
"Enquête sur un scandale d'Etat." de Thierry de Peretti ( 120 minutes avec Roschdy Zem, Pio Marmaï, Valeria Bruni -Tedeschi et Vincent Lindon.)
A Bastia en ouverture de Arte Mare 2021 Festival du film Méditerranéen : voici le film de Thierry de Peretti qui , suite aux investigations de Libération, pourrait renouveler la critique et la réflexion citoyennes sur la lutte anti stupéfiant en France.
La lutte anti-drogue en France est-elle ce miroir aux alouettes qui fabrique en continu, des gros titres, des effets d’annonces ministérielles, des saisies record toujours spectaculaires...mais sans impacter réellement la routine des trafics toujours plus surdimensionnés ? Le tout rythmé, dans le contexte quotidien, par des reportages sur les fusillades, les habitants excédés de quartiers invivables, à cause des halls d'immeubles squattés en "points de vente", à cause des « check points" à l'entrée des cités, à cause des parcs & jardins occupés par les consommateurs sans oublier le nouveau gadget les « salles de shoot » etc...

Poser la question c’est y répondre, et le film de Thierry de Peretti « Enquête sur un scandale d’Etat » nous conduit, comme par effraction, dans l’univers parisien d’une direction centrale de la Police, un monde feutré, ultra jacobin et opaque. Contrairement aux séries addictives de Netflix où abondent les intrigues de collusions et corruptions entre trafiquants et policiers... ici ni menace, ni arme, ni mort suspecte. Mais les arcanes des conférences de rédaction de Libération, avec des moments pédagogiques captivants, quand les chefs de rubriques tentent d’approcher un sujet hautement inflammable que d’autres médias dont Le Canard Enchaîné et Mediapart tarderont à reprendre (sans doute d’autres urgences...).

Cette investigation de Libération menée par Emmanuel Fansten ( incarnée par Pio Marmaï) est scénarisée, dialoguée, vécue au jour le jour comme un reportage, et entrelacée avec les moments de vie d’un homme providentiel du dispositif de la lutte anti-drogue : « un infiltré »( de son vrai nom Hubert Avoine incarné par Roschdy Zem). De plus en plus perplexe, il devient celui qui passe la rampe pour témoigner comme tout lanceur d’alerte d’envergure. Ce film est inspirée d’une histoire vraie et d’une dérive celle "d’un trafic d’Etat dirigé par un haut fonctionnaire."
Emmanuel Fansten journaliste à Libération, reçoit un jour un appel au secours, un coming out venu d’un « infiltré des stups » Hubert Avoine dont les témoignages produisent, in fine, des poursuites judiciaires et le démentèlement de l’Office Central pour la Répression du Trafic Illégal de Stupéfiants (Ocrtis), remplacé en 2020 par l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Maintenant basé à Nanterre (92), rattaché à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), il regroupe 150 enquêteurs, policiers, gendarmes, douaniers.


H. Avoine s’étonnait : « Pendant six ans, mon rôle a été de pénétrer les réseaux, d'identifier les intermédiaires, de recueillir des informations et de les transmettre. Pour qui ? Pour quoi ? Je l'ignorais et je n'avais pas à le savoir, persuadé que cela contribuait à un combat juste et nécessaire. Malgré les méthodes troubles qu'il m'arrivait d'observer, j'ai cru sincèrement au bien-fondé de ces missions. Après tout, je travaillais directement sous les ordres du patron de l'Office des stups, et je n'avais aucune raison de m'inquiéter quant à la légalité de ces opérations. Mais au fil des mois, le doute s'est épaissi et la méfiance a fini par s'installer. J'étais devenu complice d'un système qui, au prétexte de lutter contre le trafic de drogue, contribuait à sa diffusion massive. Jusqu'à la rupture, aussi brutale que violente. »
Après un feuilleton palpitant dans Libération et deux livres « L'infiltré : de la traque du Chapo Guzman au scandale français des stups » puis « Trafics d'État - Enquête sur les dérives de la lutte antidrogue »: le film de Th. De Peretti va peut-être remettre au premier plan: la réflexion vitale, la méthode et la véritable urgence de civilisation liée à la consommation de stupéfiants ? Faut-il re orienter la lutte anti drogue et travailler aussi peut-être sur les enjeux lié à la consommation de stupéfiant?
Thierry de Peretti : « les stratégies sont sensiblement les mêmes, les hommes aussi, même si des commissaires ont été débarqués. La lutte contre le trafic, doit se faire à tous les niveaux, avec le courage politique de dire qu’il faut la programmer, sur plusieurs décennies. La drogue est une force comme la faim est une force, comme la violence est une force et comme la précarité qu’on ne peut éliminer comme ça si facilement. Il faut avoir le courage de s’y attaquer et dire pourquoi les gens consomment, il faut réfléchir visiblement à une autre politique urbaine et sanitaire, à la répression. Les plus coupables seraient sans doute les politiques, qui cherchent a optimiser le système, qui demandent des saisies record alors que tout cela est bidon. Il vaut mieux faire tomber les réseaux, que de prendre 10 tonnes, alors oui les effets d’annonces des ministres successifs sont bidons et elles empêchent certains de faire correctement leur travail. Ce qui m’intéresse c'est la vérité des personnages et la réalité du journalisme d’enquête en France. Ici on ne risque pas de se faire tuer quand on dévoile tel ou tel sujet, on n’est pas en Algérie, en Italie, aux Philippines. Où est le danger pour le lanceur d’alerte qu’est H. Avoine? ? On peut le discréditer, discréditer sa parole, dure qu’il est mythomane. Ce qui m’a intéressé c’est comment un livre comme cela s’écrit, comment se vit cette rencontre inédite, entre un journaliste d’un grand quotidien et un personnage qui n’est ni un flic, ni un voyou, ni un trafiquant. »
LV