René Frégni à Bastia et à Sisco

A lire absolument : ses pages splendides sur Bastia, l’un des refuges d’une vie aventureuse et parfois hors la loi, qui a nourrit toute son oeuvre littéraire et son amour des mots. A Sisco le 20 mars, la Librairie des Songes s’est associée avec le Lycée bastiais Fred Scamaroni et le Domaine Hotel U Pozzu pour inviter l’écrivain multi primé René Frégni qui a publié une vingtaine d’ouvrages chez Gallimard traduits en huit langues. Né à Marseille, installé à Manosque, il n’a pas oublié ses racines de Piedipartinu en Castagniccia. Avec bonheur il est venu rencontrer les élèves d’une île où se sont déroulées certaines de ses aventures de « lecteur de grand chemin » passant d’une escapade à un cachot militaire… avec toujours le même appétit pour les mots et la littérature.

René Fregni a vagabondé avec de faux papiers de jeune déserteur antimilitariste entre l’Italie, la Turquie, la Grèce mais toujours accompagné de livres et de mots: « Je lus, dit-il adossé à tous les talus d’Europe, à l’orée de vastes forêts. Je lus dans des gares, les petits ports, les aires d’autoroute, à l’abri d’une grange, d’un hangar à bateaux où je m’abritais de la pluie et du vent. Le soir je me glissais dans mon duvet et tant que ma page était un peu claire, sous la dernière lumière du jour, je lisais. J’étais redevenu un vagabond, mal rasé, hirsute, un vagabond de mots dans un voyage de songes. »

Sa vie ressemble-t-elle à celles des insulaires exilés, qui cherchent fortune ici et là dans le chaos du monde, éternellement en quête de leur île, la seule vérité ? Toujours à la recherche de la vie et de la véritable signification des mots, René Frégni raconte ses lectures compulsives de Giono, Camus, Dostoïéveski, Hemingway, Trotski ou Kafka. Ecolier voyou de Marseille ou voyageur sans bagage, il a toujours vécu avec la littérature…lisant même le Dictionnaire avec carnet et stylo « pour apprendre le vocabulaire ». Dans son roman autobiographique « Minuit dans la ville des songes », des pages splendides relatent son séjour à Bastia en « sa troisième année de cavale ». De son premier café-croissant Aux Palmiers jusqu’à une bastide cachée quartier St Joseph, il vécut dit-il la plus merveilleuse année de son existence à Bastia « la plus belle ville du monde, un amphithéâtre dont l’immense scène est la mer. » Premier matin d’une de ses nombreuses évasion, René Fregni débarque Place St Nicolas: « Pas un seul uniforme aux environs; des parasols, des robes, de la lumière, une extraordinaire douceur. On ne ressent qu’un fois ou deux dans sa vie un tel souffle de liberté. J’avais eu raison de déserter. J’étais un bandit corse. »

Choisir l’écrivain René Frégni pour donner aux adolescents le goût de la lecture ? Une évidence pour Corinne Giordano enseignante en Lettres au Lycée Fred Scamaroni. Et un vrai succès pour les trois conférences de cet auteur Gallimard, très à l’aise face à trois classes de Secondes et Terminales en Baccalauréat Professionnel en Electricité industrielle et en Informatique et Systèmes numérisés. L’objectif de l’enseignante ? « Rapprocher les lycéens des enjeux de la lecture dit-elle afin de les aider à se construire en humain libre et émancipé, grâce au bagage culturel et lexical pour la maitrise du vocabulaire. Une orientation de mon projet pédagogique en accord avec la problématique des programmes. Le discours et la personnalité de René Frégni passent bien auprès de lycéens et ils en redemandent. Il leur a expliqué, j’ai été rebelle, je le suis toujours et j’écrit. Son récit autobiographique, son parcours atypique, pouvant déclencher une certaine identification des élèves qui se sentent eux-mêmes parfois comme réfractaires et marginaux. L’auteur a sèché les cours, il a une trajectoire d’errance mais il devient écrivain largement publié.»

Le lendemain, René Frégni a donné une conférence au Domaine U Pozzo de Sisco, un événement et des signatures dédicacées, organisé par Christophe Federici  qui a ouvert en 2022 La librairie des Songes à Sisco. Une première dans le Cap Corse. Après Marseille, Christophe Federici originaire de Cervione a choisi d’ouvrir cette librairie-café dans la ruralité, encouragée par la municipalité de Sisco. Jouxtant le stade et la salle des fêtes, La Libraire des Songes réunît celles et ceux qui ont l’amour des livres. Christophe Federici: « il s’agit de faire la promotion de la jeune littérature insulaire précédée par Jerôme Ferrari, Marie Ferranti, Marcu Biancarelli. Il y a en Corse un vivier littéraire et de nombreuses maisons d’édition dont Alain Piazzola, Clementine et Albiana. Il existe une écriture réellement moderne sur notre île, et je souhaite que les jeunes corses découvrent les auteurs corses. C’est pour cela que je suis ici. »

Dans l’existence de chacun et dans l’ensemble des conflits qui agitent la planète, il se pourrait bien que tout se résume simplement à des capacités de communication, d’expression et de vocabulaire pour vivre mieux et plus fort comme le proclame si bien René Frégni: « Je ramasse un mot, le flaire et le caresse, le met dans ma bouche comme un petit galet rouge et vert de rivière, puis dans l’une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèsent rien, ce nuage d’émotion. »

Liliane Vittori