Retour sur le débat à Campile ( Haute-Corse) avec des maires insulaires autour du Pr Antoine Orsini. ( Hydrobiologie Université Pascal Paoli de Corte) Les solutions d’urgence et les équipements locaux pour préserver l’eau potable, l’agropastoralisme, l’arrosage des jardins et la sécurité incendie, dans les villages de la montagne insulaire?
Avec une sécheresse historique, plus des réseaux anciens hyper vétustes avec 70% de fuites, plus un déficit de 40% de pluie pour 2022… la Corse n’est plus un paradis vert et bien arrosé.
Selon l’Office de l’Equipement Hydraulique de Corse : « 28 juillet 2022 Sècheresse en Corse :
S'il reste de l'eau dans les retenues, la situation est jugée préoccupante ! Notamment dans la plaine orientale et dans l'extrême sud. Les niveaux de remplissages sont entre 50% et 70%, c'est à dire similaires aux situations de 2003 et 2017 à la même période. Deux années considérées comme des états de grande sécheresse.
Selon les projections de l'office, si la pluie continuait à manquer, la Corse pourrait descendre en-dessous du niveau de sécurité au début de l'automne. A ce moment-là, la situation deviendrait très préoccupante sur les territoires cités précédemment.
L'état des cours d'eau est lui jugé dès à présent "catastrophique". Pour les nappes phréatiques, c'est plus contrasté, car cela dépend des territoires. Pour l'instant, la solidarité s'organise entre les zones en tension et là où il reste de l'eau. Cependant, tous les réseaux ne sont pas interconnectés. D'où l'appel à la vigilance et à économiser l'eau pour éviter de possible coupures. »
Retour sur le débat de Campile de mai 22.
C’est le dossier politique et humanitaire de la prochaine décennie pour les îles de la Méditerranée. Même si en Corse, la situation n’est pas aussi tragique que celle hélas prévue pour les 2/3 de la planète, des pays qui vont affronter, dès 2025 un stress hydrique majeur, c’est à dire une déstabilisation climatique globale. Pour certains ce sera même la disparition totale de l’eau douce naturelle. Oui vous avez bien lu, selon l’ONU et l’OCDE « à l’horizon 2025, la moitié de la population mondiale vivra dans des zones touchées par un stress hydrique majeur . »
Alors comment va être gérée notre eau produite en Corse ? Quelles sont les perspectives de rationnement, de reconquête des terroirs, de relance des filières, d’arrosage des jardins comme des grandes exploitations agricoles? De nouveaux barrages et des retenues collinaires sont-ils prévus? Et pourquoi nos eaux usées mais recyclées et si vitales, vont-elles toujours à la mer ? Si la problématique de l'eau constitue clairement « un défi tant économique qu'humanitaire », comment la Corse va-t-elle gérer son avenir territorial, politique et économique face à la question cruciale de l’eau potable, de l’eau agricole, de l’eau industrielle?
En ce mois de mai 2022, du nord au sud de l’île, tout le territoire et sa végétation souffrent du manque d’eau malgré les barrages, les retenues, les stations de pompage, les réservoirs, les sources d’eau souterraines et phréatiques et l’ensemble des équipements de l’OEHC.
Face à l’urgence il faut communiquer et populariser les constats comme les solutions tous azimuts et tous formats. A Campile, s’est tenue une table ronde, à l’initiative du maire Jean-Marie Vecchioni et de la coopérative Orma Creazione, et en présence du député Jean-Felix Acquaviva et de Gilles Giovannangeli , Président de l’Office d’Equipement Hydraulique de Corse. Sous le soleil, un débat surplombé par la présence tutélaire, bienveillante, modeste et géniale du chercheur et professeur en Hydrobiologie Antoine Orsini. Il préside aussi l’intercommunalité Centre-Corse et ceci n’est pas anodin, car les initiatives ultra locales, préconisées pour la montagne sont stratégiques, qu’elles soient millénaires ou expérimentales. Les maire de Lama (Tony Ceccaldi), de Nuceta (Fabien Arrighi), de San Ghjuvanni di Muriani (Carine Franchi), ont déjà commencé à réagir et à installer des systèmes modestes et ultra locaux mais qui fonctionnent.
Trois axes pour ce débat : la gestion des ressources en eau pour faire face au dérèglement climatique, la rénovation des réseaux d’eau et d’assainissement des communes de montagne et l’irrigation des jardins « U circulu » ou la reconquête des espaces naturels nourriciers.
Etre maire aujourd’hui un vrai sacerdoce.
Très impliqué dans le développement de sa commune, Jean-Marie Vecchioni maire de Campile a dressé un sombre tableau de la ressource en eau, car son village est un cas d’école: « ici nous avons des réseaux anciens qui ont des casses, c’est à dire de fortes pertes d’eau sur 24 heures et toute l’année et impliquant des réparations très onéreuses. Et déjà les ressources en eau diminuent ! Le village est dans une zone amientifère donc des travaux deux fois plus coûteux et au-delà, car Campile se déploie sur cinq hameaux assez éloignés. En résumé les coûts sont très lourds et les financements de plus en plus faibles. »
Un effet ciseau alors que les villages se rechargent un peu en démographie. J.-M. Vecchioni analyse : « il faut prendre en compte la problématique du réchauffement climatique couplée à la problématique du rural. En parallèle de l’eau potable, il y a l’arrosage des jardins car on se tourne vers l’autonomie alimentaire. Comment fournir cette eau brute alors que demain il n’y aura peut-être pas assez d’eau pour boire ?Un challenge difficile. Ici on est dans le concret, je refais mon réseau d’eau et je voudrais, en tant que commune, construire un réseau d’eau brute non traitée, pour arroser les jardins. »
Ces micro solutions vont-elles assurer la relance et pourquoi pas la survie des villages de l’île-montagne? Dans le rural, en cette année particulièrement sèche, cette urgence est ressentie par d’autres élus locaux dont le maire de Lama Tony Cecaldi présent lui aussi à Campile : « depuis une quinzaine d’années, on a beaucoup stocké et on a récupéré et réparé des réservoirs anciens. Nous stockons aussi l’eau de pluie dans des bâches dédiée, très pratique et facile d’emploi. On le sait, les gens veulent revenir et re cultiver même si c’est plus alimentaire, familial et ludique que commercial. Mais nous le pensons, la récupération de l’eau de pluie en local et la gestion des eaux usées, aussi au niveau communal ou intercommunal, sont cruciales. Alors, nous avons bâti une station d’épuration et nous étudions un nouveau filtre spécial, pour récupérer les eaux retraitées, et les recycler pour l’arrosage des jardins. »
Toutefois, celui qui est le maître à penser, qui sait aussi écouter patiemment et qui s’exprime comme le messie reste le savant en hydrogéologie Antoine Orsini, aussi professeur à l’Université de Corte. L’eau sur la Terre, l’eau à Malte, l’eau en Sardaigne, l’eau en Israël et l’eau en Corse il en connaît toutes les surprises, les convulsions, les mirages et les erreurs stratégiques. Selon lui l’urgence absolue en Corse c’est de récupérer l’eau de pluie, ne pas la perdre, ne pas la gaspiller, l’économiser absolument.
Antoine Orsini : «d’abord il faut reconsidérer la récupération urgente de l’eau de pluie et construire des barrages et des retenues. On en parle depuis 50 ans et on n’a pas avancé ! Les retenues d’eau sont vitales car ici en Corse on ne récupère que 3% de l’eau de pluie ! Et puis notez ces chiffres effroyables: en 40 ans on a pris 1,4 degrés en Plaine Orientale, on a pris 3, 3 degrés à 1000 m d’altitude, et on a pris 5, 2 degrés à 2000 m d’altitude! Le littoral sera toujours aussi chaud… mais l’eau de la montagne va manquer, notre château d’eau est en train de se vider, de se tarir ! Et ici contrairement à la Tunisie, on cultive du maïs et on arrose les rond-points ! »
Solutions locales : les bâches souples et les retenues collinaires.
Face à l’accélération brutale du changement climatique, faut-il re orienter dans l’urgence certaines décisions politiques d’aménagement ? Alors que l’on visualise en Corse, d’une part les pertes immenses sur l’eau de pluie. Et d’autre part les monstrueux débits d’eau, retraitée recyclée donc quasiment propre, tous rejetés en bloc à la mer?
Antoine Orsini : « mes solutions sont plurielles et locales car il n’y a pas une seule solution miracle. Le stockage de l’eau de pluie bien sûr avec des barrages et avec des retenues collinaires, mais en évitant les erreurs de la Sardaigne. Ils ont 2 milliards de mètres cubes annuels prévus mais leurs barrages ne se remplissent pas et leur qualité d’eau se dégrade. Donc malgré les apparences, la Sardaigne connait de graves problèmes d’eau. Ici en Corse on ne stocke que 104 millions de mètres cubes. Donc il ne fait pas stocker n’importe quoi et n’importe comment. Ne pas bâtir de grands barrages avec un coût économique et écologique élevé mais hélas avec une efficacité moindre à cause de l’évaporation constante due à la chaleur qui augmente. Alors que, pour les retenues collinaires, on dérive les ruisseaux, les sources, et on installe des sortes de bassines plus efficace. Je crois aussi aux bâches souples, c’est sécurisé, sans dégradation, sans bactérie toxique. »
Croire que la Corse serait protégée parce qu’elle serait encore l’île la plus arrosée de Méditerranée est une ignorance, une illusion et un déni. Alors faudra-t-il un jour détourner les gros tuyaux des agglomérations insulaires qui rejettent les eaux traitées recyclées directement à la mer?
Antoine Orsini : « la Corse île la plus arrosée de Méditerranée, ce n’est plus vrai même si on a 3000 km de rivières ! Car en 40 ans les débits ont baissé 30% ! C’est monstrueux alors ce qui m’intéresse c’est la pluie efficace, car avec les nappes phréatiques, les eaux souterraines et les rivières qui baissent, le cycle de l’eau est dangereusement modifié. A Bastia il y a tuyau qui fait 2 mètres de diamètre et qui rejette 2 millions de mètres cube par an d’eaux usées, traitées par la station d’épuration selon les normes françaises et européennes. Moi je rêve de détourner ce débit d’une eau de qualité, vers le sud et qu’on le ramène vers la plaine orientale ! »
Une autre solution à explorer peut-être dans un futur plus ou moins proche? L’option de la désalinisation de l’eau de mer reste une solution décisive pratiquée par les pays semi arides ou désertiques comme l’Espagne, les Emirats, Israël. Le président de l’OEHC estime que cette perspective n’est pas d’actualité en Corse à cause des coûts économiques et écologiques, tout en se montrant relativement serein pour la saison prochaine. Gilles Giovannangeli : « la désalinisation serait un échec de la Corse, une île où l’eau reste abondante malgré les contraintes du réchauffement climatique. Le dessalement est une technique à étudier mais elle est trop coûteuse en énergie et les rejets de saumures sont dangereux pour l’environnement. Pour autant, les études démontrent que ces technologies évoluent et elles seront moins énergivores et moins polluantes. Dans l’immédiat pour l’île, nous préconisons les mesures de prévention, d’information, d’économie, de restriction avec les arrêtés préfectoraux de vigilance à destination des collectivités et des populations, incluant les mesures sur le lavage des voitures, des bateaux, des rond-points, des voieries. Avec la vertu et l’information, plus un comportement sobre, on arrivera à boucler notre saison. »
Liliane Vittori

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