Réactivité et lucidité exemplaire des élus de la Collectivité Territoriale de Corse qui débattent ce jour d’une motion extraordinaire sur la sécurité publique de l'île, dans le contexte des attentats meurtriers à répétition commis par Daesh en Europe. La Corse est-elle particulièrement exposée ? Existe-t-il sur le sol insulaire des foyers de radicalisation ? L’Etat propose-t-il une riposte adaptée ? Très déterminés, les deux présidents Gilles Simeoni ( Conseil Exécutif) et Jean-Guy Talamoni (Assemblée de Corse ) alertent : « Considérant que les institutions de la Corse estiment néanmoins qu'il est de leur devoir et de leur responsabilité de veiller à ce que toutes les mesures utiles soient prises par l'Etat en matière de prévention et de lutte contre l'islamisme radical, dans ses expressions idéologiques comme dans le risque d'attaques terroristes ; Considérant que la Corse apparaît actuellement particulièrement exposée ; Considérant la présence avérée sur le territoire de l'île de foyers d'influence salafiste, soit à titre permanent, soit à l'occasion de venues récurrentes dans l'île de prédicateurs se réclamant de ce courant qui, comme le rappelle Antoine Sfeir condamne « toute influence occidentale, comme le mode de vie et la société de consommation, mais également la démocratie et la laïcité ». Pour comprendre ce qui fait vibrer la Corse à savoir une conscience politique augmentée, les élus rappellent que depuis Pascal Paoli et sa première constitution, l’île est une « terre de terre de liberté de culte mais qu'elle ne saurait accepter ni communautarisme, ni intégrisme. »
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La réponse sociétale proposée par les élus (es) de Corse ? Incontestablement il existe dans l’île, terre d’accueil et d’intégration exemplaire, une expérience de la tolérance religieuse, du vivre-ensemble et un rejet massif de l’islam intégriste et rigoriste. Ainsi la semaine dernière des prédicateurs salafistes en djellaba ont été interdits d’entrer , par les fidèles musulmans locaux, dans une salle de prière à Bastia puis à Ile-Rousse. Peu après ils ont été chassés , par des estivants et des habitants, de la plage de la même Cité paoline en Balagne, où ils tentaient une prière publique. La motion de ce matin exige de l’Etat « des mesures coercitives de nature à empêcher toute présence ou manifestation du fondamentalisme religieux dont l’expulsion, conformément au droit, des imams tenant des discours incompatibles avec les valeurs
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et droits fondamentaux, la fermeture des lieux de réunion où de tels discours sont tenus ». Ils insistent sur « les multiples facteurs, fréquentation estivale, situation géographique, climat de stigmatisation contre la Corse sur les réseaux sociaux, pouvant conduire à exposer l'île à des risques majorés ». Sont prévus « des Etats généraux impliquant l'ensemble des forces vives de l'île ainsi que les représentants des différents cultes religieux autour du thème : La Corse et son peuple : quel modèle de société et d'appartenance citoyenne ? »
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De son côté le FLNC- du 22 octobre (Front de Libération National de la Corse qui a annoncé sa démilitarisation en 2014) a publié un communiqué reçu mercredi 27 Juillet à la rédaction CORSE-MATIN d'Ajaccio. Cette organisation clandestine adresse « un triple message » en s'adressant « aux musulmans de Corse", "aux islamistes radicaux de Corse" et "à l'Etat français". Aux premiers, le FLNC demande de "prendre position en manifestant à nos côtés contre l'islam radical (...) en nous signalant des dérives que vous constateriez chez des jeunes désoeuvrés, tentés par la radicalisation". Les clandestins en appellent à la "communauté de destin" pour "vaincre l'EI" si ce dernier revendiquait des actions "sur notre sol". S'adressant aux "islamistes radicaux" qualifiés de "prêcheurs de la mort" : "Votre philosophie moyenâgeuse ne nous effraie pas (...) Sachez que toute attaque contre notre peuple connaîtrait de notre part une réponse déterminée sans aucun état d'âme." CORSE-MATIN ajoute : « Enfin, les militants du 22-Octobre pointent la responsabilité de l'Occident - et donc de la France - dans la situation actuelle au Moyen-Orient. "Il faudra que la France cesse sa propension à intervenir militairement et vouloir donner des leçons de démocratie à la terre entière si elle veut éviter que les conflits qu'elle sème à travers le monde ne reviennent comme un boomerang sur son sol."
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Voici le discours de JEAN-GUY TALAMONI PRESIDENT DE L ASSEMBLEE DE CORSE. Session de l’Assemblée de Corse Le 28 juillet 2016 Discours du Président Jean-Guy TALAMONI*
Chers collègues,
Je souhaite aborder aujourd’hui le problème qui est dans tous les esprits depuis plusieurs mois et désormais chaque jour de Bagdad à Saint-Etienne du Rouvray… Je veux parler du danger que l’Europe et le monde doivent affronter : le phénomène islamiste et ses conséquences violentes.
Bien entendu, la Corse n’est pas à l’abri. En tant que garants des intérêts matériels et moraux de ce peuple, et bien que nous n’ayons pas toutes les compétences au plan juridique, nous devons en parler.
Nous n’en parlerons pas comme l’ont fait les politiciens du Palais Bourbon qui ont donné récemment un spectacle indigne. Chercher à faire de la récupération politique sur un tel sujet n’est pas une attitude responsable. Dire, par exemple, « avec moi, l’attentat de Nice n’aurait pas eu lieu » c’est prendre les gens pour des imbéciles dans un but purement électoraliste. C’est honteux.
Il s’agit là d’un sujet complexe mais nous devons cependant réfléchir et agir. Nous ne serions pas à notre place si nous n’en parlions pas.
Pour ma part, lorsque j’ai été élu Président de cette Assemblée, j’ai mis en place, vous le savez, trois conférences permanentes. L’une d’elle traite de la gestion de la diversité culturelle, sujet en lien avec nos préoccupations actuelles. Bien que nous ayons travaillé sur ces thématiques, je ne peux pas exprimer une vérité absolue. Je vous donnerai simplement mon point de vue, ma contribution au débat.
Je n’aborderai pas les sujets généraux étroitement liés à ce problème, comme l’impérieuse nécessité d’organiser l’Europe de la défense, car, malheureusement, cela ne dépend pas de notre volonté.
Je vous parlerai seulement de la Corse et, pour commencer, d’un lieu très symbolique pour nous : Ile-Rousse, la cité paoline.
ASSEMBLEA DI CORSICA ____________
U Presidente : " Il y a deux-cent cinquante ans, pendant la période d’indépendance, on votait déjà à Ile-Rousse comme dans toute la Corse. Un juif demanda lui aussi à voter. A cette époque, dans un pays chrétien, cela n’allait pas de soi. Face à cette demande, l’administration balanine consulta directement le chef de l’Etat,
Pasquale Paoli, pour savoir ce qu’il convenait de faire. Celui-ci répondit : « En Corse, la liberté ne demande pas l’avis de l’Inquisition ». Un homme honnête, installé sur le territoire national, qu’il soit chrétien ou juif avait le droit de vote. C’est par cette réponse que fût instituée la tolérance religieuse en Corse. Les historiens appellent ce fait « l’affaire du juif d’Ile-Rousse ». Cette tolérance ne s’appliquait pas seulement aux juifs : lorsqu’un bateau tunisien avait une avarie près de l’île, Paoli lui envoyait des secours.
L’Histoire est parfois curieuse. Deux-cent cinquante ans plus tard, il y a quelques jours, dans cette même cité d’Ile-Rousse, un autre évènement significatif est intervenu : quelques personnes arrivées d’on ne sait où, habillées comme à Raqqa, présentées comme étant des salafistes, ont voulu prêcher dans la salle de prière des musulmans. Ces derniers ont refusé et ces personnes se sont installées sur la plage d’Ile-Rousse pour entamer une prière publique. Les gens présents sur place leur ont demandé de quitter les lieux. Et ils ont bien fait.
Ces deux faits ile-roussiens symbolisent, me semble-t-il, une position juste sur le sujet : la tolérance religieuse d’un côté, de l’autre ses limites.
La tolérance religieuse est un élément majeur de notre tradition politique. Ceux qui veulent la remettre en cause ne peuvent se revendiquer de notre culture. Ceux qui confondent musulmans et salafistes et qui se préparent, au premier incident, à aller en bande dans les quartiers ou à frapper un homme venu ici pour y trouver du travail, ceux-là n’ont qu’à rester chez eux ou, s’ils en ont le courage, qu’ils aillent en Syrie combattre Daesh. A mon avis, ils ne seront pas nombreux.
Par ailleurs, je veux saluer l’attitude des religieux musulmans à Bastia et à Ile-Rousse qui ont fermé les portes de leurs lieux de prière à ces personnes. Dans les jours à venir, je demanderai à rencontrer ces responsables pour discuter avec eux de la situation actuelle.
Dans un contexte comme celui d’aujourd’hui, il est important de dire aux musulmans qui vivent en Corse qu’ils ne peuvent être solidaires des personnes, même issues de leur communauté, qui attaquent les pompiers ou qui diffusent des idées malsaines. De la même manière, nous, nous ne serons jamais solidaires des racistes, même s’ils sont Corses. La solidarité que nous devons renforcer est celle entre tous les hommes de bonne volonté qui veulent vivre en paix.
Les limites de la tolérance concernent les mouvements idéologiques ou sectaires, inconciliables avec nos valeurs. Les salafistes, y compris ceux qui ne pratiquent pas la violence, portent des idées qui conduisent à la destruction de notre société. Un exemple : on dit du racisme que ce n’est pas une opinion mais un délit. C’est vrai. De la même manière, la vision qu’ont les salafistes de la femme ne doit pas être considérée comme un point de vue mais comme un délit. Un imam qui refuse, dans une école ajaccienne, de serrer la main aux femmes, c’est inacceptable.
La loi est ce qu’elle est, mais on peut modifier les textes sans remettre en cause les principes de la démocratie. Par exemple, par sa loi du 22 mai 2014, la Belgique a introduit la notion de sexisme et les marques de mépris envers les femmes dans le droit pénal.
Sur ce point et sur plusieurs autres, le salafisme est contraire à l’essence et aux principes généraux du droit européen. Pour notre part, nous pensons qu’il est temps de déclarer en Europe que le salafisme, le wahhabisme et les mouvements semblables sont hors la loi. Il est temps également de fermer et bloquer les sites internet qui en font la promotion. En attendant ces décisions, qui ne dépendent pas de nous, et n’ayant malheureusement pas les compétences législatives, il me semble raisonnable de demander à l’administration française de faire en sorte que ces gens-là ne puissent plus arriver sur la terre corse où ils n’ont rien à faire.
En Corse, nous devons savoir qui prêche et ce qu’il dit. Il en va de notre sécurité. Tous les lieux connus pour diffuser des idées salafistes doivent être fermés.
Les voies qui conduisent à la radicalisation et à la violence islamiste sont nombreuses. On sait aujourd’hui que près de la moitié des combattants français de Daesh en Syrie ont grandi dans des familles catholiques ou athées. On compte également quelques Corses. Bien sûr, nous autres, politiques, avons besoin de savoir quelles sont ces voies. Elles ne constitueront jamais des excuses pour ceux qui s’y engagent. Nous les combattrons toujours de toutes nos forces. C’est tout le sens de la résolution que nous proposons, avec le Président du Conseil exécutif de Corse.
Il y a un peuple de droit sur la terre corse, c’est le peuple corse. Ce peuple a toujours pratiqué la justice et le respect de chacun. En ces temps troublés, ces valeurs demeurent les idées force qui nous conduiront sur le chemin de la paix.
Je vous remercie. JEAN-GUY TALAMONI PRESEIDENT DE L ASSEMBLEE DE CORSE. 28 JUILLET 2016-
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DISCOURS DE GILLES SIMEONI PRESIDENT DU CONSEIL EXECUTIF DE LA COLLECTIVITE TERRITORIALE DE CORSE;
Voici de discours de ce matin et la résolution prioritaire portant sur la sécurité publique et l’intégrisme islamiste
de Gilles Simeoni Président du Conseil Exécutif de Corse
Séance de l’Assemblée de Corse, jeudi 28 juillet 2016, Aiacciu Aiacciu, u 28 di lugliu 2016
Monsieur le Président de l’Assemblée de Corse,
Mesdames et Messieurs les élus,
Chers collègues,
Jour après jour, drame après drame, la douleur se fait plus aigüe, l’angoisse plus
forte, le deuil plus sombre et plus fort. Mes premiers mots et mes premières pensées vont bien sûr à toutes celles et tous
ceux qui ont perdu la vie ou été grièvement atteints dans leur chair du fait des attaques perpétrées par le terrorisme islamiste ces dernières semaines, en France, en Europe, et dans le monde, ainsi qu’à leurs familles. Certains d’entre nous étaient hier en la Cathédrale d’Aiacciu, pour un moment de recueillement et un hommage interconfessionnel au père Jacques Hamel, sauvagement assassiné.
Les femmes et hommes qui étaient là étaient de toutes confessions, ou encore athées ou agnostiques.Ils avaient simplement besoin d’être ensemble. Pour prier. Pour penser. Pour se dire à soi-même et dire à son voisin que par-dessus les religions, les langues, les couleurs de peau, il y a l’homme. Et il y a la vie.
Les fanatiques peuvent prendre des vies. Ils échoueront toujours à nous enlever notre humanité. Ainsi que notre envie et notre volonté de vivre ensemble. Là est notre premier devoir : celui du rassemblement, de la cohésion, de l’unité. Au moment où les démocraties sont frappées au coeur, où de lourdes menaces pèsent potentiellement sur chacun des endroits où nous avons un être cher ou tout ou partie de nos liens familiaux ou affectifs, nous devons faire face.Et nous devons faire face ensemble. Parce que ce qui nous rassemble, face à une idéologie destructrice et négatricede la notion même d’humanité, est infiniment plus important et plus fort que ce qui peut nous opposer. Notre deuxième devoir relève de l’urgence absolue. Il s’agit de prendre toutes les mesures utiles de nature à combattre efficacement le fanatisme et la barbarie islamistes. Ce domaine relève certes des compétences régaliennes de l’Etat. Mais les institutions de la Corse considèrent qu’il est de leur devoir et de leur responsabilité de veiller à ce que ces mesures soient correctement et effectivement prises, et ce aussi bien dans le domaine de la prévention contre le risque d’attaques terroristes sur notre sol que dans la lutte contre l’islamisme radical dans ses expressions idéologiques.
Concernant les dispositifs de détection et de prévention des risques d’attaque terroriste, je considère que j’ai le devoir là encore, en ma qualité de Président du Conseil Exécutif, de m’assurer de ce que les services de l’Etat adoptent, dans le cadre de l’exercice des compétences qui sont les leurs, les mesures adaptées à la situation. A ce titre, j’ai, à chaque rencontre d’importance avec des membres du Gouvernement ou avec les représentants de l’Etat dans l’île, abordé la question de la vigilance particulière à apporter à la sécurisation du territoire insulaire, eu égard à un certain nombre d’éléments objectifs de nature à exposer la Corse à des risques majorés. Je pense par exemple, et sans être exhaustif, à sa situation en Méditerranée, à la présence de la Base Aérienne de Solenzara, à l’importante fréquentation estivale et à ses multiples occasions de rassemblements festifs, à la multiplicité et à l’enracinement populaire des fêtes votives et religieuses, à la médiatisation importante, y compris au plan international, d’incidents pouvant servir de substrat ou de prétexte à une instrumentalisation idéologique par le terrorisme islamiste.
Nous sommes également en contact permanent, le Président de l’Assemblée de Corse et moi-même, avec le Préfet de Corse sur la question de la sécurité publique, et lui avons fait part, de façon précise et argumentée, de nos analyses sur les points de vigilance particuliers à prendre en compte et à traiter. Au-delà cette première catégorie d’éléments, l’actualité dramatique de ces dernières semaines appelle bien sûr un renforcement des dispositifs en vigueur, et une transmission d’informations densifiée de la part des autorités de l’Etat vers les institutions de la Corse. A ce titre, je demande solennellement à l’Etat, en ma qualité de Président du Conseil exécutif de Corse, que les mesures suivantes entrent en vigueur sans délai, et avec la plus grande rigueur :
‐ Mise en oeuvre des procédures de droit commun prévues à l’échelon du territoire français :
‐ Sécurisation renforcée des rassemblements festifs ;
‐ Sécurisation renforcée des fêtes et rassemblements religieux (15 août ; Santa) ;
‐ Sécurisation renforcée des établissements scolaires et universitaires ;
‐ Sécurisation renforcée des moyens de transports collectifs, et notamment des transports maritimes ;
Je propose également qu’un point mensuel soit effectué sur l’application et le suivi de ces mesures et qu’une communication publique, compatible avec les exigences de confidentialité de certaines dispositions, soit faite régulièrement par l’autorité préfectorale, aux fins de rassurer la population. Parallèlement au renforcement des mesures de sécurité, il nous appartient aussi d’être, individuellement et collectivement, attentifs aux indices ou éléments pouvant laisser présumer un risque. Il ne s’agit bien sûr pas de tomber dans la psychose, la paranoïa, ou l’alimentation de rumeurs, mais simplement d’insister sur le fait que la situation actuelle impose d’être vigilant. Les maires, les travailleurs sociaux, l’ensemble des citoyens, ont à cet égard un rôle important à jouer. Sans doute faudra-t-il s’orienter également vers l’organisation et la généralisation, y compris sur les lieux de travail recevant du public, de formations en la matière comme il existe des formations en matière de premier secours.
Combattre le fanatisme et la barbarie, c’est empêcher le passage à l’acte terroriste, c’est lutter politiquement et militairement, dans le domaine des relations internationales, contre les organisations et les Etats qui financent ou pratiquent le terrorisme, mais c’est aussi – et c’est le deuxième volet de la sécurité - interdire la propagation et la diffusion de l’idéologie qui en est le terreau.
Là encore, cette action relève des compétences régaliennes de l’Etat. Elle doit exercer dans le respect des règles de droit et des libertés fondamentales, mais sans faiblesse ni complaisance. Il ne peut y avoir d’accommodement ou d’inertie face à des discours de haine, d’exclusion, ou encore de remise en cause de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces discours portent atteinte aux valeurs fondamentales qui organisent et structurent les sociétés dans lesquelles nous voulons vivre, les sociétés dans lesquelles nous voulons que nos enfants vivent, grandissent, s’épanouissent.
L’Etat doit donc mettre en oeuvre de façon systématique les mesures coercitives de nature à interdire toute présence ou manifestation de fondamentalisme religieux. Qu’il s’agisse par exemple de l’expulsion des imams étrangers tenant des discours incompatibles avec les valeurs et droits fondamentaux, ou encore de la fermeture des lieux de réunion où de tels discours sont tenus.
La Corse est, depuis Pasquale Paoli, une terre de liberté de culte. Elle le restera. Mais elle ne saurait accepter ni le communautarisme, ni l’intégrisme. Ce refus de toute vision excluante ou fondamentaliste de la religion est partagé par la quasi-totalité des musulmans qui vivent en Corse, et qui, pour beaucoup d’entre eux, y sont nés, ont choisi d’y construire leur vie, et y sont donc chez eux.
Il faut à cet égard saluer l’attitude des représentants du culte musulman à Bastia et à l’Isula Rossa qui ont, voici quelques jours, interdit l’accès des lieux de culte à des prédicateurs salafistes. C’est une attitude courageuse. Et c’est aussi un élément supplémentaire qui vient conforter notre conviction que le moment est venu de construire une réponse politique de fond sur lemodèle de société dont nous voulons nous doter. Après la nécessaire unité, après l’indispensable renforcement de la sécurité publique, c’est aussi et peut être surtout à l’aune de cette réponse politique de fond que se gagnera le combat contre le fanatisme et la barbarie. Tous les analystes s’accordent en effet pour le constater : la guerre déclarée par l’islamisme, et notamment par Daesh, ne tend pas seulement à provoquer des pertes en vie humaine, à généraliser l’insécurité et la terreur, à desserrer l’étreinte sur les zones de combat militaire.
Elle vise également, et c’est le fond de la stratégie de l’Etat islamique tel que théorisée depuis plusieurs années dans ses différents écrits et manifestes, à faire éclater la cohésion des sociétés attaquées, et à généraliser une logique de guerre civile et interconfessionnelle. Les atrocités commises frappent y compris des musulmans, au nom de la seule distinction qui vaille aux yeux des fanatiques : celle qui oppose, selon la grille de lecture délirante dont ils se sont dotés, fidèles et infidèles. L’effroi et la colère que ces atrocités génèrent font le lit des assimilations abusives et des replis confessionnels : au clivage entre fidèles et infidèles répond alors, le clivage, tout aussi inexact et dangereux, qui opposerait musulmans et non musulmans.Cette logique est dangereuse et mortifère. Elle ouvre la porte au racisme, à la xénophobie, à la méfiance, voire à la haine. Il est de notre devoir de la combattre, sans faiblesse ni complaisance. D’abord par la réaffirmation des principes fondamentaux qui fondent notre vision du monde et de la vie en société : paix, démocratie, tolérance, humanisme, égalité entre les citoyens.Ensuite par notre capacité collective à apporter des réponses de fond au défi politique et civilisationnel que nous impose la situation actuelle : nous devons être capables de réinterroger la place du religieux et de la laïcité dans nos sociétés, et de proposer un modèle d’appartenance citoyenne qui donne sens et cohésion à notre destin collectif. Chacun doit apporter sa part à cet effort, y compris dans la construction d’une pratique religieuse compatible avec les valeurs fondamentales de la société corse.La Corse n’est bien sûr qu’un protagoniste modeste de ce débat qui se pose à l’échelle de pays, voire de continents entiers.Mais elle peut, une fois encore, contribuer, avec une portée politique qui va bien au-delà de son poids démographique ou géostratégique, à dessiner des réponses fortes et rassurantes transposables ailleurs, pour le présent et pour l’avenir.
Notre histoire collective est en effet caractérisée par un combat incessant pour les valeurs de démocratie, de liberté, de tolérance et d’ouverture. A chaque fois que le tocsin a sonné pour appeler à la défense de la liberté, les Corses ont su être au rendez-vous de l’Histoire.
Comment ne pas citer les révoltes populaires contre l’oppression génoise ? Comment oublier la Révolution de Corse dans la Corse paoliste du XVIIIeme siècle, qui conféra à l’île un rôle de phare pour l’Europe des Lumières et la Nation américaine en construction ? Comment ne pas garder à l’esprit les sacrifices de toute une jeunesse dans l’horreur de la Grande Guerre ?Comment ne pas invoquer la flamme glorieuse de la Résistance contre la barbarie nazie et fasciste, et la figure lumineuse des femmes et des hommes qui l’incarnent pour l’éternité ? Je ne doute pas que notre peuple saura, une fois encore, être à la hauteur des enjeux.
Notre détermination est acquise. Notre capacité individuelle et collective à faire front, sans ciller ni hésiter, contre la barbarie et au fanatisme ne font aucun doute. Reste une question : que pouvons-nous faire, que devons-nous faire pour lutter utilement et efficacement contre ce poison de la haine que les atrocités commises cherchent à distiller dans nos coeurs et dans nos âmes ?
Je vous le dis sereinement, avec la certitude que le chemin que nous proposons à travers la résolution solennelle que je vous propose de voter est le bon : Aujourd’hui, c’est avant tout par notre volonté et notre courage politiques, par la lucidité et la détermination tranquille, par la force de notre projet collectif, par notre capacité à construire une société apaisée et généreuse que nous allons combattre le fanatisme et que nous allons en triompher. Nous l’avions dit dès décembre 2015 : la situation actuelle impose l’ouverture d’un large débat, sous la forme d’Assises impliquant l’ensemble des forces vives de l’île ainsi que les représentants des différents cultes religieux autour du thème : « La Corse et son peuple : quel modèle de société et d’appartenance citoyenne ? » Ce débat sera l’occasion de préciser la place du fait religieux et de la laïcité dans nos sociétés, ainsi que du modèle d’appartenance citoyenne que nous voulons promouvoir.
Nos conceptions en la matière sont claires : pour nous, le peuple corse est une communauté humaine vivante, caractérisée par sa langue, sa culture, son rapport à un territoire identifié, porteuse d’un vouloir-être collectif, organisé autour d’une vision ouverte et rayonnante de la société dans laquelle nous voulons vivre. L’appartenance à ce peuple transcende les religions, les origines ou la couleur de peau. Elle se construit par la capacité à s’approprier la langue, la culture, le vivre-ensemble qui nous a constitué au fil des siècles en communauté humaine originale, ayant vocation à être reconnu dans ses droits. D’autres peuvent bien sûr avoir des visions différentes. Le moment est venu que nous en débattions, et que nous définissions ensemble, à l’issue de ces échanges, le modèle de société et d’appartenance citoyenne fort et harmonieux que nous proposons aux femmes et aux hommes qui ont choisi de vivre sur cette terre et d’en épouser le destin. Un possu finisce issu discorsu altrimente ch’in lingua nustrale. Emu tutti capitu chi simu oghje à un crucivia induce ci vole à sceglie a strada bona : quella chi sbuccarà nant’una sucietà induve i nostri figlioli pudaranu ghjucà, amparà è viaghjà capialti è tranquilli. Induve tutt’ognunu po prigà u so Diu, rispittendu à quelli chi credenu altrimente o chi un credenu micca. Bisognu duncque, più chè mai, à tene l’ochji aperti, à assicurà u passu, à esse degni di i nostri antenati è di u nostru populu, chi ci hà datu a rispunsabilità di dirige issu paese, è ci face cunfidenza. A spessu, l’emu cantatu : Corsica Nostra, tarra d’eroie Alza ti libera, fà la per noi A spessu, l’emu cantatu, è oghje ci tocca à fà la ! A libertà, oghje porta u nome di a guerra à u fanatisimu, chi ci vole à vince è à supranà, di a demucrazia, chi ci vole à prutege, è di a pace chi ci vole à cunstruisce.
C’est donc dans cet esprit, Mesdames et Messieurs les élus, chers collègues, que
je vous propose de voter cette résolution.
Nous devons construire une Corse apaisée, fraternelle, forte de ses valeurs et de
son projet. C’est le plus sûr moyen de l’emporter sur la stratégie mortifère de la
haine, contre laquelle nous allons nous battre, et gagner. Ensemble, face à notre peuple, face aussi à une opinion publique française, européenne et internationale attentive à chaque signe d’espoir, faisons que notre vote d‘aujourd’hui soit l’acte fondateur d’une société où les femmes et les hommes vivent en paix et en harmonie, qu’ils soient croyants ou qu’ils ne le soient pas. Ce faisant, une fois encore, la Corse aura su étonner l’Europe.
GILLES SIMEONI PRESIDENT DU CONSEIL EXECUTIF DE CORSE.
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