…ou plutôt, comme on dit en Grèce, « καλή χρονιά και πολλά χρόνια », ce qui mot à mot pourrait se traduire par : « que la nouvelle année soit belle et qu’il y ait encore beaucoup d’ans à venir ! ». Des vœux pieux, me direz-vous, tant 2011 s’annonce moche et bouché : inflation, chômage, panne du dialogue social, injustices, inégalités.
Je reviens d’Athènes où j’étais déjà l’an dernier à la même époque.
A un an d’intervalle, j’ai donc pu mesurer ce que la crise là-bas veut dire, suite au plan d’austérité sur trois ans décrété en mai par le Gouvernement en contrepartie du plan de sauvetage européen : baisse de 14 % des salaires, baisse de 14% des pensions de retraites, augmentation de 10 % de la TVA perçue sur les biens de consommation (1).
Ce qui frappe en arpentant les rues ou en empruntant les transports en commun, c’est tout d’abord des visages soucieux, blancs comme des cachets d’aspirine, au regard fuyant, qui tranchent avec des yeux malicieux, des sourires avenants et un port de tête altier auxquels les occupants des lieux nous avaient habitués. C’est ensuite la nouvelle mode vestimentaire qui fait fureur actuellement : la dominante noire. Au début des années quatre-vingt, on pouvait encore voir en Grèce deux catégories de personnes astreintes à l’ostentation de cette couleur qui se caractérise par l’absence de couleurs : les popes et les paysannes flanquées d’un foulard noué dans les cheveux. Cette année, tout le monde en ville semble s’être donné le mot comme pour célébrer un deuil national : qu’on soit jeune ou vieux, on s’habille en noir : bottes, bas, jupes, blouses, bonnets, sacs à mains pour les femmes ; chaussures, pantalons, chemises, pulls, blousons pour les hommes. C’est encore l’apparition de la mendicité qui heurte en principe la fierté nationale. Certes, elle peut émaner de ressortissants roumains et bulgares, nombreux, mais aussi d’autochtones en âge d’étudier ou d’être à la retraite. Tout aussi étonnant, le retour à la pratique du marché parallèle comme la revente à la sauvette de paquets de kleenex, briquets et quincaillerie diverse. C’est enfin une diminution sensible des illuminations et éclairages publics, probablement pour des raisons d’économie, alors que les fêtes de Noël sont généralement l’occasion d’enguirlander (si l’on peut dire) les arbres qui bordent les trottoirs et se parent pour la circonstance de centaines de petites lucioles blanches. Certes, l’immense sapin de trente mètres de haut trône toujours place de la Constitution et une lumière rosée enflamme toujours l’acropole dans les longues nuits d’hiver mais certaines rues de la Plaka, de Psiri ou de Makrigianni (3) sont carrément plongées dans l’obscurité.
Ce qui sauve ce tableau de la sinistrose, c’est l’esprit de dérision, toujours présent.
Ainsi, dans la grande librairie Eleftheroudakis qui fait face à l’université et qui est remarquablement achalandée (3), deux bandes dessinées semblent avoir la cote : « Je suis en crise », de Katerina Schina chez Kastanoiotis 2010, et « La crise est passée » de Costas Mitropoulou chez Polis 2010, tandis qu’au rayon des meilleures ventes c’est Jacqueline de Romilly qui fait encore rêver avec quelques titres prometteurs, quasiment introuvables en France : L’Orestie d’Eschyle, Les modernités d’Euripide, Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès… Il faut dire que Périclès a de sérieuses raisons d’être cité en exemple. Alors que l’importance de la dette publique a été longtemps cachée à la population contemporaine, il est le seul qui put justifier dans l’Antiquité au centime près de l’époque l’utilisation des deniers publics pour l’embellissement de la ville.
Lincunable, 1er janvier 2011
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(1) http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2424355&rubId=4079
(2) = quartiers d’Athènes
http://www.bookstoreguide.org/2007/12/eleftheroudakis-athens.html