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Billet de blog 8 mai 2017

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Peut-on imaginer la Résistance sans la montagne ?

Peut-on imaginer la Résistance sans montagne ? En Corse le fait "montagne " est associé à la Libération anticipée dès 1943 et à la Résistance insulaire victorieuse qui a donné le mot «maghja » aux Maquis du continent. Alors, chaque année, pour leurs convictions, leur idéal communiste, la Mémoire et la paix : ils et elles marchent vers la Grotte de la Résistance de Porri-di-Casinca.

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Peut-on imaginer des « maquisards » sans montagne, sans crête vertigineuse ni rochers escarpés ? Peut-on imaginer une Résistance victorieuse se déroulant uniquement en terrain plat, sans base arrière, sans refuge en altitude? Impossible, la montagne, particulièrement la montagne corse est si emblèmatique de la Résistance qu’elle a donné le nom de son couvert végétal « a maghja », aux maquis du continent, à la fois territoire libéré et groupe de Résistants. Alors, pour faire vivre et commémorer un épisode de la Libération de la Corse, auréolé de ferveur montagnarde : « ils » et « elles » marchent…pour respirer l’air pur de la liberté à Porri-di-Casinca en Hte-Corse. I

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ls marchent pour leurs convictions politiques, pour leur idéal communiste, pour la mémoire et pour la paix. Chaque année, fidèles et accompagnés d’habitants du village et de leurs enfants : les animateurs de Terre Corse, les militants du Parti Communiste 2B, les retraités de la Cgt2B ainsi que les Amis de la Résistance Anacr2B suivent le chemin balisé et débroussaillé, qui conduit à la Grotte de la Résistance de Porri-di-Casinca. Certains observateurs amusés et malicieux, parlent d’un « pélerinage comme celui de la Roche de Solutré » que pratiquait F. Mitterand, entouré de caméras et de courtisans. Rien de tel à Porri. Ici, contrairement à F. Mitterand, personne n’a reçu la Francisque en 1942 octroyée par Pétain, ni fréquenté longtemps après la guerre René Bousquet, haut fonctionnaire français proche du régime nazi coupable de la Rafle du Vélodrome d’Hiver (1943) et collaborateur zélé et gradé de la politique antisémite de Vichy. 

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A Porri, se déroule un rituel politique pour saluer un épisode historique de la Libération de la Corse. A savoir : la tenue ici le 4 mai 1943 d’une réunion clandestine régionale de 25 militants communistes venus de toute l’île. Tous menacés de mort, parce que membres d’un parti interdit, comme les autres formations politiques françaises, à une époque ou Hitler et Vichy avaient supprimé les libertés publiques et individuelles, dont le droit de se réunir et de voter. Cachés, aidés et nourris par la population, protégés par de nombreux guides et guetteurs, ces militants communistes décidèrent du principe d’une insurrection populaire en Corse dès lors que les conditions seraient réunies. Elle le furent le 9 septembre 1943 à Ajaccio. Et le général en chef des Alliés, Eisenhower l’a admis, la Libération de la Corse dès 1943 a favorisé la victoire finale économisant la mobilisation de plusieurs divisions en Méditerranée. C’est d’ailleurs d’Ajaccio qu’une immense armada partit pour le Débarquement de Provence (août 1944). Sixte Ugolini Pd de l’Anacr 2B : « le moment venu c’est la Résistance Corse qui donne le signal du soulèvement, sans ordre, ni directive de quiconque. Les Résistants avaient élaboré leur stratégie à partir de leur propre réflexion et tenant compte de la situation locale. C’est ici en Corse, 8 mois avant le continent, que la liberté fut conquise de haute lutte. Ce fût un jour d’espoir, d’unité et de confiance.». En Casinca, l’analyse politique, la montagne insulaire et ses multiples ressources fûrent décisives. La commémoration à Porri comporte une randonnée vers la Grotte de la Résistance. Soit, depuis le village, 30 minutes pour descendre, et 1 heure et demi pour remonter. Il faut d’abord traverser une forêt de hautes fougères quasiment impénétrable, puis suivre un étroit sentier qui longe un mystérieux village abandonné avec ses maisons de pierre sèche. Lors de cette randonnée en pleine nature, on se croirait dans un film notamment à San Quiricu « lieu étrange féerique et magnetique», ancien vignoble, croisement des chemins de transhumance et peut-être de procession. Chemin faisant, les marcheurs passent sous des châtaigniers, des chênes centenaires, des aulnes empruntant aussi les circuits de la chasse au sanglier.

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Porri-di Casinca, un village où il se passe toujours quelque chose et cela ne date pas d’hier… Le 4 mai 1943, il s’agissait de faire le point, de définir la stratégie, de réfléchir au principe d’une insurrection populaire, pour des militants qui avaient pour certains été dans les Brigades Internationales et dans le mouvement ouvrier. La Grotte, abri sous roche invisible situé au bout d’un passage escarpé, fonctionne comme un refuge idéal pour les opérateurs radios de la Résistance qui communiquaient avec Londres et Alger. Un refuge essentiel aussi pour pour entreposer les armes arrivant par parachutage ( le terrain baptisé "Boa" est situé au mont San Angelo). 

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La cavité secrête devient aussi une imprimerie clandestine où furent composés des tracts et les journaux clandestins « Le Patriote » et « Terre Corse ».  Le 6 mai 2017, ce rituel laïc et communiste s’est déroulé dans une ambiance festive et studieuse, avec un repas, une conférence animée par l’historien Hubert Lenziani. Le contexte en 43 ? Une île occupée par 80 000 soldats italiens encadrés par l’Ovra police politique de Mussolini, chargée des filatures, des interrogatoires, de la torture et des exécutions sans procès. Sixte Ugolini président de l’ Anacr de Hte-Corse : « la Résistance a été partout mais les Résistants sont des maquisards qui prennent le maquis, donc ils prennent la montagne! Les casernes des fascistes se trouvaient dans les grandes agglomérations et loin, on en est mieux protégé. Les populations rurales de montagne étaient plus accueillantes que celles des villes, qui se montraient plus indifférentes. A Bastia et Ajaccio, les allers et venues suspectes se remarquaient plus vite. Les maquisards étaient des Patriotes. Quand ils arrivaient dans un village, les habitants disaient, ce soir on va dormir tranquilles ! » Pendant la guerre de 39-45, avant la désertification du rural, les villages de l’intérieur de l’île étaient peuplés. Il faut imaginer une île loin de tout, sans presse libre, sans les anciens partis politiques, sans élections, quasiment sans rotation de navires, sans voiture, sans carburant. On circulait par les sentiers muletiers et pietonniers.

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André Cervoni écrivain né en 1941 se souvient : « les Résistants étaient des paysans, des bergers endurants et robustes qui marchaient avec leurs troupeaux. Les sentiers étaient plus ouverts, les campagnes plus travaillées. Les Résistants étaient des chasseurs connaissant parfaitement le terrain et le guet. Ils circulaient d’une grotte à une autre sans problème. Les ânes bâtés, transportaient des charges très lourdes le bois ou le blé. Je suis de Castifao par mon père et de Méria par ma mère, donc montagnard et marin. C’est ma vie ! ». La Corse île-montagne aurait été libérée aussi vite sans le relief montagneux si protecteur ? A. Cervoni : « Si la Corse n’avait pas été une montagne, les Allemands auraient plus de difficultés pour traquer et déloger les Résistants. Quand les chars de la 90 ème Panzer remontaient de Porto Vecchio, ils ont été harcelés dans chaque vallée. A Ghisonaccia ils ont même été attaqués avec des fusils de chasse ! ». L’esprit montagnard consubstentiel  de l’esprit de résistance ? . « De tous temps assure A. Cervoni, les Corses ont été menacés. Par les Phéniciens, les Wisigoths, les Barbaresques, les pirates. La solution ? Remonter en hauteur, à cause du paludisme, des intrusions barbares, des invasions des différentes armées. » . Michel Stefani Conseiller Territorial communiste à l’Assemblée de Corse confirme : « la montagne était un lieu sûr à l’abri des représailles conduites par les Chemises Noires italiennes. Les camarades avaient réussi, au fil des mois à nouer des liens avec les populations des villages. La direction clandestine a décidé ici à Porri de la stratégie qui sera ensuite retenue et appliquée collectivement par la Résistance unissant gaullistes et communistes. Aujourd’hui dans ce monde instable fondé sur l’appropriation des richesses naturelles de pays en développement, et dans le contexte de la déstabilisation du Moyen-Orient, nous continuons à delivrer un message de paix, le même que les Résistants. La paix une une quête précieuse disaient-ils aujourd’hui comme en 1943. » Comme chaque année Daniel et Christian ont guidé les randonneurs. Laurent dont la famille est de Porri est venu marcher avec ses fils Alexis et Maxime (8 et 11 ans ) et leur ami Elias: «  il fallait imaginer ces trajets avec du poids sur les épaules, du matériel, du ravitaillement. Et puis chemin faisant on a entendu les pleurs d’un jeune cabri tombé dans un ravin. Il a été sauvé puis il nous a suivi. Cette journée de la Résistance c’est bien pour le village et la mémoire! C’est un hommage à l’exemplarité des Résistants, leur courage, leur volonté, leur abnégation, ils sont des exemples pour la jeunesse, pour prendre conscience des valeurs. »

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Pour Sixte Ugolini, c’est le message de cette journée de la mémoire : « Ces manifestations contre l’oubli pour rappeler le passé, surtout s’il fût glorieux, sont absolument nécessaire. Voici donc, blanche et diaphane, la mémoire au bord du chemin. En Corse comme ailleurs, au coeur de l’indignité et de l’infamie, face à ceux qui capitulèrent sans combattre, des hommes se levèrent our racheter l’honneur perdu. Leur seul objectif préparer la Libération de la Corse par les Corses eux-mêmes. » 

LV

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