Les Corses n’ont pas oublié les couacs et la gestion calamiteuse de Manuel Valls lors de la grêve SNCM de juillet 2014. A Marseille, des bateaux occupés par la CGT bloquant le trafic fret et voyageurs entre Corse et continent, et des socioprofessionnels insulaires exaspérés sont tabassés dans la Préfecture 2B à Bastia. Les flux économiques entre île et continent alors fortement impactés… comme si Paris n’avait pas intégré la notion stratégique d’insularité et de trafic maritime en regard d’objectifs de croissance et de paix sociale. Ces évènements dramatiques ont fortement perturbé l’été, saison économique cruciale en Corse. A ce jour, nul ne sait comment et quand l’économie de l’île s’en relèvera. La Corse pourtant est l’exemple même du passage d’une économie administrée ou domine l’emploi public, à une croissance liée à l’entreprenariat privé. La Loi Macron imposée via l’article 49-3, sera discutée au Sénat en avril prochain. Dans l’île comme ailleurs, elle est censée relancer la compétitivité et l’emploi et favoriser ici les nombreux potentiels insulaires. Voici l’éclairage de Mme Emmanuelle de Gentili Conseillère Exécutive de Corse en charge des Affaires Européennes, Présidente de l’Office d’Equipement Hydraulique Corse, 1ere adjointe au Maire de Bastia. Selon l’élue socialiste, la Corse serait passée d’une économie de perfusion à une économie de production qui « signifie projets, marchés de niche, créations d’entreprises, nouveaux secteurs, innovation ». Loin devant les combats idéologiques passeïstes du Front de Gauche et en phase avec Emmanuel Macron la Conseillère territoriale résume : « l’idée d’entreprendre ne doit pas s’opposer à une approche sociale de l’économie. »
La Loi Macron de croissance et compétitivité est-elle particulièrement favorable ( insularité, rattrapage, relance ) à l’économie corse, qui est contrainte et fragile ? E. de Gentili : La loi Macron s’attache à réformer, à dynamiser l’économie et à simplifier les procédures. Ces mesures concernent bien entendu la Corse mais elles ne lui sont pas spécifiques. Les entreprises insulaires se plaignent de la lourdeur des charges et des procédures, des blocages et des freins de l’économie française. La loi Macron va dans ce sens. En ce qui concerne la Corse, je suis pour l’application de règles fiscales, politiques et financières tenant compte de notre territoire, de notre tissu économique et de notre potentiel pour mettre en œuvre notre modèle économique
Vous constatez que la Corse est passé d’une économie de perfusion à une économie de production. Qu’en est-il aujourd’hui ? E. de Gentili : La perfusion signifie attendre la subvention de manière passive comme si elle était éternelle. La production signifie projets, marchés de niche, créations d’entreprises, nouveaux secteurs, innovation. On peut regretter que l’on n’ait pas utilisé cette époque « d’argent facile » pour imaginer l’après. Mais je crois que les corses ont compris que l’emploi public va devenir l’exception même si les besoins de services publics existeront toujours. Mais il faudra les redéfinir en tenant compte des évolutions de la société et faire en sorte que les missions de service public interviennent là où il y a carence du privé. Les politiques publiques doivent s’employer à réduire les inégalités. Elles doivent également, comme le fait la loi Macron, servir de levier à la création d’emplois durables dans le privé. L’idée d’entreprendre ne doit pas s’opposer à une approche sociale de l’économie. Les salariés et les patrons sont associés dans la même aventure. L’entreprise repose autant sur les uns que sur les autres surtout dans un tissu de TPE. Protéger, innover et créer c’est un contrat gagnant-gagnant ! D’ailleurs de plus en plus de jeunes diplômés de notre université souhaitent créer leurs propres entreprises. Depuis plusieurs années les entrepreneurs sont inventifs et cherchent à développer des produits à forte valeur-ajoutée qui témoignent de leur dynamisme. Je pense à l’agriculture, l’agroalimentaire, à la filière viticole bien sûr, mais aussi aux cosmétiques, aux énergies renouvelables et aux NTIC. Cette nouvelle économie est encore fragile et il appartient aux responsables politiques de la soutenir pour qu’elle se renforce et devienne durable, en créant les conditions de sa réussite et en obtenant les outils fiscaux adaptés. Je suis consciente des difficultés que rencontrent nos entreprises et de la crise qui frappe la Corse, mais je suis convaincue de ses atouts pour réussir cette véritable transition économique.
Le maître-mot politique de la vision du Ministre de l’Economie ? Cette loi est-elle un tournant, aussi adapté à l’économie corse, aux enjeux locaux dans les Régions en matière de relance et d’emploi ? E. de Gentili : Le maître mot est le déblocage de l’économie. Face aux blocages sévères de l’économie nationale et locale, il faut oser autre chose tout en approfondissant rapidement le volet social. La loi Macron est certainement une première étape mais une loi à elle seule, ne résout jamais un problème complexe. Elle est un élément de la solution. Il faut poursuivre le chemin de l’adaptation de l’économie française au monde qui l’entoure, afin de la rendre compétitive mais sans perdre son âme. Il faut mener en parallèle une politique sociale lisible et protectrice. Il faut également poursuivre le chantier important de la réforme du dialogue social et du rôle des syndicats. Nous serons vigilants sur l’application et les conséquences de la loi. Nous espérons qu’elle aura des effets positifs sur l’économie.
Peut-on attendre une relance des TPE PME, un « déverrouillage » grâce à la Loi Macron dans divers secteurs et filières insulaires? E. de Gentili : Les possibilités de « déverrouiller » certains secteurs ou certaines professions existeront comme ailleurs. Des jeunes diplômés pourront par exemple s’installer plus facilement. D’autres dispositions concerneront peu notre territoire comme par exemple les transports en autocar sur les longs parcours. Il est trop tôt pour présumer de toutes les opportunités que la loi donnera à la Corse. En ce qui concerne le travail dominical il faut bien entendu que les salariés puissent choisir librement de travailler ou pas. Mais pour ceux qui le souhaitent cela peut contribuer à élever leur pouvoir d’achat et à ouvrir de nouvelles opportunités touristiques à notre île. La Corse est aussi une zone frontalière qui est normalement synonyme de flux. L’anomalie chez nous c’est que nous ne sommes pas ou peu connectés à nos voisins immédiats voire plus éloignés comme bien sûr les italiens et les catalans. En Corse on ne peut donc pas voir qu’un aspect du développement économique. Nous devons avancer sur plusieurs fronts. Les dispositions de la loi Macron doivent être couplées avec une politique des transports sécurisée et une politique touristique attractive. Les consommateurs insulaires ne pourront pas à eux seuls être facteurs de croissance quand bien même les magasins seraient ouverts le dimanche. C’est une question de pouvoir d’achat. Par contre si l’on fait venir des acheteurs de l’extérieur, de l’international en proposant une offre particulière sur nos productions, nos établissements de tourisme, nos magasins, cette loi pourrait avoir un effet positif. En tout état de cause tout ça ne pourra se mettre en place qu’en concertation avec les commerçants et les acteurs économique et avec l’accord des salariés.
Les zones touristiques internationales corses concernées par une libéralisation des ouvertures dominicales ? E. de Gentili : La nouvelle appellation de ZTI concerne des zones strictement délimitées par la loi comme les Champs Elysées, le boulevard Haussman, la place Vendôme, certains quartiers de Nice, Cannes ou Deauville et ne concerne pas la Corse. On ne s’improvise pas international. Il faut que le chiffre d’affaires soit tourné vers l’international hors Union européenne, ce qui n’est pas pour l’instant le cas de notre île. Mais attirer une clientèle étrangère pourrait devenir à termes un objectif.
A l’Assemblée de Corse que répondez-vous aux élus Front de Gauche qui critiquent sévèrement cette loi ? E. de Gentili : Il faudrait plutôt leur poser la question. La motion de censure a révélé les fractures au sein du front de gauche. Seuls six députés sur dix ont voté contre la motion. Ils ont fini par joindre leurs voix à l’UMP et au FN !
La majorité territoriale comme la majorité gouvernementale à l’Assemblée Nationale sont-elles menacées par les désaccords sur la loi Macron ? Votre riposte politique face à au "passeïsme" économique, la posture du Front de Gauche est-elle légitime? E. de Gentili :Le front de gauche de l’Assemblée est déjà dans une posture d’opposition à la politique du gouvernement. Chacun fait ses choix et prend ses responsabilités. La suite dira qui avait raison.
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