En Balagne: le message humaniste des Rencontres Musicales de Calenzana

«En Corse, le musicien est considéré comme un passeur, parfaitement respecté, observé et identifié… ».

Denis Pascal, pianiste concertiste international et professeur au Conservatoire à Paris, évoque la ferveur, vécue en commun, par les interprètes et les publics des Rencontres Musicales de Calenzana. Dans toute la Balagne une 22 ème édition réunit 50 artistes dont la brillante formation des Résidents, 27 concerts (14 gratuits) sur 17 communes. Une épopée, dans les églises, les jardins, les places de villages, dédiée à la musique classique et à ses emblématiques compositeurs, Mozart, Bach, Couperin, Beethoven  Schubert, Chopin, Tchaïkofsky, Rachmaninoff, Satie, Debussy...

On pourrait être intimidé par l'univers monumental de la musique classique...Pourtant quand le piano envoie, quand les orchestres s’élancent avec conviction : le public est ensorcelé. Impossible de se détourner de l’ultra sensibilité humaine de ces chefs d’oeuvre absolus.

Dans les églises et places de village transformées en salle de spectacle : ces musiciens talentueux déploient le message altruiste de la

musique classique. Elle témoigne et illustre, sans les mots, la vaste palette des émotions humaines. Des moments de partage en phase avec la place fondamentale et particulière de la musique et du chant dans île. Denis Pascal: « en Balagne, nous vivons des moments exceptionnels de partage, ça veut dire avoir une expérience commune. Et ressentir que ce que vous approfondissez, cela existe véritablement aussi chez l’autre, même s’il n’est pas musicien. Juste présent, il écoute, il exprime son ressenti. Mon opinion ? La musique classique écrite est universelle et ici en Corse, on n’est pas seulement un artiste qui va divertir. C’est plus profond. Lors de notre premier récital autour de Parsifal à la Chapelle Ste Restitude, j’avais été bouleversé par l’accueil, le lieu, la bienveillance, et surtout le respect."

D. Pascal :  «le public insulaire vit une expérience intense, il n’aime pas le superficiel. Cette place fondamentale, particulière dévolue à la musique, n’est pas forcement celle qu’on trouve sur le continent. Les oeuvres de Wagner, de Bach, les requiem de Mozart, de Verdi, sont dotés d’une connotation liée à la spiritualité, ce que le public ici ressent fortement. Avec une exigence, la disposition de l’interprète avec l’oeuvre, c’est à dire sa sincérité."

Une remarquable osmose se manifeste, liant l’architecture sublime du patrimoine insulaire, les paysages avec les spectateurs et les concertistes. Comment la Corse joue-t-elle sa partition avec les violons et violoncelles, le piano, les flûtes et hautbois, les bassons et contrebasses à Belgodère, Costa, Galeria, Cassanu, Calenzana, Calvi, Lumio, Moncale, Montemaggiore, Palmentu, Palasca, E Ville di Parasu, Zilia, Felicetu, Cateri, Ile Rousse, Santa Reparata, Occhiatana?

Des militants culturels engagés ont invités des personnalités de la musique classique à diffuser le répertoire.

Jean Sicurani, directeur artistique des Rencontres Musicales de Calenzana a co fondé à la fois, le festival et les Résidents, véritable troupe de musiciens inspirée de l’opéra et du théâtre. Outre les programmations éclectiques de 21h30 (dont les thématiques de Betty Boop, Nino Rota, Soul Music etc…): les Résidents, assurent au quotidien les concerts classiques de 11h, de 18h , de 19h. Un parcours difficile et sportif, de 19 concerts sur cette édition 2022 avec « ce courage, cette envie artistique de diffuser un répertoire ». Résultat ? Une qualité internationale extrêmement élevée. Ils se connaissent depuis toujours, sont copains d’enfance, sont issus des mêmes promotions et forment comme une communauté artistique fidèle à la Corse, qui permet aussi l’émergence de talents insulaires dont la violoniste Elsa Moatti, le guitariste Antoine Belgodère, le pianiste Olivier Cangelosi.

Militant culturel engagé et ancien de A Filleta, Jean Sicurani commente le concert d’ouverture dédié à Mozart: « une illustration parfaite de la chaîne artistique et esthétique qui continue la trame de l’histoire de la musique, et petit-être même de l’histoire de la beauté… La musique classique avait déjà connu son moment de gloire en Balagne avec les Nuits d’Alziprato des années 70. J’étais gamin, une chance inouïe pour moi car j’y ai assisté et ma famille est mélomane. Nous avons crée les Rencontres du Chant Polyphonique de Calvi, une institution qui fête sa 33 ème édition.

Au début les habitants pensaient que le classique n’était pas fait pour eux, maintenant ils adhèrent et les communes sont demandeuses. Nous tournons dans 17 villages, avec une politique tarifaire et des concerts gratuits… On a de nouveaux maires plus jeunes, plus dynamiques. Ils sont de tendance politique corsiste, autonomiste. Les  nationalistes corses ont revendiqué notre culture pour la partager. Cette prise de conscience culturelle , c’est le même élan partout en Corse. On est porté par cette terre corse, l’ouverture et le partage. Et c’est du militantisme parce que c’est dur! Il y a des contraintes, il faut boucler les budgets ».
Sur l’année 2023 sont prévues Les Invernale Scontri et Cuncerti en février, et l’Accademia di musica classica en avril (stages et masterclass).

LV