Le Fipa 2018 et sa centaine de programmes sélectionnés (sur 1600 visionnés) forment un kaleidoscope multifacettes et multi couches, d’un monde en folie et déstabilisé mais ultra créatif et connecté. Un monde qui serait à bref délai, pris entre diverses tendances majeures liées à la vie politique et démocratique. D'une part, il est évident que l'on constate une option sécuritaire omniprésente et parfois plébiscitée par les opinions publiques. D’autre part, émergent aussi des dynamiques politiques et sociales (certaines à l’échelle des Etats), dont les impacts sont imprévisibles sur les grands équilibres mondiaux. Ensuite coexistent des aspirations à la non violence et de ce point de vue le Fipa a sélectionné de nombreux films, fictions comme documentaires) engagés sur la question cruciale des luttes contre les violences subies par les femmes, depuis le harcèlement au travail jusqu’aux viols comme arme de guerre.
Autre tendance ? La capacité (ou l'incapacité ) de certaines sociétés et de certains pays à parvenir à se débriefer, à oser aborder des sujets tabous, via leurs programmes audiovisuels.
Comment le réel, la situation d'un pays si complexe soit-elle, va-t-elle inspirer les cinéastes et les documentaristes ? La cérémonie d’ouverture du FIPA 2018, a proposé à notre réflexion, un épisode de la série israélienne « Fauda ». Un mot qui signifie « chaos », tout simplement, pour une production qui connait un succès planétaire et qui traite des opérations des forces spéciales contre un chef du Hamas. C'est un concentré des problématiques posées en Israël et ailleurs dans le monde...
De plus, à cette programmation du Fipa 2018 centrée autour d’un extraordinaire et captivant « Focus Israël », s’ajoute les développements de la création numérique , la disruption dit-on. C'est à dire des thèmatiques longuement discutées lors des conférences du Fipa Industry, des moments qui constituent un must unique au monde et qui font du Fipa, un acteur européen majeur d’une création plurielle et exigeante.
Comment et pourquoi choisir tel type de format de diffusion ? Comment exploiter « la puissance narrative des séries documentaires »? Quelle relation animer avec les internautes et comment fonctionnent les documentaires multi-plateformes, immersifs, interactifs et en VR ( réalité virtuelle) ?
Lors de la débat dédié aux « opportunités créatives en documentaires »,
Agnès Chauveau de l’INA a ainsi révélé, que les millions d’images d’archives de la télévision française conservées par l’Institut National de l’Audiovisuel - et désormais traitées, montées, contextualisées, valorisées pour la chaîne France Info - ont enclenchées un véritable phénomène d’audience vers le site internet de INA qui est ainsi sorti d’une espèce de long sommeil ! Ainsi en un an seulement , le chiffre des téléspectateurs-abonnés-followers a doublé passant de 220 000 à 440 000 consultations.
Le FIPA 2018 c’est une équipe renouvelée autour du Délégué général François Sauvagnargues, plus une nouvelle présidente Anne Georget venue de la Scam. Vendredi se dérouleront la présentation des résultats du Hackathon, des line-up dont celle de FranceTélévisions, des « études de cas », des tables rondes (Fipa Campus, Campus Doc).
Le Fipa une zone libérée de la démocratie ? Question au Délégué général du Fipa sur le rapport entre la programmation du festival et l’état politique du monde ? François Sauvagnargues : « la politique est le thème sous-jacent de nombreux films en Europe, traitant notamment du populisme, du séparatisme. Nous avons sélectionné le film Patria sur la Catalogne qui donne la parole à tous les protagonistes avant le référendum et la suite qu’on a connu. On voit aussi qu’au Chili, le passé de Pinochet n’est pas passé. Concernant la sélection israélienne, la question politique est au coeur des débats, avec des films qui l’abordent selon des angles tous différents, c’est central et cela animera encore longtemps la reflexion des auteurs. The Gatekeepers est un film merveilleux et incroyable, c’est pour cela que l’on a invité Dror Moreh, un cador de la réalisation, un cinéaste avec énormément de projets en cours. Ce film montre que les responsables des services secrets du Shin Bet , ont une vision iconoclaste de l’avenir du pays. Au Fipa, il y a aussi le film de William Karel, une production française sur les dix grands écrivains israéliens, une vision assez abrupte de la situation."
Sur la créativité des programmes israéliens, il ajoute : " en Israël comme partout, les créateurs sont critiques avec les pouvoirs en place. Mais à travers la fiction, ils ont la capacité sensationnelle de traiter du réel, de s’inspirer de ce qui les entoure, il y a des séries sur l’espionnage, du terrorisme, de l'insécurité. Mais ce qui au coeur de la création en Israël, c’est la question de l’identité. Cela traverse tout, entre Juifs et Arabes, entre Jérusalem et Tel Aviv. Cette question intéresse tout le monde, en France aussi avec les débats sur l’immigration. Qui sommes-nous ? En Israël ils ont une manière cash de traiter ces sujets. »
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Constat du « Focus Israel » du Fipa 2018: l’ensemble de la production israélienne est exemplaire, car elle est dotée d’une liberté de ton rarissime comme d’une confiance inébranlable (tout aussi rarissime), accordée au final cut et aux créateurs. Décomplexée, adossée à une société civile multiculturelle (10 millions d’habitants), affectée par des changements permanents et une guerre perpetuelle, la production israelienne affiche sa conviction « local is global ». Cela fonctionne bien auprès des téléspectateurs et des coproducteurs du monde entier notamment aux Etats-Unis et en Europe. En témoigne le succès mirobolant de « Shtisel » série fiction sur une famille ultra orthodoxe vivant dans un quartier ultra-orthodoxe de Jerusalem.
Cette configuration de la production télévisuelle en Israel, révèle la vitalité incroyable des réalisations, qui naviguent avec allegresse entre petits budgets, prototypes hors normes et coproductions mondiales dont « Hostages » et « Homeland ». Et si cela signifiait la capacité démocratique et la vérité d’un pays, qui tout en étant malmené par le populisme, reste encore libre ?
Comment montrer, filmer, témoigner, s'engager dans un projet de documentaire ? Au Fipa de Biarritz, les spots très attendus des professionnels restent les « masterclass ». Cette année Dror Moreh, le réalisateur de The Gateskeepers-Les Sentinelles, est revenu sur son parcours personnel et sur la génèse d’un documentaire hors normes, nominé aux Oscars et qui reste, à ce jour, une réalisation inouïe, exceptionnelle, unique par son sujet et son traitement. Le propos est axé sur les conditions et les process de la « prise de décision » au sein de structures de commandement, ici le Shin Bet, agence ( officielle) isréalienne du renseignement intérieur. Un peu comme si en France, avait été autorisé, produit et réalisé, un documentaire sur les arcanes secrêtes et les témoignages relatifs à l’opération Rainbow Warrior… Impensable dans ce vieux pays républicain, jacobin, souvent monarchique. Des reportages de ce type en Europe, existent ici et là, mais jamais un ensemble de dirigeants s’exprimant en leur nom et à visage découvert, sur ce qui pourrait encore tourmenter leurs consciences.
Dror Moreh, qui a aussi une formation en psychologie, est parvenu à faire accepter le principe de longs interviews à des officiers du Shinbet à la retraite mais eux-mêmes habitués à mener des interrogatoires. Sur sa technique des interviews pour le documentaire : « il faut traduire dit-il, le pur narratif en éléments visuels. Et faire émerger ce qui est sous-jacent chez les interlocuteurs qui sont aussi des êtres humains, mais il faut entrer dans leur têtes, pour savoir comment se fait la prise de décisions au plus haut niveau. J’ai fini par les persuader d’accepter d’être interviewés, en leur expliquant , je viens pour comprendre et pas pour juger. Cela n’a pas été facile. A certains moments ils sont filmés en longueur, en train de réfléchir, c’est plus important que ce qu’ils disent et on voit tout cela sur l’écran. C’est peut-être comme une rédemption et ils ont libéré leurs coeurs. Au final, le film est un aussi un message et une critique contre la colonisation des territoires, contre l’occupation, contre le contrôle permanent des palestiniens. ». Dror Moreh réalise actuellement un film aux Etats-Unis sur le travail des médiateurs-négociateurs dans le contexte des prises d’otages et des guerres urbaines.
Autre anamnèse captivante celle de Rotem Shamir le réalisateur de Fauda, série israélienne qui est un grand succès d’audience aux Etats -Unis ( en coproduction) mais aussi à Gaza et à Ramallah. Son film dit-il " est un cheval de Troie qui permet de faire émerger aussi le récit palestinien dans les salons israéliens".
Autre moment qui percute le spectateur du Fipa, le documentaire « Shadows » sur le vécu et les maltraitances, subis dans le cadre familial, par certains enfants des survivants de la Shoah. Qui aurait pu imaginer leurs souffrances ? Ce film donne à voir, en direct et sans filtre, les émotions et les pleurs. Comme cette scène hallucinante sur l’impossible dialogue et pardon, entre une mère très âgée et son fils. Autre fondamental des films israéliens, l’autodérision, la caricature, les gags, les palabres et la mise à distance de la politique et de ses discours convenus comme dans « Vicki & Me », l’histoire désopilante d’une Ministre de l’Education et de son conseiller chargé de rédiger ses discours. Ces productions prouvent que la société israélienne est capable de se débriefer elle-même et de dévoiler son intimité. Un grand pas en avant dont peu de pays sont capables exceptés ceux qui disposent d’une capacité de production adossée à un régime politique non totalitaire.
LV