élections législatives, hâtées par la dissolution de l’Assemblée nationale, se profilent aujourd’hui comme le moment tant redouté de bascule vers la prise de pouvoir des suprémacistes blancs, venant ainsi parachever le glissement fasciste accéléré par la politique raciste, néo-colonialiste et capitaliste d’Emmanuel Macron et de ces prédécesseurs. Face au risque de voir l’extrême droite, dont les discours de haine ont depuis largement pénétré le corps politique et médiatique, prendre le pouvoir à la faveur d’une majorité dans l’hémicycle, il nous faut affronter ce moment ensemble.
S’il est incontestable que ce moment doit voir les forces de gauche se rassembler, il s’agirait que celles-ci s’organisent autour des luttes portées par les minorités dominées pour construire une opposition radicale au projet fasciste et libéral. C’est précisément la pleine considération de ces luttes, au croisement de plusieurs systèmes de dominations, à l’intersection avec le racisme et le capitalisme, qui seule peut permettre de définir un véritable projet politique de gauche. Le renversement paradigmatique ainsi amorcé sera d’autant plus antifasciste qu’il sera antiraciste, anticolonialiste, anti-impérialiste, antivalidiste et antipsychiatrie.
Toutes ces luttes qui peuvent « toujours attendre », qui peuvent toujours être sacrifiées, comme les minorités qui les mènent, portent en elles le germe révolutionnaire que la gauche d’appareil, passive et réformiste, avide de capitaliser sur certaines valeurs du champ militant radical, ne tient aucunement à voir éclore.
Aux forces de gauche qui ne voudraient pas se discréditer, à nouveau, pendant ces législatives, en continuant de mépriser la critique politique anti-validiste et antipsychiatrie, sachez qu’il est possible de « faire mieux » que de défendre l’institutionnalisation des enfants et des adultes handicapéEs comme une nécessité alors que cette pratique ségrégative est condamnée par les instances internationales et jugée contraire aux droits humains.
Sachez qu’il est en effet possible de « faire mieux» que de légitimer le cadre normatif imposé par le groupe dominant blanc valide comme un idéal répressif et de reprendre, sans aucune critique politique, l’application de traitements discriminatoires et la détention arbitraire — au motif du handicap, de la maladie, du soin ou du traitement. Non seulement ces « solutions » ont toujours répondu à un principe d’économie libéral dont la ségrégation est le schéma de fond, mais elles consacrent surtout le régime d’infériorité et d’exclusion auquel sont condamnées les personnes handicapées en reproduisant les conditions de leur domination.
Sachez qu’il est possible de produire une critique politique de l’appareil psychiatrique et de combattre les déterminants qui produisent socialement de la folie plutôt que de se contenter d’une lecture essentialisante et déshumanisante constituée autour de la figure du « fou » comme une « menace » pour l’ordre social.
Enfermer les personnes psychiatrisées dans la violence a priori, les assujettir à un contrôle social total, les déposséder d’elle-mêmes, les désagentiviser pour leur substituer la volonté d’un tiers, et les soumettre aux traitements les plus cruels et inhumains — pratique d’isolement, contention chimique et mécanique, électrochocs, stérilisation forcée — qui leur sont imposés au nom d’une volonté normalisatrice, n’a rien d’antifasciste. Avoir à le rappeler ne peut qu’interroger, d’autant que ces pratiques coercitives sont avant tout l’expression d’un pouvoir arbitraire et disciplinaire qui s’exerce avec d’autant plus de force sur les personnes handicapées et psychiatrisées qu’il est aussi l’expression d’une négation profonde.
C’est précisément parce qu’elles sont niées en tant qu’égal sujet de droit, que les personnes handicapées et psychiatrisées peuvent être aujourd’hui encore détenues pour ce qu’elles sont et qu’il leur faut toujours vivre sous la menace de l’institutionnalisation.
Sachez qu’il est possible de « faire mieux » que de tomber dans le piège tendu aux forces de gauche par Emmanuel Macron avec la loi sur le suicide assisté/euthanasie. Il s’agirait de saisir qu’une telle loi, aux contours sémantiques aussi douteux que dangereux, portée par un gouvernement libéral qui s’est efforcé de réaliser ses économies budgétaires en restreignant l’accès aux droits sociaux et en démantelant le système de santé, le tout en contexte fascisant, n’a rien d’une priorité. C’est une nouvelle méthode de triage, surtout quand ce qui est défendu comme un « libre choix », qu’il s’agisse de l’institutionnalisation, ainsi promue ou du suicide assisté, est en réalité conditionné par des déterminants économiques et sociaux qui participent à normaliser l’inacceptable. Comme la ségrégation, hiérarchiser les valeurs de vie est un marqueur fasciste.
Au moment où les experts indépendants de l’ONU réclament clairement des législateurs et législatrices que soit « érigée en infraction pénale, la détention de personnes au motif de leur handicap, l’institutionnalisation et toute forme de torture et de mauvais traitements à l’égard des personnes handicapées », se réclamer vaguement de la Convention de l’ONU et de la désinstitutionnalisation ne suffit pas. Jusqu’à présent, aucune proposition programmatique n’a jamais traduit, de manière effective, la planification de l’abolition des institutions ségrégatives.
Sachez qu’il est aujourd’hui possible de faire de la désinstitutionnalisation une véritable priorité des forces de gauche et de donner des gages clairs d’un engagement vers l’abolition des institutions qui dépasse l’hypocrisie de l’énoncé performatif, la récupération rhétorique et le double discours politique.
L’introduction d’un moratoire sur la création de nouvelles structures, sur de nouveaux placements en institution, sur les internements et les traitements forcés, et la création d’une Commission d’enquêtes sur l’institutionnalisation devraient immédiatement intégrer le programme du nouveau Front populaire, afin que les personnes handicapées, psychiatrisées, malades chroniques, âgées dépendantes puissent, elles aussi, se joindre à ce rassemblement sans lui être sacrifiées et s’opposer à l’issue fasciste et mortifère qui nous menace.