Bastia. La Posidonie, plante sous-marine ondulante, oxygènante, serait-elle l’or bleu de la Méditerranée ? Et va-t-elle influencer la conception du projet de nouveau port initié par la Chambre de Commerce et d’Industrie, la ville de Bastia, la Collectivité Territoriale de Corse ? Après une brassée d’arguments écologiques : voici , en provenance du parti insulaire Corsica Libera, une contribution estampillée croissance verte. Et inspirée par de nouvelles approches économiques, qui quantifient avec précision, les valeurs présentes et futures, des écosystèmes naturels. D’après les spécialistes, la valeur de la Posidonie est supérieure à celles, des récifs coralliens (x3) et des forêts tropicales (x10). Elle serait aussi 100 fois supérieure à celle d'une prairie terrestre à surface équivalente. Il s’agit de savoir quel serait le coût exact d’une destruction de l' Herbier de Posidonies situé sous le site le prévu pour le futur port de la Carbonite au sud de Bastia. Et quel est le défi posé aux décideurs qui imaginent le futur ? Peut-être, faire le pari optimiste de l’avenir, en réalisant, de grands projets structurants mais écologiques, en phase avec la rentabilité, l’environnement, et le retour sur investissement économique que social ? Les Posidonies sont filles de Poséidon, dieu grec des océans. Un symbole fort pour ces créatures sous marines qui ne sont pas des algues, mais des plantes à fleurs avec racine et fruit. Un herbier de Posidonies (ici à Bastia sur 70 hectares) joue un rôle fondamental en faveur du milieu marin littoral. Source de nourriture pour divers organismes marins, il stocke aussi le carbone atmosphérique et abrite des frayères et des nurseries de poissons. Et top du top : il oxygène le milieu marin, fixe les fonds (piègeant particules et sédiment), et assure la clarté des eaux. « Comment faire gagner 172 000 millions d’€ à la Corse et sans aucun investissement ? » demande avec aplomb Eric Simoni ( liste Un'Alba Nova Bastia), qui a réunit la presse bastiaise sur la plage de l’Arinella, site de ce futur port d’envergure régionale en eau profonde, actuel habitat d’un vaste Herbier de Posidonies. Le raisonnement de Corsica Libera s’appuie sur une récente étude scientifique de chercheurs italiens pour la revue Marine Pollution Bulletin (1). Combien cela coûterait-il de détruire un Herbier de Posidonies de 70 à 100 hectares ? Eric Simoni : « un seul mètre carré de Posidonies rapporte 172 € par an à l’économie locale. Hélas, ce port ferait perdre à la Corse 172 Millions d’€ annuels (?) en détruisant cet Herbier de Posidonies de la Carbonite, une catastrophe économique, et plus grave écologique. Cette évaluation, en euros, des écosystèmes est palpable dit-il rapportée à l’activité de pêche assurée par la biodiversité marine. Et aux revenus du tourisme car les Posidonies donnent à la mer sa belle couleur bleue qui attire les touristes ». Pas si simple de jouer avec des millions virtuels... Voici la rectification d'un abonné Médiapart Sergio 2 : " Le problème est que ce calcul est absurde et Eric Simoni doit faire dire à l'étude sur la "valeur " des herbiers de posidonies, ce qu'elle ne dit pas. Ce qui est absurde c'est de dire qu'un m2 de posidonies "rapporte à l'économie locale 172 euros par an". Il y a 62 363 hectares de posidonies en Corse. A 172 euros le m2 de "rapport par an" cela fait plus de 100 milliards "de rapport par an". Sachant que le PIB total de la Corse est d'un peu plus de 8 milliards par an, il y a comme un problème". La Posidonie , or bleu de la Méditerranée, peut-elle entrer dans une comptabilité publique ? Pas si simple. En bref : les écosystèmes "ne rapportent pas directement" et, si on peut certes, avancer une valeur chiffrée, elle est difficile à intégrer aux budgets (tres formatés) de comptabilité publique Recettes/Dépenses. Quant l'intégrer aux business plan des PPP sur de grands projets (Partenariat Publics Privés) : cela n'est pas encore d'actualité. Ce sont des décisions stratégiques et politiques. Les investisseurs travaillant avec de la monnaie réelle et non virtuelle. Ces méthodes de quantifications des écosystèmes seront cependant utile aux élus et aux collectivités, pour prévoir les impacts désormais quantifiés, et les valeurs sociales, environnementales, patrimoniales des projets, sur un site, une ville, une région. Massimu, abonné Médiapart rappelle que la transplantation reste impossible et, que toute destruction d'un Herbier de Posidonies serait irréversible : " il est vrai que les écosystèmes "ne rapportent pas directement" cet argent, mais leur donner enfin une valeur monétaire constitue un outil fondamental pour prendre les bonnes décisions stratégiques et politiques, notamment en terme de développement économique. Cette approche économique globale, et les valeurs chiffrées avancées sont sûrement moins virtuelles pour la population, que celles qui conduisent à privilégier des opérations financières, juteuses pour un petit nombre de spéculateurs avisés, préjudiciables au plus grand nombre et, in fine, au vrai développement économique. Se priver de ces indicateurs pertinents et aujourd'hui internationalement validés, voilà où se situe la véritable absurdité. " Autre risque pointé par Corsica Libera : « la courantologie ». Peu cité lors des études et lors du Débat Public, c’est un phénomène invisible. Toute nouvelle digue va-t-elle induire inévitablement des modifications du linéaire côtier ? Les élus de Corsica Libera critiquent un projet « au coût exorbitant, répulsif pour les plaisanciers et destructeur de l’Arinella, la dernière plage restant aux Bastiais. Tout prés, le Lido de la Marana et l’Etang de Biguglia seraient menacés eux-aussi par l’interruption des courants marins par une digue plein-est de 500 mètres. Alors que des sommes pharamineuses sont englouties chaque année, à perte, pour protéger le littoral. Il faut désormais savoir ce qu’un écosystème apporte à l’économie réelle, aux activités humaines, ce dont nous vivons au quotidien. » Développant leur constat économique de proximité, les élus de Corsica Libera réaffirment leur opposition au tout-tourisme et estiment que « le coût social de ce nouveau port serait lourd via une aggravation de la saisonnalité, de la précarité des emplois ». Ils craignent aussi « la main-mise d’un consortium financier de type Veolia , Bouygues, Vinci avec les inévitables faillites, les changements de stratégie ou d’actionnariat, le tout privilégiant des intérêts étrangers à ceux de la population insulaire. » Les élus de Corsica Libera ont lancé une pétition sur internet. Le port de Bastia actuel en centre ville ( 2, 2 M de passagers en 2013) est 1e port de Corse, le 2e port français derrière Calais, le 1e de Méditerranée, devant Marseille, pour le transport de passagers. Construit au 19e siècle, ses zones de fret sont saturées, il ne répond plus aux normes de sécurité internationales et fonctionne sous régime dérogatoire permanent pour les longueurs de navires aux quais, les manœuvres. Cet été deux accidents graves (1 mort ) les dockers estiment « frôler la catastrophe tous les jours ». En septembre, la majorité territoriale de l’Assemblée de Corse avait réaffirmé son adhésion au projet de la Carbonite en lançant de nouvelles études de faisabilité techniques et prévisionnelles de portage (6,5M d’€). Et ce , afin d’affiner la comparaison avec un projet alternatif, moins onéreux, moins risqué, qui serait conçu autour d’une extension et d’une mise aux normes du port actuel, voyageurs et marchandises. Les observateurs restent perplexes. Nicole Mari journaliste Corse Net Infos : « à entendre le sentiment et l’optimisme affichés, depuis des années, on croyait l’affaire ( du nouveau port de la Carbonite) quasiment tranchée, sa faisabilité et sa pertinence acquises. Mais plus le dossier est creusé sous l’aiguillon des Nationalistes, plus il apparaît léger, incomplet, mal ficelé, biaisé ».
Peut-on rêver un peu ? Par exemple à un port-vitrine de son paysage sous-marin et valorisant le patrimoine naturel ? Reste pour les décideurs à imaginer le futur en fonction de la réalité presente, et à relancer l’activité portuaire de Bastia et le transport maritime ( soumis à des aléas). Un exercice délicat dans le contexte actuel de la baisse des dotations publiques et de la récession. Peut-on associer l’écologie aux grands projets, en donnant la parole à la Nature, berceau du vivant ? Valérie Ouellet de l’Agence Science-Presse) déclarait en 2010 ( année mondiale de la biodiversité) : « la monétarisation, le fait d’attribuer une valeur économique aux écosystèmes et aux organismes vivants, permettrait aux économistes et aux scientifiques de s’entendre pour sauvegarder la nature. » Des calculs de ce type ont été réalisés au Québec avec l’Union des Producteurs agricoles, pour déterminer la valeur d’un paysage intégrant faune, flore, revenu touristique attaché au site, notoriété associée à la valeur marchande, esthétique, patrimoniale etc…Et le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement ) rappelle la valeur économique des services rendus par les écosystèmes. Soit un estimation entre 21.000 et 72.000 milliards de dollars pour la valeur annuelle des services rendus à l'Homme par les écosystèmes dans le monde : en apport de nourriture, d’eau potable, médicaments naturels, de régulation climatique, de piégeage du carbone…
Liliane Vittori.
(1) The value of the seagrass Posidonia oceanica: A natural capital
assessment
Paolo Vassallo a, Chiara Paoli a,⇑, Alessio Rovere b, Monica Montefalcone a, Carla Morri a,
Carlo Nike Bianchi a
a DISTAV, Dipartimento di Scienze della Terra, dell’Ambiente e della Vita, Genoa University, Italy
b Lamont Doherty Earth Observatory, Columbia University, NY, USA