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Billet de blog 17 août 2025

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Quand parlait Natalia GINZBURG

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LA STAMPA

Natalia GINZBURG 1972 14 septembre

Réflexions d’une écrivaine

……..Je suis juive. Et tout ce qui concerne les Juifs, j'ai l'impression que cela me concerne directement. Je ne suis juive que par mon père, mais j'ai toujours pensé que ma partie juive devait être plus lourde et plus encombrante en moi que l'autre partie. S'il m'arrive de rencontrer quelque part une personne que je découvre être juive, j'ai instinctivement le sentiment d'avoir une certaine affinité avec elle. Après une minute, je peux la trouver odieuse, mais il reste en moi un sentiment de complicité secrète. C'est un aspect de ma nature que je trouve étrange et que je n'aime pas du tout, parce que c'est ouvertement opposé avec tout ce que j'ai toujours pensé au cours de ma vie, parce que je considère qu'il n'y a pas d affinités entre Juifs, sinon extrêmement superficielles, parce que je pense que les hommes doivent aller au-delà des limites de leurs origines. C'est ce que je pense, mais quand je rencontre un Juif, je ne peux pas réprimer une sensation étrange et sombre de connivence. Quand j'ai entendu parler du massacre de Munich, j'ai pensé qu'ils avaient tué ces gens de mon sang une fois de plus. J'y ai pensé au milieu d'une mer d'autres pensées, mais c'est ce que j'ai pensé. En pensant cela, j'ai éprouvé du mépris pour moi-même parce que c'était une pensée méprisable. Je ne pense pas que les Juifs aient un sang différent des autres. Je ne pense pas qu'on puisse classer les gens en fonction de leur sang. Je suis juive et j'ai eu une éducation bourgeoise. Cette éducation bourgeoise m'a inculqué des idées fausses. J'ai dû en quelque sorte respirer, dans l'enfance, l'idée que les Juifs et les bourgeois avaient des droits et qu'ils étaient supérieurs aux autres. Certes jamais on ne m'a dit quelque chose de semblable chez moi, au contraire, on m'a appris l'égalité des droits entre les hommes. Mais dans les structures de mon éducation devait être présente une idée de supériorité. Nous luttons toute notre vie pour nous débarrasser des défauts de notre éducation, mais les défauts de l'éducation restent imprimés dans notre esprit comme des tatouages. Dans notre vie d'adulte, nous passons du temps à laver ces tatouages de notre esprit. En ce qui concerne les Juifs d'Israël, je crois bien avoir pensé qu'ils avaient des droits et qu'ils étaient supérieurs aux Arabes. Mais à un certain moment, cela m'a semblé une idée monstrueuse. Je l'ai arrachée et foulée aux pieds avec fureur. Mais j'ai réalisé que cette idée monstrueuse je l'avais cultivée en moi pendant de nombreuses années comme une plante sur le rebord de fenêtres. Même si je l'ai arrachée et foulée aux pieds je ne suis pas parfaitement sûre qu'il n'y ait pas en moi encore des morceaux épars. Nos idées monstrueuses ont la vertu de nous faire comprendre comment notre paysage intérieur est fait. Une idée monstrueuse y grandit et prolifère tranquillement sans faire disparaître quoi que ce soit autour d'elle. Elle grandit et prolifère à côté de nos meilleurs élans et de notre soif de justice et d'égalité, sans les faire disparaître mais en les transformant progressivement en un tas de paille pourrie.

Nos idées monstrueuses devraient également avoir la vertu de nous faire comprendre comment nos ennemis sont faits, ou ceux que nous avons l'habitude d'appeler "nos ennemis". Ces idées devraient nous apprendre à poser notre regard sur les autres avec tolérance et avec une extrême attention. Après les avoir arrachées et foulées aux pieds, nous devrions les garder en mémoire et nous devrions arrêter de penser à nous-mêmes comme enfants du bien universel. Parfois, je pensais que les Juifs d'Israël avaient des droits et qu'ils étaient supérieurs aux autres parce qu'ils avaient survécu à une extermination. Ce n'était pas une idée monstrueuse, mais c'était une erreur.

La douleur et les massacres d'innocents auxquels nous avons assisté ou que nous avons subis dans nos vies ne nous donnent aucun droit sur les autres et aucune sorte de supériorité. Ceux qui ont connu sur leurs propres épaules le poids de l'effroi, n'ont pas le droit d'opprimer leurs semblables avec de l'argent ou des armes tout simplement parce que personne au monde n'a ce droit ce droit. En ce qui concerne les Juifs d'Israël, voilà ce qui m'arrive. Si quelqu'un parle contre eux, je ressens un sentiment de révolte et je me sens quelque part offensée. Je pense qu'on offense en même temps ma propre famille. Mais si quelqu'un en parle avec admiration et dévotion, j'ai le sentiment soudain de ne pas partager ces sentiments et de me retrouver de l'autre côté. Après la guerre, nous avons éprouvé de la compassion et de l'amour pour les Juifs qui se sont rendus en Israël en pensant qu'ils avaient survécu à une extermination, qu'ils étaient sans abri et qui ne savaient pas où aller. Nous avons aimé en eux la mémoire de la douleur, la fragilité, les pas errants et leurs épaules écrasées par l'effroi. Ce sont les traits que nous aimons chez l'homme aujourd'hui. Nous n'étions pas prêts à les voir devenir une nation puissante, agressive et vindicative. Nous espérions qu'ils seraient un petit pays sans défense, rassemblé, que chacun d'eux conserverait sa propre physionomie frêle, amère, réfléchie et solitaire, peut-être n'était-ce pas possible. Mais cette transformation a été l'une des choses horribles qui se sont produites. Quand quelqu'un parle d'Israël avec admiration, ce que je ressens c'est que je suis de l'autre côté. J'ai compris à un certain moment, peut-être tard, que les Arabes étaient des paysans et des bergers pauvres. Je ne sais que très peu de choses sur moi-même, mais je sais avec une certitude absolue que je ne veux pas être du côté de ceux qui utilisent des armes, de l'argent et de la culture pour opprimer les paysans et les bergers. Nos instincts nous poussent à nous tenir d'un côté ou de l'autre. Mais en vérité, il est peut-être impossible aujourd'hui d'être d'un côté ou de l'autre. Les hommes et les peuples subissent des transformations étranges, très rapides et horribles. Le seul choix qui nous soit possible est d'être du côté de ceux qui meurent ou souffrent injustement. On dira qu'il s'agit d'un choix facile, mais c'est peut-être le seul choix qui nous est offert aujourd'hui.

 Natalia Ginzburg, Gli ebrei, La Stampa del 14 settembre 1972.

 Natalia Ginzburg (Palermo, 14 luglio 1916 – Roma, 8 ottobre 1991), scrittrice, traduttrice, figura di primo piano della letteratura italiana del Novecento. Figlia di Giuseppe Levi, illustre scienziato triestino ebreo, e di Lidia Tanzi, milanese cattolica, è cresciuta in una famiglia apertamente antifascista (il padre e tre suoi fratelli furono arrestati). Nel 1938 ha sposato a Torino Leone Ginzburg, intellettuale raffinato di origine ebraica, co-fondatore della casa editrice Einaudi, arrestato, torturato e assassinato dai tedeschi nel carcere romano di Regina Coeli nel 1944. Collaboratrice essa stessa della casa editrice Einaudi ha pubblicato numerosi libri di letteratura tra cui il pi noto. Lessico famigliare (1963). Nel 1983 eletta al Parlamento nelle liste del Partito Comunista Italiano.

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