
Résistantes corses déportées, Nuit-et-Brouillard Nacht-und-Nebel, extirpées de la nuit de l'histoire par Jackie Poggioli. Ce remarquable documentaire historique ( 90 mn) a été projeté à l’Assemblée Nationale (26 janvier 2016) grâce à l’intervention de Gilles Lévy, beau-fils d'une résistante, Jeanine Carlotti, et fils de Jean-Pierre Lévy, fondateur du mouvement Franc-Tireur. Outre l’emblématique Danielle Casanova, Héroïne Nationale de la République et célébrée depuis la Libération, : ce film a été réalisé en phase avec l’entrée au Panthéon de Germaine Tillion et Genevieve Anthonioz-De Gaulle (27 mai 2015). C’est grâce à l’obstination de Jackie Poggioli, que l’on sait maintenant, que 18 Résistantes déportées de Corse, désormais bien répertoriées et tracées, sont elles-aussi, passées par Ravensbrück, Mauthausen et Auschwitz : " les Résistantes corses déportées n'avaient jamais été identifiées ni même recensées avant mon investigation. Sur les 18 - nées en Corse, car j'en ai retrouvé d'autres nées dans l'Hexagone- que j'ai exhumées, et précisément évoquées, les seules connues étaient Danielle Casanova, Noëlle Vincensini et dans une moindre mesure Maria de Peretti, à

l'héroïsme pourtant aussi grand. Hormis ces trois figures emblématiqurs, les autres gisaient dans la nuit de l'Histoire. Elles étaient les grandes oubliées des nombreuses commémorations qui ont eu lieu en Corse, notamment depuis 2013 et le 70e anniversaire de la Libération de l'île. Elles constituaient un trou noir de l'historiographie corse comme continentale." Les Résistantes corses doublement oubliées par l'Histoire de France, en tant que femmes et en tant que Corses ? Jackie Poggioli confirme : " la Corse constitue un champ périphérique pour l'historiographie hexagonale, qui a elle-même considéré très longtemps les Femmes comme un domaine de recherche marginal ! L'Histoire des Femmes n'a émergé dans la recherche internationale que depuis les Années 70. Aujourd'hui ce domaine a le vent en poupe dans de nombreux pays, plus anglo-saxons que latins." .

De Marie Ely née Ortoli, épouse du général Ely futur chef d'Etat major... à Mairie-Louise Antelme née Rocca Serra et Noelle Vincensini. Des destinées qui côtoient la politique, l'Histoire, la littérature. Jackie Poggioli retrace ses longues investigations : « L’identité insulaire de plusieurs autres femmes déportées est, masquée par leurs noms d’épouse. Tel est le cas par exemple de Marie Ely, née Ortoli, femme du Général Paul Ely, devenu quelques années après la Libération Chef d’Etat-Major des Armées, ou encore Janine Carlo , torturée par les Miliciens et déportée, plus connue sous le nom de son mari, Jean-Pierre Lévy, fondateur du Mouvement Franc-Tireur. Beaucoup ignorent également les fortes attaches corses de Marie-Louise Antelme, qui a sauvé François Mitterrand d’un guet-apens tendu par les Nazis et est morte juste après sa libération de Ravensbrück. Elle n’est autre que la belle-soeur de la romancière Marguerite Duras, la soeur de son époux Robert Antelme, déporté lui aussi et auteur de l’un des ouvrages majeurs sur les Camps de la Mort. Même les biographes renommés de ces deux grands écrivains ignorent le nom de code dans la Résistance de Marie-Louise Antelme, Rocca, qui était un rappel de sa famille maternelle -Rocca Serra- et de la région de l’île où elle est née et a passé son enfance. » Il y a aussi Noëlle Vincensini seule déportée encore survivante et fondatrice de Ava Basta ( association contre le racisme) pour laquelle « un affichage significatif de son identité insulaire qui avait été choisi, pour son nom de code dans la clandestinité ». Elle est connue sous le nom de son ex-mari, l’écrivain Jean-Pierre Chabrol. « Membre du Front Uni de la Jeunesse et des FTP, elle est arrêtée à 17 ans, torturée, déportée à Ravensbrück et Neubrandenburg. Si Noëlle Vincensini a pu participer en personne à l’hommage national rendu à Paris le 27 mai à Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle, chacune des femmes extirpées par ce documentaire de la Nuit de l’Histoire mérite incontestablement

d’entrer dans un Panthéon symbolique, et les plus anonymes ne sont pas les moins héroïques. » Avec ce film, nous sommes véritablement devant un document historique, puisque personne avant Jackie Poggioli n’avait recensé les traversées tragiques de ces femmes, dont le « poignant sacrifice de Maria de Pere, du réseau Marco Polo, qui a choisi d’accompagner dans la chambre à gaz l’une de ses camarades devenue folle de terreur. Ou la force d’âme de Graziella Canazzi, agent de liaison d’Henri Frenay, le chef du Mouvement Combat, sauvagement torturée, ou encore l’abnégation exemplaire de Marie-Thérèse Sartini, du réseau Pat O’ Leary, arrachée à ses enfants en bas-âge - déjà privés de leur père prisonnier de guerre - pour avoir hébergé des aviateurs Alliés. Elle a été déportée Nuit et Brouillard à Ravensbrück puis Mauthausen. Tout aussi remarquable, l’héroïsme des soeurs Colombani, du Réseau Rossi, déportées avec leur frère et leur oncle, disparus à Dora-Buchenwald. Quant à Danielle Casanova - le véritable prénom était Vincentella - si elle était déjà célèbre, son action dans la Résistance est revisitée ici grâce à l’interview de sa nièce, Isaline Amalric-Choury, qui fut Conseillère de communication de François Mitterrand à l’Elysée. » « Des dossiers exhumés pour la première fois », une « enquête ardue », des recherches aux Archives Nationales de France (Pierrefitte) et au Service Historique de la Défense ( Caen) précise Jackie Poggioli. Avec des difficultés à cause des changements patronymiques du régime matrimonial, mais surtout la mobilité géographique, de la Corse à diverses localités de l’Hexagone : « de la Corse rurale, dont l’engagement au service de la France a été si fervent durant les deux guerres mondiales et qui a pourtant été si oubliée par la République, de ces villages si déshérités où elles sont nées pour la plupart, dans des familles très modestes, jusqu’à Ravensbrück et Auschwitz »

Des maquis et des réseaux jusqu'aux salles de tortures pétainistes et nazis et aux camps de la mort. Une spectaculaire allégorie ajoute la documentariste : « difficile de ne pas voir en fait dans ces êtres fantomatiques, exclus de l’Histoire officielle malgré leur présence sur le terrain, des Maquis aux salles de torture pétainistes et nazis, puis aux Camps de la Mort, une spectaculaire allégorie de ces Oubliées de l’Histoire que les Femmes ont été si longtemps, dans le grand récit de la Résistance comme dans tant d’autres domaines. » Une rigueur d'historienne et un documentaire vibrant d’émotion, car la réalisatrice, s’adresse aux Résistantes corses déportées, directement et individuellement, en faisant des interlocutrices de chair et de sang, loin d’héroïnes statufiées ou de silhouettes pâlies par leur invraisemblable relégation.

Pour son précédent film « 14-18 Fucilati in prima ligna. Fusillés pour l’exemple » Jackie Poggioli avec été saluée par une motion déposée par Dominique Bucchini à l’Assemblée de Corse. « Considérant que les fusillés pour l’exemple de la guerre 1914-1918 sont des victimes de la justice militaire, qu’ils furent injustement condamnés par des tribunaux militaires, dont les travaux entre autres du Général André Bach, Directeur du Service historique de la Défense, ont mis en exergue qu’il s’agissait d’une justice d’exception, ayant généré des sentences totalement arbitraires. Considérant que ce documentaire démontre que les soldats corses, pour la plupart peu francophones et illettrés, ont été particulièrement vulnérables face aux tribunaux militaires. Considérant que cette douleur et cette injustice sont également vécues par les centaines de familles françaises dont les ascendants ont été victimes du même arbitraire et fusillés pour l’exemple. Considérant qu’à la veille du centenaire du début de la Grande Guerre, il est temps de faire œuvre de justice et de rétablir l’histoire conformément à la réalité des faits demandons au Recteur de l'Académie de Corse et au Président de l’Université de Corse que le film « Fucilati in prima ligna » soit diffusé et débattu dans les lycées corses et à l’Université de Corse. Cette action pédagogique pourrait être programmée dans le cadre des cérémonies officielles du 11 novembre 2011. Motion adoptée à l’unanimité. » Que la gouvernance France cesse donc de clamer que la « Corse est une région comme les autres ». On peut en douter…tant le travail de mémoire de l’histoire de la Corse, et la reconnaissance de la République est longue à arriver. Et ce malgré l’activité des 2 sections de l’Anacr Haute-Corse et de Corse-du-sud. Ainsi il a fallut 60 ans pas moins, pour écrire finalement dans les manuels scolaires français « Ajaccio première ville libérée en 1943 »… Et le Directeur de la Rédaction Christophe Barbier (L’Express) n’hésite pas à comparer la Corse à un « confetti encombré de chêvres et de châtaigniers » qui dit-il ne mérite pas « d’élections démocratiques ». Il est clair qu’il y a comme une injure et une terrible ignorance. C’est tout le quotidien du racisme anticorse et de ses ravages.
LV
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