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Billet de blog 20 septembre 2013

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CORSE : LA RESISTANCE 1938-1943. LES PATRIOTES INVENTENT LA LIBERATION

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Réseaux, maquis, missions secrètes de la France Libre, agents anglais infiltrés, dans l’île occupée par 80 000 soldats italiens. Parachutages et livraisons d’armes par sous-marins venus d’Alger. Fusillades, embuscades, survie au quotidien, liaisons radios, imprimeries clandestines, grottes dans le maquis, trahisons, arrestations, exécutions par l’Ovra (la gestapo italienne). Puis combats libérateurs du 9 septembre au 4 octobre 43. La Résistance (11700 patriotes portant brassards à tête de Maure) et les 5000 soldats des Bataillons de Choc et Goumiers marocains, sont face aux  divisions allemandes. Bataille ultime de Bastia ville martyr : la Libération de la Corse est une épopée. Cette libération, une surprise totale dans le paysage politique de 1943. Elle a alimenté en temps réel la réflexion et la volonté politique de de Gaulle, et accéléré la victoire des alliées.  L’île stratégique pour Hitler, s’est libérée avec un an d’avance sur les plans de Eisenhower, sans le concours des 6 divisons initialement prévues !

En 2013 se multiplient les hommages à la Résistance corse. Soixante dix ans après la création du CNR de Jean Moulin (27 mai 43) et la Libération de la Corse, suite à un appel à l’insurrection populaire lancé par le Front national de libération (9 sept.43). Cette libération anticipée, une surprise totale, fit renaître l’espoir partout en France, pour  vaincre enfin la collaboration de Vichy, le fascisme italien, les divisions nazies de Hitler.  Elle fût un processus politique et militaire qui a fonctionné comme un modèle pour le continent, une avant-première. Car en 43, le Général de Gaulle mène quasiment seul depuis son appel du 18 juin, une âpre bataille diplomatique. Le 9 sept à Ajaccio , la capitulation italienne est le signal attendu, le détonateur. Il faut raconte M. Choury, journaliste et dirigeant de la Résistance « profiter du désarroi des italiens avant que les Allemands ne se ressaisissent. Pas d’hésitation possible. Aux armes ! A bas Petain. Mort aux hitlériens.». L’appel à l’insurrection est lancé: « Debout la Corse pour la libération du joug allemand. Vive la France ! Vive la Corse libre ! » 1943 de Gaulle en visite dans la Corse libérée. Ces combats libérateurs se terminent le 4 octobre par la victoire de Bastia. De Gaulle évalue immédiatement l’ampleur du symbole, la portée politique de l’évènement. Visitant Bastia dévastée par de  violents bombardements puis Ajaccio le 8 oct. il déclare lors de son premier grand discours en métropole : « La Corse a la fortune et l’honneur d’être le premier morceau libéré de la France. Ce qu’elle fait éclater de ses sentiments et de sa volonté, à la lumière de sa libération, démontre ce que sont les sentiments et la volonté de la nation toute entière. (…) Les patriotes corses groupés dans le Front National auraient pu attendre que la victoire des armes réglât heureusement leur destin. Mais ils voulaient eux-mêmes êtres des vainqueurs. » . Le même jour devant les correspondants de guerre américains, anglais et français le chef de la France Libre ajoute : « L’exemple de la Corse concourra à galvaniser l’action des patriotes de France. L’écroulement de l’autorité de Vichy et l’établissement de la nouvelle administration se sont faits ici sans le moindre désordre. » ( Paul Silvani. Et la Corse fût libérée. Ed Albiana)

Après cinq ans de guerre, ses mots entrent en résonance avec un autre moment fort de la vie politique insulaire : le célèbre Serment de Bastia de 1938. Une riposte,  accompagnée de puissantes manifestations, contre les visées annexionniste du Duce. Un comité de défense de la Corse française regroupe partis politiques et syndicats. Jean-Thomas Ferracci, Pdt des anciens combattants déclareà Bastia (4 dec 38) : « Face au monde, de toute notre âme, sur nos gloires, sur nos tombes et sur nos berceaux, nous jurons de vivre et de mourir Français . Nous le jurons ( repris par la foule) ». Très italienne la Corse ? Dans l’Humanité Gabriel Peri évoque Munich : « Pas de Munich pour la Corse voilà l’exigence impérieuse des manifestants d’hier. Les travailleurs n’ont pas oublié la photographie des quatre Chamberlain, Daladier, Hitler, Mussolini penchés sur les monts de Bohème prêts à placer la Tchekoslovaquie sur le bloc opératoire. » ( P. Silvani. Et la Corse dut libérée. Ed Albiana)Néanmoins la « drôle de guerre », la débâcle  puis l’Occupation et le régime de Vichy s’installent. La Corse est zone libre jusqu’au 11 nov 42 date de l’occupation italienne. La Résistance s’organise contre la propagande de Mussolini qui , sans moyens militaires suffisants et pour des raisons stratégiques, reporte sans y renoncer sa décision d’envahir la Corse. L’historienne Hélène Chaubin ( La Corse à l’épreuve de la guerre. Ed Vendemiaire) éclaire la singularité de la Résistance insulaire en 1943 : « Les  transports maritimes sont aléatoires, la population subi des privations, une crise sanitaire. L’Occupation italienne accroit les tensions entre irrédentistes favorables à un rattachement à la Péninsule et patriotes viscéralement hostiles à cet expansionnisme fasciste. En 43, il ne s’agit plus de contre-propagande. Le mot-clé est désormais Libération, d’autant que la présence des Alliés en Méditerranée fonde cet espoir. » 2013 colloque des historiens et des anciens résistants à Bastia. Pour la première fois, les anciens de résistants de Haute-Corse (Anacr2B) invitent les historiens, lors des rencontres  « Histoire et Mémoire  de la Résistance Corse » (Bastia - 3 octobre). Fondamental, ce « passage de témoin » remet entre les mains de l’Histoire, le  travail de mémoire et de témoignages accompli par les anciens résistants en Corse (ANACR2A et ANCR 2B) depuis 1945.  Dont les Présidents Batti Fusella et Sixte Ugolini. Sous l’égide de Mme Hélène Chaubin du Comite d’Histoire de la Seconde guerre mondiale : on parlera réseaux, maquis, fusillades, actes héroïques, trahisons, missions secrètes de la France Libre, agents anglais infiltrés, parachutages et livraisons d’armes par sous-marins… La Résistance  insulaire (11700 patriotes portant brassards à tête de Maure ) plus les bataillons de Choc du Cdt  Gambiez et les Goumiers (4e div. marocaine de montagne) harcèlent et chassent finalement la Sturmbrigade S.S. Reichsführera et la 90 ème Panzer Grenadier à Sartène, Zicavo, Levie, Quenza, l’Ospedale, Zonza, Ste-Lucie de Tallano, Vezzani, Ghisonaccia, Aléria, le défilé de l’Inzecca, Piano, Pietroso, La Porta, Ficaja, Piedicroce, Campile, Ponte Nuovo, Barchetta, Casamozza, Champlan , Folelli, Borgo, Silvareccio, Col de Prato, Col de Teghime, Cagnoni, Bastia. 

La bataille de Bastia. Si à Ajaccio les renforts venus d’Alger entrent dans la ville sans combat et sans perte humaine, il n’en est pas de même à Bastia ville martyr que les allemands envisagent de détruire en totalité ! Ils tentent d’évacuer leurs troupes basées dans toute la Corse depuis Bonifacio jusqu’au Cap. En ville le couvre feu est total sauf entre 11h et midi. Les files d’attente s’allongent devant les fontaines et les magasins d’alimentation. Ordre est donné de remettre toutes les armes. Le 21 septembre la bataille finale de la Libération de la Corse commence. A 13 h violent bombardement aérien par les avions alliés. Les dégâts sont gigantesques à Terravecchia, en centre ville et dans le quartier du nouveau port : « la populations est prise de panique, des immeubles entiers d’effondrent, ensevelissant sous les décombres des familles entières. Cinq bateaux sont en feu. Le 22 une autre vague d’avions alliés bombardent Toga, La Place St Nicolas, l’Hôpital civil, l’Hôtel des Postes. Les allemands minent les ponts sur la route de Teghime pour protéger leurs retraites. Plus loin le pont routier de Casamozza est détruit comme ceux de Suerta, Miomo et Grisgione. »

De Gaulle à Bastia le message de la France combattante. Le 4 octobre le 73 ème Goum et le Bataillon de Choc placés sous le commandement du Général Martin sont les vainqueurs. Le Dr Zucarelli : « On remet au Capitaine Then le drapeau du 173 ème caché derrière la statue du Sacré Coeur des Jesuites. La ville reçoît la Croix de guerre avec palmes. Dans cette ville aux murs crucifiés s’élève un immense cri de joie ! L’atmosphère est enfin respirable. C’est le soleil de la libération. Comme par enchantement les rues de la ville se remplissent, nous crions tous Vive la France ! Devant les casques français je me dis le voilà le miracle de Lavasina. Faisant suite à une vibrante Marseillaise nous entonnons le Dio vi salvi Regina , l’hymne de nos ancêtres. » Le maire de la Libération Jacques Faggianelli témoigne : « Le 7 octobre le Général de Gaulle apporte le message de la France combattante dans Bastia libérée. Par des chemins bouleversés, sa jeep pénétra dans le ville martyr devant tout ce que contenait Bastia de population. Nous parcourumes à pied la zone encore brûlante devant le Vieux-Port. Devant la gare écroulée le général se recueillait brièvement et me dit : « Et maintenant que faut-il faire ? Qu’allez-vous faire ? La tâche ici est immense. Elle préfigure ce qu’elle sera demain dans notre pays reconquis »( Et la Corse fut libérée de Paul Silvani. Editions Albiana).  

Lors du Colloque des anciens Résistants de l’ANACR de Haute-Corse, le 3 octobre à Bastia, s’exprimeront dans l’amphithéâtre du Lycée Giocante de Casabianca : Hélène Chaubin, Hubert Lanziani (la Résistance dans le Niolo), Francis Pomponi (l’irrédentisme)., Ange Rovere (le Front National de Libération), Louis Lucciani (la répression de l’Opéra volontaria per la ripréssionne  del antifascismo et le Tribunal militaire). 

Seront présents des vétérans de la Résistance en Corse : Leo Micheli, Marie Stefanini, Marie-Antoinette Alfonsi, Jean-Dominique Albertini.  En 43 sont actifs en Corse des « réseaux  » et « mouvements » dont le Front National , qui joue un rôle essentiel d’unification. Dans l’île coexistent « 254 structures clandestines », oeuvrant dans l’ombre en coordination parfois avec les agents britanniques du SOE Special Operation Excutive, du BCRA de Londres Bureau central renseignement et action. Le quotidien de ces héros de la liberté, évoluant en osmose avec une population protectrice dans une île stratégique pour Hitler ? Hommes et femmes, ils combattent pour les libertés publiques et individuelles, anéanties par le nazisme et le fascisme. Tous risquent l’arrestation, la déportation, la torture, la mort. 

Leurs  missions ? Le renseignement, les transmissions codées, les filières d’évasion, les sabotages, les distributions de munitions (64 terrains de parachutage dans l’île). Avant le 8 septembre (armistice de Mussolini) et les colonnes allemandes venues de Sardaigne : la Corse a réceptionné de nombreuses opérations dont  « Sea Urchin » de Fred Scamaroni, Compagnon de la Libération. Arrêté à Ajaccio, torturé, il se suicide sans avoir parlé (19 mars). En mai, à la conférence du Front National à Porri, est décidé une « structure pyramidale clandestine de comités locaux » à Bastia, dans le Sartenais, en Casinca, en Balagne, à Petreto-Bicchisano.De nombreux résistants sont des militants communistes volontaires des Brigades internationales d’Espagne dont Dominique Vincetti (Silvareccio) qui  meurt les armes à la main à Casta en août 43, lors d'un débarquement d'armes du sous-marin Casabianca. Lui et ses camarade sont encerclés et sommés de se rendre aux Chemises noires de l’Ovra (gestapo italienne). Ils ouvrent le feu, tentent de forcer le barrage. Ensuite les carabiniers s'abattaient sur le village de Casta par centaines. Maisons défoncées, pillées, incendiées. Vingt-trois hommes étaient arrêtés, tous les autres prennent le maquis…En Casinca la figure emblématique est Antoine-François Vittori (1906-1977), communiste et révolutionnaire. Contrôleur des Postes  au Maroc, il est muté à Madagascar où il organise un mouvement anticolonialiste. Ensuite secrétaire du Secours Rouge international à Paris puis Commissaire politique de la XII ème Brigade internationale en Espagne, il dirige la Résistance dans le Front national aux côtés de Arthur Giovoni, Jean Nicoli, André  Giusti et Paulin Colonna d’Istria ( l'envoyé du général Giraud) l’unificateur de la Résistance insulaire. Jean Nicoli, héros de la Résistance insulaire , a organisé toutes les réceptions des armes pour l’île. Il fut arrêté à Ajaccio, torturé, et assassiné à Bastia par les carabiniers italiens, une semaine avant l’armistice de Mussolini. Quelques heures avant l’exécution il écrit à ses enfants : « Tout à l’heure je partirai. Si vous saviez comme je suis calme, je dirai presque heureux de mourir pour la Corse et pour le parti. La tête de maure et la fleur rouge c’est le seul deuil que je demande… » . Le groupe Canta u populu corsu lui a rendu hommage dans une chanson : "Eu quandu vegu l'inghjustiza. Cum'elli a ci volenu impone.Quantu mi pare sempra viva. Quella lettera testimone. Chè tù c'hailasicatu un ghjornu.In lu fondu din a prigione."

André Giusti lui aussi membre éminent du comité départemental du Front national il avait aussi été soupçonné d’avoir participé à l’attentat contre Pierre Laval. C’est un artiste lyrique qui a tourné dans des films avant-guerre et qui est né à Occhiatana. Il est tué par l’Ovra ( la gestapo italienne), lors de la fusillade de la Brasserie nouvelle Cours Napoléon à Ajaccio le 17 juin 43.
En 1943 entre sur la scène de la guerre secrète Paulin Colonna d’Istria. A Alger, il est adjoint du Commandant de la gendarmerie pour l’Afrique du Nord. Né à Petreto-Bicchisano il est préoccupé par le sort de son île natale sous la botte de Mussolini (dec. 42) et saura dans l’île se placer hors et au-dessus des rivalités entre mouvements qui furent si funestes à Jean Moulin sur le continent. Une première opération en Corse, qu’il organise mais à laquelle il ne participe pas suite à accident, est un échec. Ses compagnons S-C Andrei ( une école porte son nom à Bastia) et l’officiel anglais Vlaminck sont pris, torturés et exécutés à Bastia (7 juin. 43).
Rétabli, Paul Colonna d’Istria ( pseudonyme Cesari) est déposé par le sous-marin britannique Trident ( 4 avr. Travo près de Solenzara). Selon Paul Silvani Colonna d’Istria écrit dans ses Mémoires : « qu’il choisit de faire du Front national de libération, initié par le parti communiste insulaire, une plate-forme de base, le fondement d’une organisation élargie aux patriotes de toutes origines. Ce mouvement en dépit de ses insuffisances, était encore le seul debout sur lequel on puis s’appuyer". Il réalise ainsi « l’unité des mouvements et partis de la Résistance en Corse, fait unique en France ». Officier intrépide il réussit plusieurs opérations très risquées de débarquement d’armes, et in extremis il trompe avec A-F Vittori et A. Giovoni, la traque italienne à la grotte de Porri-di-Casinca son PC et site de l'imprimerie clandestine pour Terre Corse et Le patriote. Il réorganise la Résistance après les pertes de juillet et août ( Giusti, Nicoli, Vincetti, Mondoloni.) Le 22 sept le général Giraud lui remet la légion d’honneur : « Organisateur et chef de la Résistance corse, le chef d’escadron Colonna d’Istria, a pendant six mois mené sur sa terre natale, une vie de proscrit, relevant les énergies, armant les patriotes, préparant avec un courage indomptable la libération de son pays. »

Impulsée par l’appel à l’insurrection populaire du 9 sept. 43 : la Libération de la Corse, dynamique politique exemplaire, envoie un message fort vers les réseaux, maquis et mouvements du continent alors traversés de conflits et décimés par de nombreuses exécutions dont celle du Général Delestraint et de Jean Moulin. Sixte Ugolini Président de l’Anacr2B : « la Corse, premier département français libéré, a un comportement d’avant-garde et montre le chemin, fidèle à ses valeurs dont le rattachement à la France depuis 1789, se battant contre irrédentistes et fascistes. L’exemple de la Résistance corse ?  Une insurrection qui précède le mouvement des pays participant à leur propre libération, contribuant à offrir à de Gaulle, chef de la France Libre, la légitimité pour s’asseoir à la table des vainqueurs. » 

La clandestinité dans laquelle vivait les résistants, n’a jamais éteint, bien au contraire, les débats qui fondent la vie démocratique et les institutions républicaines. La Résistance à la tyrannie pour comprendre la politique et le  temps présent ? Cette question alimente depuis 7 décennies d’innombrables ouvrages historiques, témoignages, pièces de théâtre, romans et films. La connaissance de la Résistance est-elle une éducation à la vie citoyenne?  Hélène Chaubin : « Etudier la Résistance aboutit à mesurer les dégâts de l'ignorance qui donne le champ libre à toute les manipulations. Constamment en quête d' information, j’attache un grand prix au travail des journalistes. C'est à la qualité de l'information qu'on reconnaît la démocratie ! Rappelons l'effort des résistants, avec leurs pauvres moyens et les risques, pour lutter contre les propagandes qui piègent naïfs et ignorants. »

Liliane Vittori 

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