Les films du Moyen-Orient pourraient-ils survoler la censure?

Pogrom du Hamas le 7 octobre 2023 à la frontière Israël-Gaza,  corruption et scandales en Egypte, migrations subsaharienne en Tunisie: la 43 ème édition du festival Arte Mare propose des films plus matures, plus lucides mais néanmoins scénarisés et formatés pour être vus en Occident. Toutefois, des longs métrages de fiction inspirée du réel, comme LES AIGLES DE LA REPUBLIQUE (Egypte) , ou PROMIS LE CIEL (réalisé à Tunis), révèlent de subtiles évolutions vers une nouvelle liberté de ton apparente... malgré des restrictions et une certaine autocensure. Il y a le visible d’une part  et l’invisible d’autre part qui reste tabou.

En réalité, à l’exception d’Israël démocratie exemplaire où  existe la liberté d'expression : la totalité des pays du Maghreb et du Moyen-Orient fonctionnent comme des dictatures, des régimes totalitaires où les libertés politiques et individuelles sont bafouées incluant la liberté de travailler pour les cinéastes et les journalistes. La plupart des  films programmés dans les festivals occidentaux, sont soit tournés hors de leur pays d’origine, soit coproduits via des partenariats internationaux.

Donc une liberté tres surveillée pour le cinéma du Moyen-Orient , exceptée pour le documentaire percutant HOLDING LIAT ( de Brandon Kramer), axé sur une famille israélienne, résiliente mais dévastée par les attaques du 7 octobre, alors qu'elle était engagée dans la coopération avec ses proches voisins palestiniens. Le parcours est douloureux : le père Aviv a été assassiné par les terroristes palestiniens, chez lui dans son jardin lors de l'épouvantable pogrome du Hamas le 7 octobre 2023. Il y a aussi la libération  quasiment miraculeuse de Liat la mère, otage kidnappée le même jour lors du même pogrom commis par le Hamas dans les kibboutz et les localités à la frontière Gaza-Israël et totalisant 1200 morts et 250 otages.  

Incertitude, angoisse, dépression, fausses nouvelles, nuits blanches et espoir toujours : ce  reportage au jour le jour pendant une année, est une plongée profonde dans le quotidien des relations à l'intérieur de la famille et avec l’armée israélienne qui négocie sans relâche pendant des mois.

L’essentiel du processus de ce documentaire n’est absolument pas censuré, une liberté totalement inimaginable dans les pays limitrophes musulmans et islamistes ou le mensonge et le non respect de l’adversaire sont les coutumes de base. On découvre ainsi les mobilisations à Tel Aviv, à Jerusalem et le voyage du père de Liat aux Etats-Unis ainsi que ses rencontres, qu’il critique sans vergogne, avec des élus et des sénateurs américains pourtant particulièrement compatissants. Ses opinions gauchistes et pro palestiniennes sont étalées ainsi que les controverses familiales liées au contexte politique israélien.

Jusqu’aux obsèques de Aviv et jusqu’à la libération entourée de suspense de Liat : les témoignages se multiplient au fil des jours, montrant cette tradition juive de l’introspection, individuelle et collective, en privé ou en public. HOLDING LIAT est tout simplement la preuve par l’image et le son, que l’Etat hébreu reste le seul et unique pays démocratique, géographiquement positionné au milieu des régimes totalitaires musulmans, dominés par un patriarcat obscurantiste et par l’islamisme comme programme politique, sans oublier la pulsion de mort. Ces pays ou règnent le clanisme et le tribalisme ne tolèrent ni la liberté religieuse, ni l’opposition politique. Les Occidentaux l’oublient mais c’est le prix local de la terreur et de l’absence de dialogue dans ces pays sans élections, ni aucune expérience, ni attirance, ni éducation démocratique. 

Autre film proposé par Arte Mare à Bastia : LES AIGLES DE LA REPUBLIQUE réalisé par Tarik Saleh. Une coproduction Suède, France, Danemark intégralement tournée en Europe… malgré les tres images d’illustration des buildings du Caire sur les rives du Nil. Entrecoupé d’apparitions d’archives furtives du président égyptien Al-Sissi et sans lien direct avec le scénario, il s’agit d’une illustration de la corruption et de la vacuité des pouvoirs et de la décadence des moeurs en Egypte. Le personnage central est George Fahmy acteur le plus adulé d’Égype. Acceptant sous la contrainte de jouer dans un film commandité par les hautes autorités du pays, il est plongé dans le cercle du pouvoir et il se décompose comme un papillon de nuit…Après la vie dans le luxe et les liaisons extra conjugales surviennent les arrestations arbitraires et les assassinats ciblés. Les dialogues de ces aigles? Des gens qui se parlent sans s’écouter sans communiquer, la dissimulation est la norme.

A l’exception du coming out de l’épouse non voilée du ministre qui sera exécuté. Lors d’un repas non officiel sinistre elle explique magistralement que les Arabes seraient atteint d’un complexe d’infériorité leur donnant parfois l’audace de s’approprier et de rebaptiser certains personnages occidentaux dont Shakespeare ! Surveillance policière, contrôle du scénario, écoutes téléphoniques et décors somptueux de l’Hotel Ramsès du Caire: le cinéaste Tarik Saleh s’est donné pour mission de montrer, les dérives et les impacts de la corruption quasiment devenue un mode normal de gouvernement en Egypte. Ce cinéaste (de père égyptien), vit en Suède. Pourrait-il survivre, travailler et produire ses films en Egypte? Poser la question c’est y répondre…

Autre symbole d’un cinéma plein de vitalité et formaté pour les télévisions occidentales:  le long métrage franco-tunisien tres réussi PROMIS LE CIEL réalisé par Erige Sehiri née à Lyon dans une famille tunisienne. Ces trois films intenses, surprenants et décapants, sont la preuve que le cinéma doit exister en insistant sur les non-dits, en traquant les biais cognitifs, en survolant les idéologies dominantes …mais avec de l’émotion, de l’humanité et une recherche sincère de la vérité, vécue par les personnages réels ou imaginaires.

De ce point de vue le long métrage PROMIS LE CIEL est un must. Tourné à Tunis avec trois comédiennes de talent plus une enfant extraordinaire de naturel, il documente la vie quotidienne des migrants subsahariens en transit. C’est-à-dire en attente d’un nouveau et hypothétique départ pour l’Europe… ou en attente d’un retour en autocar vers leurs pays d’origine le Cameroun ou la Côte d’Ivoire. Diffusé en ouverture de la sélection Un certain Regard au Festival de Cannes, ce film tranche singulièrement avec le cinéma immigrationniste , simpliste et ultra  subventionné en France. Et qui, se plaçant toujours dans le camp du bien, nous a abreuvé de lamentations convenues sur la tragédie migratoire ( bien réelle mais générant des flops en terme d’entrées au cinéma) ou d’histoires édifiantes de solidarité associative, de rencontres amoureuses venant combler les défaillances des synopsis. Ce qui signifie que, au-delà d’assimilations et d’intégrations réussies, le rôle et l’impact de l’idéologie immigrationiste reste socialement désastreux. Gospel à l’Eglise de la Persévérance et partage d’une maison communautaire: à Tunis se succèdent les moments de grâce et les terribles déconvenues. C’est le lot de trois femmes migrantes qui malgré leur courage vont repartir en Côte d’Ivoire. Erige Sehiri : «  Pour les migrants subsaharins, les églises protestantes tres nombreuses à Tunis, représentent un réconfort mais la plupart d’entre eux, voudraient continuer  vers l’Europe d’autant qu’il y a des guerres civiles dans leurs pays comme notamment en Côte d’Ivoire. Tout cela alimente les flux migratoires mais il  y a ceux qui restent qui étudient et qui circulent avec les 3 mois de visa. J’ai insisté sur la migration des femmes mais sans dire qu’il faut accueillir tout le monde même si la vie d’un migrant est tragique. C’est complexe et la dignité humaine elle n’est pas complexe, elle appartient à tout le monde. » L’afflux de migrants africains serait désormais un dossier traité par l’Etat tunisien notamment sur le volet des églises évangelistes.

E. Sehiri : « J’ai enquête dans ces pasteurs et ces communautés protestantes et sur place on entend des rumeurs, ces églises seraient un complot anti islamiste, un jeu d’influence des Usa, de l’Union Européenne  et de l’Afrique noire. Il y aurait eu des arrestations de pasteurs protestants. A Cannes au festival, la presse a plutôt focalisé sur le racisme. Pourtant, en Tunisie il n’y a pas de pas de racisme systémique, de racisme impérialisme ou de racisme structurel d’Etat. L’Union Européenne estime que la Tunisie doit faire son travail pour réduire cette immigration au maximum. Je considère que les gens de droite veulent arrêter à tous prix les flux migratoires, mais pas d’une façon qui n’est ni éthique, ni contrôlée dans le respect des droits humains. En réalité, la police tunisienne n’est pas connue pour être démocratique, alors forcement il y a des dérapages. En France, la crise migratoire est instrumentalisée par la droite, on tente de faire des migrants les boucs émissaires. Et je remarque qu’en Tunisie, la déroute économique a commencé avant la crise migratoire. »

En 2025 un film peut-il jouer un rôle politique ? Oui à la condition qu'il soit diffusé et visionné auprès de ceux qui détiennent un pouvoir via leurs bulletins de vote. Et a la condition que des élections soient organisées. Quelles sont les limites à l'expression de la vérité dans le cinéma?

Le philosophe Samuel Fitoussi  analyse les mécanismes liées aux idéologies et aux préjugés: " La raison humaine est tiraillée entre la rationalité sociale, qui nous pousse à chercher la reconnaissance. Et la rationalité épidémique, qui nous pousse à recherche le vrai."

« Promis le ciel » serait programmé à Tunis en janvier 2026. Quand aux  « Aigles de la République »aucune certitude pour une diffusion en Egypte. Aucun souci particulier pour HOLDING LIAT diffusé en Israël et en Europe et aux Etats-Unis.

HOLDING LIAT

DE BRANDON KRAMER, DOCUMENTAIRE, 2025, ISRAËL, 1H33

PROMIS LE CIEL

D'ERIGE SEHIRI, FICTION, 2025, TUNISIE, 1H32

LES AIGLES DE LA REPUBLIQUE 

de TARIK SALEH SUDE FRANCE DANEMARK 2025 2h09