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Le 4 octobre 2015 : 72è anniversaire de la Libération de la Corse en 1943. Pourquoi le mot corse « maquis » fût-il adopté par la Résistance continentale ? Et quel fut l'impact historique de la Libération (anticipée !) de l'île en avance sur les plans des Alliés en Méditerranée ? Voici l’histoire exceptionnelle des fils communistes d'Ange Vittori, et de leur soeur Dévote (agent de liaison). Une épopée anticolonialiste et antifasciste, depuis Madagascar, le Secours Rouge, les Brigades Internationales en Espagne jusqu’à la Résistance en Corse, le Maquis d’Ols (Aveyron) et l’Armée de Lattre.
« Maintenant, le Maquis n'est plus l'apanage de notre Corse, il y en a un peu partout, car le bon exemple est contagieux. »: Ange Vittori (instituteur, maire de Porri-di-Casinca) écrit ainsi à l’un de ses fils, le Commandant Marc (dit Bébé) qui dirigeait alors le fameux Maquis d’Ols en Aveyron (1944). .

Idéalistes et engagés. Sa fille, Marie-José Augey-Vittori, Présidente de l'Anacr Aveyron, accomplit un double travail de mémoire, en hommage à la Résistance et en hommage aux Vittori, une famille "pas comme les autres " composée de militants communistes, idéalistes, visionnaires et profondément engagés dans les combats en faveur de la démocratie. Son père, ses oncles, les anciens et toute cette famille (les femmes aussi ) ont tous et toutes suivi un parcours extraordinaire, au plus prés de l’histoire européenne et du grand maelstrôm des idées qui caractérise le XXème siècle. Une branche de la famille Vittori (basée à Porri-di-Casinca ) en phase aussi avec l’histoire, si longue, si riche,
si méconnue de la Corse. Une île qui s’est « libérée par elle-même » selon les mots de Gaulle, dès octobre 1943, suite à un processus politique particulier d'union nationale à l'échelle de l'île.

Lequel fût vécu comme une répétition générale, une leçon politique et diplomatique, un rayon de soleil et d’espoir pour la Résistance continentale, en cette terrible et décisive année 1943. Le mot corse maquis "a macchjia" est adopté par la Résistance continentale. La Corse se libère suite à un appel à "l'insurrection populaire" dont le principe fût décidé lors d'une conférence régionale clandestine tenue à Porri en mai 43.
Les combats pour la Libération de la Corse sont lancés dès l'armistice de Mussolini empêchant aussi Hitler de disposer de l'Ile de Corse comme base intermediaire de repli en Méditerranée. Le Général Eisenhower avait prévu 5 divisions pour libérer la Corse mais les Résistants corses chassent deux divisions allemandes en un mois du 8 septembre au 4 octobre 1943. Charles de Gaulle le chef de la France Libre est ovationné dès le 8 octobre dans Ajaccio puis Bastia libérées. Et c'est (peut-être ?) ainsi que le mot maquis ( "a macchja" en langue corse) devient le symbole des maquis qui s'organisèrent dans toute la France, alors encore occupée par l'armée allemande. Selon Wikipedia "maquis" fait référence à la végétation méditerranéenne, et plus encore à l'expression d'origine corse « prendre le maquis », signifiant se réfugier dans la forêt pour se soustraire aux autorités ou à une vendetta. Sur cette famille épatante : voici des documents inédits et le témoignage de Marie-José Augey-Vittori Présidente de l’Anacr-Aveyron. En effet, les fils d’Ange Vittori, ont participé étroitement à tous les combats pour les valeurs de la République. D'abord les luttes de libération (Maroc 1927, Madagascar 1929) puis la fondation à Paris du Secours Rouge (1934).

Puis les Brigades Internationales en Espagne (1937) suivie de la Libération de la Corse (1943), de la Résistance en Aveyron (1944) et de l’intégration dans l’Armée de Lattre de Tassigny (Vosges et Allemagne 1945).
Pour apprécier la lettre de Ange Vittori à son fils, il faut se souvenir du contexte et de l’état de la Corse en 1944. Il faut imaginer l’Europe en guerre totale contre la dictature nazie et des communications coupées pendant 5 ans entre le continent et l’île ! Et aussi 80 000 soldats italiens occupant la Corse et vivant sur les ressources insulaires. La presse censurée, les éxécutions commises par l'Ovra (police de Mussolini), la clandestinité pour les militants politiques dans un contexte d’abolition des libertés publiques et individuelles. Et imaginer de plus , ce que fût, dès fin 43, l’engagement ou l’enrôlement des Corses ( 22 classes d’âge pas moins !) dans les armées et les Corps Expéditionnaires de la France Libre, les tragédies, les privations, la faim et les cartes d’alimentation jusqu’en 1947. Et plus grave, hier comme aujourd’hui, une certaine désinformation entre Paris et la Corse, et donc le besoin toujours vif de la population insulaire de rétablir la vérité historique.
Liliane Vittori.

Le témoignage de Marie-José Augey-Vittori « Ma famille…une page de notre histoire et puis…l'Histoire. » Un, jour, j'ai écrit…"Mon grand-père Ange-Pancrace Vittori de Porri, était instituteur, un de ces hussards de la République, gardien et défenseur des valeurs républicaines…. ». Il s'agissait, alors, pour moi, de parler de mon cheminement,

de femme, de citoyenne et de mon métier d'enseignante. Oui, pourquoi et comment fait-on ce choix quand on a été pétrie de ces valeurs? Comment les transmettre? Quand on a été témoin de la force de l'engagement d'une famille, malgré les doutes, les souffrances, comment ne pas s'engager, soi-même? Aujourd'hui, au sein de l'ANACR "Association Nationale des Anciens Combattants et Amis de La Résistance" dont je suis la Présidente en Aveyron, je m'emploie à transmettre cet idéal auprès des jeunes, via le Concours National de La Résistance et la Maison de la Résistance à Aubin que nous avons créée.

L'espoir vient de ces jeunes, car le danger est partout avec le retour des extrémismes. Avec aussi la récupération de la Résistance, par certains groupes dont les valeurs sont parfois discutables et parfois loin des idéaux vécus au jour le jour par les véritables héros de la Résistance.



Ce contexte actuel nous encourage et nous aide pour rétablir la vérité et parler de ces hommes, de ces femmes qui ont donné leur vie pour cet idéal, par-delà leurs souffrances. Résistance, fascisme, la connaissance historique authentique est, par ses résonances contemporaines, un enjeu du combat démocratique. Les miens, ces Vittori en sont un exemple extrême… Et toi ? Comment vas-tu ? Et ou es-tu ? Une famille parmi d'autres, une famille pas comme les autres. Le père Ange est instituteur et maire de Porri (1939-1966).



Voici ce qu’il écrit en 1944 à son fils Bébé, le Commandant Marc : « Maintenant, le Maquis n'est plus l'apanage de notre Corse, qu'il y en a un peu partout, car le bon exemple

est contagieux. Lorsqu'on parlera et reparlera du maquis corse, on ne le représentera plus avec des hommes armés du mousquet, mais comme un peuple de patriotes, qui aiment faire leur devoir, aussi bien là, que sur le champ de bataille. Toi aussi, mon fils chéri, tu l'as fait ton devoir de bon Français, tu as été l’égal et même plus de tes frères en Corse. Tu as prouvé à ceux qui t'ont fait souffrir que tu valais plus qu'eux, que tu es plus français qu'eux, car, ils ne l'ont jamais été, ceux qui ont torturé des patriotes! Nous aurions tant de choses à nous raconter sur les événements de Corse et du Continent qu'on ne peut les aborder sur le papier.

Sache toujours que notre village a été un des principaux centres de Résistance. Marie, qui doit t'avoir rejoint à l'heure actuelle, doit t'avoir raconté par le menu, ce qui s'est passé. Et toi ? Comment vas-tu? Et où es-tu? » Les enfants de Ange Vittori. Il y a Dévote (et son fils Simon), François (Sénateur de la Corse en 1945) dont l’épouse Berthe parcourait les routes de Corse avec sa belle- sœur, Marie, pour porter les messages. Et aussi Aurèle, engagé dans les Brigades Internationales en Espagne il est tué à Cuesta da Reina en 1937. Paul-Antoine engagé dans l'armée d'Afrique a rejoint son frère Bébé dans les Vosges (Bataillon de l'Aveyron). Quant à Bébé, après l’Espagne, il est emprisonné (1940 à 1943) pour " menées résistantes ». A Villefranche-de-Rouergue, il s'évade (août 1943) , attaque la prison une première fois, sans succès. Il crée alors le « Maquis d'Ols » baptisé « Dominique Vincetti ». Toujours la même fidélité.

Dominique ( de Silvareccio) était avec les Vittori en Espagne et fut tué à Casta, lors d’un transport d’armes débarquées (plage de Saleccia) du sous-marin Casabianca venu d’Alger (juillet 43). Bébé " le Commandant Marc", à la tête de ce maquis d’Ols (2800 hommes), participe à la Libération de l'Aveyron. Devenu en juillet 1944, le « Premier Bataillon de l'Aveyron » cette unité partira au front (sept.1944) de la gare de Rodez. Intégré à la Première Armée française (de Lattre de Tassigny), ce bataillon toujours sous le commandement de « Marc », fait toute la campagne des Vosges puis sera le premier à franchir le Rhin (mars1945). Paul blessé, diffère son retour à Porri pour se faire soigner à Alger.

Damien, résistant actif depuis notre village de Porri-di-Casinca, avait en1943 installé la Grotte de la Résistance et l'imprimerie clandestine d'où seront édités tracts et journaux. Ma famille c’est une page de notre histoire et puis…c’est l’Histoire. Ils ont vécu le danger, la séparation, la mort, et cependant, militants de toute une vie, sans relâche, ils ont transmis ce en quoi ils croyaient et pour quoi, ils se sont battus pour les valeurs de la République, édictées par le Conseil Nationale de la Résistance. »
Marie-José Augey-Vittori

Voici ce que Ange-Vittori, depuis Porri-di-Casinca, écrit à son fils : « Je te disais dans ma première lettre, la joie indescriptible que nous avons ressentie à la réception de l'annonce de la grande part que tu as prise à la Libération de la France. Il y avait si longtemps que nous n'avions pas de nouvelles et nous étions bien inquiets car nous savions que dans les Maquis du Continent, ça chauffait dur. Maintenant, le Maquis n'est plus l'apanage de notre Corse, qu'il y en a un peu partout, car le bon exemple est contagieux. Lorsqu'on parlera et reparlera du Maquis corse, on ne se le représentera plus avec des hommes armés du mousquet, mais peuple de patriotes, qui aiment faire leur devoir, aussi bien là que sur le champ de bataille. Toi aussi, mon fils chéri,

tu l'as fait ton devoir de bon Français, tu as été l’égal et même plus de tes frères en Corse. Tu as prouvé à ceux qui t'ont fait souffrir que tu valais plus qu'eux, que tu es plus français qu'eux, car, ils ne l'ont jamais été, ceux qui ont torturé des patriotes! Nous aurions tant de choses à nous raconter sur les événements de Corse et du Continent qu'on ne peut les aborder sur le papier. Sache toujours que "notre village" a été un des principaux centres de Résistance, Marie, qui doit t'avoir rejoint à l'heure actuelle, doit t'avoir raconté par le menu, ce qui s'est passé. Et toi? Comment vas-tu? Et où es-tu? Inutile de te le demander, c'est à ta place, ,les évènements et les difficultés ne peuvent pas te dépasser; lorsque j'entends les communiqués, je me dis: "Il est LA, il y a pris sa part. Il y a quelques jours, nous avions espéré te voir arriver en Corse, et par conséquent, au village. Cela aurait été pour nous, une grande joie, surtout pour petit Aurèle pour qui, je ne sais quelles expressions employer. Comme il serait heureux s'il pouvait sauter au cou de son papa, il est plus fier qu'Artaban! Il prétend toujours le reconnaître ,il l'affirme, je ne suis pas certain, car tu dois avoir changé. Ton fils n'est plus un bébé c'est un joli garçonnet qui fait des niches à son pépé. IL est particulièrement heureux d'allumer ma cigarette avec le "luminellu".Faire des dessins, des lettres, des chiffres, et des bateaux sur la cheminée, qui est son tableau noir et aussi son passe -temps! Tu trouverais si tu venais, Porri bien changé, plus de jeunes, ils ont été emmenés, ou engagés, rien que des cheveux gris. J'espère que vous rentrerez tous prochainement en apportant votre joie bruyante et victorieuse. Notre désir à tous est ainsi, mais votre volonté ne fléchira pas, je le sais et j'ai confiance en toi. Ton papa qui t'aime et qui y pense. »
Ange Vittori.