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Billet de blog 16 avril 2017

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«Quand j’aurais dix ans la guerre sera finie ? Tu rêves ! »

«Quand j’aurais dix ans la guerre sera finie ? Tu rêves ! » autobiographie d’Anna-Xavier Albertini. Les livres sont-ils encore lus, achetés, collectionnés? Il est bouleversant de se plonger dans la mémoire sur papier d’une auteur, surtout si elle est corse, si elle a vécu à Marseille et en Suisse, y exerçant les les professions de journaliste et d'infirmière psychiatrique.

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Il semble que désormais les livres ne soient plus ni lus, ni achetés, ni collectionnés, les lecteurs préfèrent les versions en spectacle vivant, la télévision et You Tube. Mais il est toujours bouleversant de se plonger dans l’autobiographie sur papier d’une auteur, surtout si elle est corse, si elle a vécu à Marseille et en Suisse, y exerçant les professions de  journaliste et d'infirmière psychiatrique. Quel parcours que celui d’Anna-Xavier Albertini ! Née en 1931 « année de tous les dangers », elle vit à Luri, elle est 4 fois arrière-grand mère, elle a publié 5 romans dont l’un des meilleurs ouvrages sur le monde de la psychiatrie « Le Journal fou d’une infirmière » chez R. Laffont en 2009 Collection Participe Présent réedité par Matéria Scritta de Calvi. Adaptée au théâtre, l’oeuvre a été jouée à Marseille (Mini-théâtre et Foire de Printemps) et à Paris au Lucernaire. Elle a suscitée des réactions nombreuses concernant les malades et leurs hôpitaux. Achetée souvent par des associations féministes la pièce a été « jouée dans des quartiers où les femmes ne vont pas souvent au théâtre et pourtant, elles y étaient. La psychiatrie est toujours d’actualité, particulièrement en ce moment où faute de moyens, elle revient à l’asile ».

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Aussi dans l’actualité récente d’Anna : « Le Dialogues des Marguerites » qui a fait salle comble plusieurs semaines en février 2017 dans la cité phocéenne restant aussi en tête des ventes des ouvrages de la catégorie. Une mise en scène du Théâtre d’Astromela pour Le Quai du Rire « c’est l'histoire de Marguerite et Marguerite, amies de longue date. Elles partagent une maison dans les calanques. Chacune apporte son vécu chargé d'émotions, de rires et de surprises. Elles grognent, se disputent et se lancent des vacheries... On peut tout se dire quand l'amitié est solide. Les visites d'Etienne le pêcheur scandent les semaines et quand des hommes à la valise remplie de dollars s'aventurent aux Goudes … ».

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Sur le fil des commentaires une certaine « Chacha1104 » a apprécié : " Excellent 9/10. Surprenant, étonnant et tellement drôle. Un grand bravo à l'auteur, au metteur en scène et bien sûr aux interprètes, que du bonheur!!! ». Anna n’a pas dit son dernier mot. Son récent roman « Je vous parle d’un temps… » est une farouche remontée dans le passé français et insulaire qui commence l’année de sa naissance en 1931. Au coeur d’une période historique cruciale pour une Europe qui solde ses derniers comptes avec l’affaire Dreyfus, qui lit St-Exupéry (Vol de Nuit), qui s’enthousiasme pour Les Lumières de la Ville de Charlie Chaplin, qui rit avec Andrex acteur marseillais emblèmatique. Une Europe qui va bientôt pleurer avec Hitler « aidé par Fred Thyssen l’homme le plus riche du pays, le roi de l’industrie sidérurgique allemande, le nazi le plus puissant de la machine de guerre allemande ». Les guerres successives dit-elle forment comme une « ponctuation » de ces mémoires qui racontent quand même et en priorité le bonheur de vivre à Marseille dans les années 30. Dans un style sobre et clair, Anna-Xavier Albertini nous offre une galerie de personnages à la Pagnol de Jeannette la Frisée à Fifi « la poule qui parle », une opérette familiale hilarante qui fait la joie d’une petite fille qui répète « Moi je regarde ! ». C’est un festin d’expressions désuètes et essentielles qui plantent le décor (« no cres crebs », « castapiane », « espargoute » ou « espace vital »), c’est aussi un bouquet de senteurs, d’émotions, de dialogues et de fêtes de charité tous azimuts venues d’une époque disparue à jamais. Qui sait ? Il semble que toute enfance, soit l’instant secret qui immortalise définitivement le décor d’une vie, pour un destin individuel et pour l’éternité. Ici la traversée des souvenirs, exercice périlleux et subtil, est une parfaite réussite, aussi belle que la lumière du matin sur le quartier du Panier. « Grand mère disait, la vie est un grand courant d’air qui t’emporte comme une valse ». Les décors et les pages du bonheur se succèdent avec le décompte des années 1935, 1936, 1937… Entourée de toute une ménagerie familiale incluant ses deux grands mères provençale et corse, plus le perroquet Coco: la petite Anne grandit alors que la Guerre d’Espagne s’enlise et que Adolphe Hitler prépare ses crimes et ses camps d’extermination partout en Europe. A la fin de cette autobiographie Anna-Xavier la rebelle déploie toute sa lucidité : « On est le premier janvier 1940. Tristesse. Bonne année ne veut rien dire. le fruit de vos entrailles est béni et le fruit des entrailles des femmes n’aura pas le temps de mûrir, il sera éparpillé dans les tranchées, écrasé sous les chars, ça fait du bruit paraît-il d’après un jeune footballeur qui revient du front, ça craque. Il a encore le bruit dans les oreilles. J’entends ça j’imagine. Je voudrais avoir dix ans. Quand j’aurais dix ans la guerre sera finie peut-être? Tu rêves ! » Soudain le ciel s’assombrit dans la vie charmante de la petite fille. Le régime de Vichy s’installe donc la Collaboration politique et policière avec le régime totalitaire d’Hitler, ce qui signifie la modification brutale de la loi sur les naturalisation, les rafles de Juifs, la xénophobie, les dénonciations et les restrictions alimentaires. Anna-Xavier constate: « nous vivons comme un cauchemar la disparition de la République et de la démocratie? C’est comme si nous avions changé de pays, nous avons basculé dans un autre monde. Est-ce pour toujours ? Tout était pareil, la terre, le ciel, le soleil, mais la saveur des choses, le plaisir des jours n’existaient plus. La terre était en malheur, les roses mouraient plus vite que d’habitude mais rien ni personne ni guerre, ni aucun danger, ne peut tuer l’amour. »

"Je vous parle d'un temps...", disponible dans toutes les bonnes librairies insulaires, a été publié par Sepec Numérique pour Les Editions Anna Albertini (250 pages-15 €).

LV

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