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Billet de blog 11 mars 2018

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Exemplarité des médias corses et enjeux d'informations de la presse insulaire.

Pourquoi peut-on parler d'une "exemplarité des médias corses " ? Cette île-montagne est un territoire qui "révèle les journalistes et avec lequel on ne triche pas". Ici, fonctionne un "CSA naturel" qui est l'expression d'un lien puissant entre la société corse et ses médias. Une donnée locale qui impacte aussi le traitement de l'actualité corse par les médias nationaux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Comment fonctionne la communauté des médias en Corse ? Comment les journalistes insulaires exercent-ils leur métier? En amont d’un atelier aux Assises du Journalisme de Tours (15 mars - Focus sur les médias corses- UCP2F-Club de la Presse de Corse), voici les enjeux d’information vécus par quatre journalistes insulaires engagés avec passion au quotidien : Michele Castellani (RCFM), Henri Mariani ( France3 Corse Via Stella), Patrice Roubaud (TF1), Pierre-Louis Alessandri (RCFM). A Tours seront présents Thierry Pardi (France 3 Corse Via Stella), Nicole Mari (CorseNetInfos), Fabrice Laurent (Corse Matin).

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Pourquoi dit-on que la Corse est une île où l’on ressent une juxtaposition de « deux géographies, l’une physique, l’autre mentale », une île où « tout se sait »? L’actualité politique s’y déploie au fil des mois, elle-même héritière d’une histoire politique complexe, datant du Siècle des Lumières de Pasquale Paoli et Napoléon Bonaparte. 

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Radio (s), télévision (s), sites en pure player, magazines et quotidiens de presse écrite

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plus agences et correspondants plus twitter et FaceBook : les médias insulaires, publics et privés évoluent sur toute la gamme des réseaux, des formules, des formats.
Les Corses adorent l’information et les médias insulaires sont tous en quête d’une présence numérique plus affirmée. Dans le domaine du numérique pur, le superchampion reste Corse Net Infos né en 2011 et qui a totalisé 5 millions de visiteurs et près de 32 millions de pages vues en 2017 plus 51 000 abonnés Facebook et 18 000 followers Twitter !

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Charles Monti le fondateur précise : « avec notre reconnaissance officielle par la Commission paritaire des publications et agences de presse et le cercle de nos lecteurs qui s'élargit, nous pouvons voir l'avenir avec sérénité. CNI est devenu,au même titre que ses confrères régionaux, un média incontournable avec un potentiel d'évolution incontestable. ».

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Côté télévision publique régionale, Henri Mariani Rédacteur en Chef Adjoint France3 Corse Via Stella précise les enjeux d’information: «Il y a dix ans Corsica Sera, le JT régional France 3 Corse, était la grand-messe, la télévision cérémoniale, c’est fini tout ça !  A la conférence de rédaction, on est conscient que les gens sont abreuvés via Facebook, Twitter, les chaînes d’infos. Que leur apporter de plus à 19h? Comment décrypter le soir, un événement du matin? Avec quelle plus-value éditoriale? Avant on tournait le sujet, on rentrait, on était les rois du pétrole ! Les gens, les yeux braqués sur le poste, pensaient vivement ce soir qu’on nous raconte! Maintenant dans la rue, les téléspectateurs nous disent, ça on le savait déjà, ça on l’a déjà entendu ! La difficulté est là, pour construire la chaîne de demain, à qui allons-nous parler, comment et de quoi ? » 
Cette problématique, non spécifique à la Corse concerne les rédactions locales et régionales. Elle se conjugue ici, avec un contexte historique et politique unique, incluant l’insularité. Le Statut Particulier (1982) a donné naissance à une Assemblée de Corse, à une Collectivité Territoriale. En 1983 sont nés Rcfm et France 3 Corse. Médias publics accumulant, sans discontinuer, des audiences record assorties d’un lien vivant, unissant les rédactions à leurs publics. France 3 Corse Via Stella, dite de plein exercice, produit Cunfronti, Inchiesta, Ghjustizia, Cuntrastu, Fora di Strada, L’Appel du Bleu etc. Plus en co-productions: Méditerraneo, Carnets de Méditerrannéo, Vents du Sud, Isulana, Maghreb Orient Express. H. Mariani, observe l’actualité insulaire en regard du futur technologique de médias en perpétuelle métamorphose : « pour s’adresser aux plus jeunes, on n’a pas les moyens sur les médias qu’il utilisent, on n’est pas assez présent sur Twitter et FaceBook. La génération des 18-30 ans ne consomme plus la télévision comme avant. Pour eux, un poste de télévision c’est une relique, un vieux meuble. Ils s’informent sur ordinateur, tablette, smartphone ! ». 

« En Corse, on est toujours, toute l’année, dans cette surveillance de nous -mêmes »: pour Michelle Castellani, Rédactrice en chef Radio Corse Frequenza Mora, même décryptage des enjeux d’information, adossé à un attachement profond du public, lequel introduit un corollaire singulier. Dans l’île, tout se tient, tout se sait, toute surenchère ou erreur des médias publics locaux (rarissimes) seraient immédiatement repérées. Comme si un CSA naturel,

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une veille vigilante était censés éviter dérapage ou approximation. M. Castellani : « faire de l’information en Corse n’est pas différent d’ailleurs, l’exigence de rigueur est la même. Mais ce souci de croisement des sources, cette déontologie est ici, valorisée et intériorisée. Le public s’informe sur Twitter et FaceBook et nous, journalistes du service public, devons d’autant plus vérifier nos infos. L’enjeu est démocratique, être rédactrice en chef dans le service public signifie travailler au service de tous les publics. »
Comment cette exigence se vit-elle? M. Castellani : « nous sommes comme les autres médias surveillés par le CSA, sauf que nous, ici on en rit un peu ! En Corse, on est toute l’année, dans cette surveillance de nous -mêmes, pour donner la parole à tout le monde. Ici c’est une volonté accrue, l’île a besoin d’une vision de l’info pluraliste et démocratique, nous sommes sur ce point d’une exigence absolue.» Pourquoi cette vision pluraliste exemplaire, exacerbée en Corse ?

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M. Castellani: « nous avons vécu 30 ans d’histoire de la Corse, les années de plomb. Quand Radio Corse Frequenza Mora est crée en 83, il n’y avait aucune possibilité pour les gens de s’exprimer. Cela n’existait pas. Avec la  libération des ondes et les radios locales, un appel d’air formidable, les Corses découvraient la possibilité de diffuser idées et opinions,

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tranquillement, sereinement. Notre exigence de rigueur, d’ouverture a apporté un apaisement, qui a dégonflé des situations extrêmement tendues. L’île avait vécu dans

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une tension permanente,

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circonscrite au niveau politique avec le nationalisme, les bombes, le Flnc. Tout cela perfusait dans la société corse qui avait été bousculée, désorientée, perturbée pendant vingt ans. Rcfm et Fr3 ont contribué à détendre la situation.» Peut-on parler d’une exemplarité des médias corses ? M. Castellani : « oui nous avons traité en Corse ces trente dernières années, une actualité que peu de régions ont vécu. Un concentré, comme le conducteur d’un journal avec sa  hiérarchie de l’info. La Corse figure dans tous les chapitres ! C’est excessif, y compris concernant les séquences élections, le grand-banditisme, le sport, le social avec les immenses grêves de 1989. Nous sommes différents à cause de cette quantité d’informations. On touche à tous les sujets dans la complexité, cela nécessite clairvoyance, lucidité, sérénité intérieure. On n’est pas mieux que les autres professionnels, on a tous la même carte de presse mais ici c’est plus intense. C’est le sens du mot employé: exemplarité. Une actualité qui ne laisse jamais souffler, encore plus en radio, où le sujet est toujours pour hier ! »

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Autre décodage, il y a en Corse selon Michele Castellani deux géographies juxtaposées, l’une mentale, l’autre physique : « Rcfm radio de service public, a ouvert la Corse à son environnement naturel, la Méditerranée, avec des émissions comme Mediterradio et Kantara coproduites avec d’autres pays. Notre préoccupation constante? Resituer, rappeler la réalité insulaire, ne pas passer à côté d’événements qui frémissent. La Corse existe dans un double espace, complexe, enthousiasmant. La géographie y est physique et mentale, notre île au milieu de la Méditerranée, fait aussi partie d’un élément continental plus vaste. Nous soupesons en permanence cette double appartenance. »
Depuis 2016 la Corse est dotée du statut « d’île-montagne » avec un « Comite Massif » opérationnel. Mais difficile quasiment impossible d’imaginer ce que signifie l’insularité quand on ne la vit pas au quotidien. D’où les décalages répétés entre l’actualité insulaire relayée par les médias locaux, et les mêmes factuels relayés par les médias nationaux.

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« Les journalistes corses vont au contact comme sur un ring.» Patrice Roubaud Correspondant TF1 basé à Ajaccio : « la Corse vit une intense mutation économique, avec à Ajaccio et Bastia, de gigantesques zones commerciales et leurs embouteillages. On passe en dix ans, de l’agro-pastoralisme de carte postale à la grande distribution, une évolution inquiétante qui n’exclut pas une paupérisation persistante. En tant que journaliste, on est passé des conférences dans le maquis aux verdicts des urnes. Existe aussi un regard plus positif sur l’île si j’en crois les échanges avec mes collègues parisiens. » .

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Comment évolue le traitement de l’actualité corse par les médias nationaux ? Sont-ils conscients des contraintes de l’insularité ?

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P. Roubaud : « les clichés et idées préconçues régressent. Avant on discutait du mythe des cagoules, de la clandestinité, on oubliait le reste. Maintenant les échanges portent sur les villages, les pieve, les micro-régions, la montagne, l’environnement, les réserves naturelles, le travail des agents de la protection de la nature, l’action culturelle, le « riaquistu », sur cette âme corse. La Corse est une terre où l’on se révèle ! Une terre où l’on ne triche pas, tout se sait, rien n’y est simple. Il y a une sensibilité particulière vis-vis des médias, les gens sont attachés au poids de mots, plus qu’ailleurs. Les journalistes ici sont engagés avec sincérité sur tous les sujets. Ils vont au contact comme sur un ring ! » Henri Mariani confirme : « Notre différence ? Ici, nous avons traité des assassinats, du grand banditisme, des nuits bleues, des conférences de presse clandestines, du secours en montagne, des incendies, des conflits sociaux dans le maritime, des grêves et d’un processus politique en cours. Qui peut se prévaloir d’en avoir fait autant au quotidien ? »


Immergé depuis des années dans cette actualité insulaire intense, Pierre-Louis Alessandri rédacteur en chef Rcfm, médite sur l’hypothèse d’une exemplarité des médias corses, éclairée par une fine approche sociologique. 

Pierre-Louis Alessandri : « ça dépend de ce qu’on met dans le mot exemplarité. Il n’y a pas dichotomie, entre les journalistes et les médias dans lesquels ils exercent leur métier. Les journalistes corses, environ 190 cartes de presse, traduisent correctement ce qu’est la Corse. Les techniques de traduction de l’événement ont changé mais j’observe, que s’il y a profusion d’informations, il n’y a pas automatiquement profusion de journalisme ! On à l’impression d’être sur-informé mais on est aussi sous-journalisé. Les réseaux sociaux, ne reproduisent pas l’exercice journalistique.

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L’info est une chose, le journalisme en est une autre. Il est une manière pédagogique dont on fait comprendre l’événement, dont on le restitue dans un flux quotidien, historique. C’est une maïeutique. Chaque jour un travail nouveau est donné sur le vécu de la veille ou du jour, et sur l’espace ou l’ont vit. La maïeutique, une manière d’approcher, de créer, de produire quelque chose de nouveau chaque jour, c’est une nouvelle naissance et ça c’est le journalisme ! »
Thème rebattu dans la profession, celui des préjugés, des a-priori, des poncifs des journalistes de la presse parisienne. Les journalistes confirment avec des nuances et constatent que,  parfois, les reportages réalisés en Corse, semblent "déjà tout écrits" avant le contact avec le réel.

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Alors, Pierre-Louis Alessandri insiste sur le lien des Corses avec leurs médias et leurs informations locales : « la presse parisienne, notez je ne dis pas presse nationale, donne de la Corse un rendu qui n’est pas faux, mais produit une analyse, loin de refléter la réalité insulaire ! Depuis Paris c’est un système de carte postale. Le romantisme politique est incarné par les nationalistes et les journalistes parisiens veulent absolument démontrer que la Corse verse dans l’indépendantisme, même si la réalité dit le contraire ! Le classicisme en politique n'intéresse pas. Exemple, les élections de 2015 ont amené en Martinique les indépendantistes au pouvoir avec la droite. Mais qui le sait ? Personne! Ce qui intéresse ce sont les indépendantistes au pouvoir en Corse. Mais sur la nouvelle Collectivité Unique, je n’ai rien lu, ni rien entendu dans les grands médias, il n’est question que de l’autonomie, que de l’indépendance, l’enjeu véritable est masqué . "

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Autre sujet jamais traité par les médias dominants: le sous-équipement de l'île. P.-L. Alessandri : "la Corse n'échappe pas aux problématiques, aux crises subies par  les autres régions. Ici un le taux de chômage le plus élevé de France idem pour le pourcentage de pauvreté. Plus un réseau routier qui rend difficile les communications internes et les échanges économiques , sociaux ou humains entre Bastia et Ajaccio. Selon la lecture d'une majorité de médias parisiens la Corse ne serait confrontée qu'à une seule problématique "son intérêt pour son évolution institutionnelle". Cette question occupe pas mal les esprits mais dans les quartiers populaires des grandes villes, cette question demeure-t-elle la réalité principale ? Le regard réaliste, juste, critique du journaliste devrait conduire à ce que le miroir que constitue la presse ne soit pas déformant. Ça pourrait contribuer à une meilleure connaissance de cet espace insulaire français et peut-être à faire évoluer l'opinion continentale "»

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D’où vient ce « particularisme corse", constaté ici et qui, selon P.-L. Alessandri, impacte directement le ton des médias continentaux et parfois leurs approximations et leurs contre-vérités annoncées et jamais rectifiées ? Observant les emballements sur la rixe de Sisco ou les émeutes des Jardins de l’Empereur, P.-L. Alessandri propose une piste qui intègre, en toile de fond, la façon spécifique dont les Corses consomment l’information…
P.-L. Alessandri : « selon les statistiques, en Corse on lit la presse plus qu’ailleurs, en regard des ratios de population. Concernant les Jardins de l’Empereur (Ajaccio 2015), la manière dont est informée l'opinion française, devient de fait, un particularisme qui fausse l’événement lui-même ! Et il existe un a-priori au sujet de la Corse, région périphérique. De plus, la manière dont les Corses eux-mêmes s’emparent des événements, leurs réactions, intéressent fortement les médias français. Ici les gens ne sont pas passifs face aux événements... sauf que la traduction dans les médias nationaux n’est pas toujours en rapport avec la réalité. »

LVittori

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