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Billet de blog 22 février 2016

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Lettre ouverte à M. Lévy dit BHL

Le prophète biblique Jonas à Ninive et le prophète germanopratin Lévy au Café de Flore, même combat ? Les juifs ne sont pas « bibliothécaires et témoins de la rédemption » ; ils en sont copropriétaires.

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Lettre ouverte à M. Lévy dit « BHL ».                       Par Kalman Schnur

Monsieur.

« BHL » étant désormais, à toutes fins utiles, une marque, un label, comme LVMH ou IBM, ce qui suppose marketing et autopromotion ; et n’ayant pas la vocation d’homme-sandwich véhiculant une  publicité mercantile, je vous appellerai donc par votre nom : M. Lévy.

J’adore être brossé dans le sens du poil ; j’ai donc beaucoup goûté la toute première phrase de votre « L’Esprit du Judaïsme », probablement la plus importante car la clé du premier chapitre et du reste : « Pourquoi les Juifs sont à jamais glorieux ».

Mais non au point d’oublier que tout flatteur vit aux  dépens de celui qui l’écoute ; ni d’oublier d’en connaitre certains de moyennement glorieux.  

Qui lirait un livre commençant ainsi, sauf les déjà convaincus ? Quelle chance de convaincre l’Autre, même ami, agressé d’emblée ? Quel est donc la finalité d’un tel livre et quelle est sa cible de lectorat ? 

Enfin… il faut bien vendre et rien de tel qu’un titre racoleur de premier chapitre pour ça ; et peu importe l’effet repoussoir qu’une telle prétention peut avoir sur de non-juifs, même au demeurant bienveillants. Zemmour, par exemple, ne s’est pas trompé sur l’effet de ses sept pages concernant Vichy sur la vente des 500 autres pages.

A vous lire, le prophète Jonas à Ninive prêchant le repentir de sa population pècheresse sous peine de colère divine et le prophète Lévy au Café de Flore prêchant celui de Kadhafi sous peine de celle de Sarkozy ; Ninive étant Mossoul, même combat ? Les deux prophètes ayant entendu La Voix ?

Nos ancêtres, méfiants à l’égard d’auto-proclamés prophètes, disaient, goguenards :

 מיום שחרב בית המקדש ניתנה הנבואה לשוטים.

Vous devinant de bien modestes aptitudes en Hébreu, traduisons : « depuis la destruction du Temple la prophétie est l’apanage des imbéciles ».

Ils auraient peut-être commenté ainsi les accents prophétiques qui résonnent dans votre « à jamais »…. Alors que le vrai philosophe devrait savoir que rien n’est là depuis toujours et rien ne le sera à jamais, sauf à jeter Histoire, anthropologie et archéologie par-dessus bord.

Sachant que les documents fondateurs initiaux juifs sont apparemment vieux de 25 siècles ; qu’ils remontent donc probablement au cinquième siècle avant l’ère chrétienne, simultanés ou presque à Homère, Pythagore, Sophocle, Archimède et Platon.

Qu’ils s’inspirent sans doute de ceux de l’antiquité mésopotamienne et de l’Egypte pharaonienne qui les précédaient, certains d’un bon millénaire.

La perspective étant une extrapolation de la rétrospective, cette dernière, myope, qui se permet le «à jamais » se limite donc, au maximum, à 2500 ans, alors que l’Homme est debout sur ses pattes arrière depuis 5 millions d’années et avait déjà parcouru un long chemin spirituel lorsque Esdras et Néhémie (עזרא ונחמיה), retour de Babylone et soucieux d’établir un corpus national idéologique, s’attelaient à la compilation de la Bible hébraïque.

Serait-ce trop demander au supposé philosophe un zeste de relativité scientifique ? Un soupçon d’humilité devant les indéniables faits historiques, avant de s’écrier « à jamais » ? Au juif, d’éviter le blasphème de convoquer l’éternité pour mieux vendre ?

Que vous dépendiez de traductions de l’Hébreu éventuellement approximatives voire complaisantes, est normal. Rien d’étonnant vu vos innombrables intérêts ; aujourd’hui pour la chose juive, naguère celui que vous manifestiez pour la chose libyenne (merci bien), ukrainienne (bis) et j’en passe. Mais personne ne peut tout connaitre ; ni toutes les langues, ni toutes les géopolitiques. Le monde n’est pas réductible à la rue d’Ulm.

Par exemple donc, M. Lévy, traduire le mot hébraïque « segoula סגולה » comme « trésor » est en l’occurrence approximatif voire contestable. Les phrases bibliques contenant ce terme  se réfèrent souvent à « am segoula עם סגולה » ; peuple d’exception, de haute qualité particulière. La traduction « peuple d’élite », serait donc pertinente, ainsi que « peuple élu », la notion d’élection du peuple par le divin étant d’ailleurs omniprésente dans le Bible hébraïque. Ce qui n’est évidemment pas contredit par l’approximation « trésor ».

Attention aussi aux gentilles interprétations plutôt récentes, tendance levinassienne, qui tentent, vu la biographie des interprètes, dont celle de Levinas en Europe du vingtième  siècle, de plaquer sur des antiques textes hébraïques et judéo-araméens de notions politiquement correctes « modernes » autour du concept de l’altérité universelle.

A de rares exceptions près la Bible hébraïque et le Talmud, ayant l’âge pour circonstance atténuante, ne connaissent d’altérité bienveillante qu’entre juifs; ils sont rarement « universels » dans le sens où on voudrait l’entendre. 

«La Torah… », dites-vous, « ….. est, à l’inverse de l’Evangile ou du Coran, le Livre qui invite tous les hommes à être soi ».

« A l’inverse », M. Lévy ? L’Evangile et le Coran, d’après vous, inviteraient les hommes à être autres que soi ? Affirmation problématique. Prêcher sa chapelle est humain mais peut difficilement prétendre à l’objectivité philosophique. On aurait préféré que cette foi en la supériorité de la Torah sur les monothéismes ultérieurs se fonde sur de considérations plus acceptables à autrui (vous avez dit « altérité » ?) ou, à défaut, qu’elle se taise.

Vous espérez, parait-il, un « Talmud musulman ». Condescendance ? Paternalisme ? Comment réagiriez-vous à un érudit musulman espérant des Hadith hébraïques ? Le provoqueriez-vous en duel théologique histoire de démontrer qui est le plus « moderne » ? Il ne manquerait plus que ce sport-là à notre bonheur.

Vu la logorrhée dont vous détenez le secret comment ne pas se souvenir des commentaires précurseurs émis à votre sujet par les vrais intellectuels que furent Raymond Aron, Pierre Vidal-Naquet, Gilles Deleuze, Cornelius Castoriadis et j’en passe ; que je m’abstiendrai de citer ici par charité non-chrétienne.

Présenter les critiques dont vous faites toujours l’objet comme la conséquence de préjugés antisémites les transformerait en stigmates du martyr, les frappant donc d’interdit ?

Est-ce pourquoi vous militez, sur le tard, pour cet héritage juif dont vous faisiez d’habitude assez peu de cas, votre biographie et votre entourage en étant témoins ?

Dans ces conditions à votre place j’aurais évité le clin d’œil « amical » à l’endroit de certains qui consiste à citer l’immense mais équivoque Baudelaire, porteur, entre autres choses, des préjugés antisémites de son siècle, précurseurs de ceux du suivant.

Non, M. Lévy ; n’en vous déplaise, ni à Baudelaire, nous ne sommes pas « bibliothécaires et témoins de la rédemption ». Nous en sommes copropriétaires.

                                                                        K.Schnur                   Février 2016

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