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Billet de blog 4 juillet 2010

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L’époque héroïque de l’argentique

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Entrés dans l’ère du numérique où les instantanés sont pris et diffusés d’un clic quasiment en direct avec des possibilités infinies de recopies, de retouches, d’agrandissements et de miniaturisations, nous imaginons mal aujourd’hui ce qu’a pu être l’époque héroïque de l’argentique, ce « processus photochimique comprenant l’exposition d’une pellicule sensible à la lumière, puis son développement en chambre noire et son tirage sur papier mat ou glacé » (1).

En consultant de vieux albums de famille, on comprend néanmoins toute la portée de l’expression « se faire tirer le portrait ». En effet, les particuliers pouvaient certes posséder leurs propres appareils photographiques, mais ces derniers étaient généralement volumineux, nécessitaient des cadrages sophistiqués, exigeaient des sujets qu’ils « tiennent longtemps la pose ». D’ailleurs, non seulement on faisait appel aux professionnels pour tout ce qui concernait les fournitures de pellicules et les commandes de développements, mais encore, pour les grandes occasions, on allait dans des studios spécialisés pour se faire « tirer le portrait », car les professionnels disposaient seuls alors du matériel adéquat et de la maîtrise technique.

En contrepoint donc aux trentièmes rencontres photographiques d’Arles, consacrées cet été à l’argentique des années 1950-1970, la municipalité de Trouville propose très opportunément dans le cadre de l’opération « Normandie impressionniste », de remonter plus loin encore dans le temps antédiluvien en abordant les années 1910-1950 avec un auteur important pour ses contemporains mais qui serait retombé dans l’oubli sans la volonté déterminée de Frédérique Closier, sa petite-fille, pour nous le faire connaître : Fernand Bignon (2).

[Fernand Bignon par Pierda en 1938 – tous droits réservés]

Autodidacte installé dans le Calvados pour se livrer à l’exploitation d’une ferme qui appartenait à sa femme, Fernand Bignon (1888-1969), concevait la photographie comme un art auquel la peinture seule pouvait se mesurer. Il puisait son inspiration dans la campagne normande se transformant au rythme des saisons, mais aussi dans la présence de sa sœur, de son épouse, de ses enfants, et de ses amis s’adonnant à des tâches quotidiennes, voire domestiques. Le travail sur la lumière donne à ses clichés des teintes intimistes proches des impressionnistes. Précocement remarqué pour son talent, il expose dans les salons les plus réputés entre 1911 et 1931 et devient un représentant du courant « pictorialiste », mouvement international en vogue dont l’ambition esthétique est clairement de faire admettre la photographie comme l’un des « Beaux-Arts » plutôt que comme curiosité documentaire, recourant à des procédés dits « pigmentaires » car donnant aux clichés un aspect comparable à celui du fusain ou des sanguines (tirages au gélatino-bromure).

[Le rayon de soleil – Mutécy 1924 par Fernand Bignon – tous droits réservés]

Parallèlement à cette évolution personnelle, il explore la technique dite des « plaques de verre » qui inaugure la superposition de prises de vues avec effet stéréoscopique. On remarque ainsi en collant son nez contre un boîtier une étonnante manifestation d’automobiles à l’arrêt répondant parfaitement à un alignement de villas de bord de mer qui leur font face dans un jeu de perspectives particulièrement bien observé. Enfin, il s’essaye « en amateur » au tournage cinématographique, réalisant une centaine de films 8 mm d’une quinzaine de minutes chacun et dont certains sont présentés dans une salle aménagée : Dieppe 1934, Le Tréport 1937, Gisors 1933, Granville 1945, etc…

Au total, et alors que s’étale de l’autre côté de la Touques sur les planches de Deauville la rivale, trônant au-dessus des cabines de plage, l’art léché des frères Seéberger, photographes officiels de la mode et des mondains d’avant-guerre, on ne saurait trop recommander cette discrète rétrospective de Fernand Bignon en hommage à un homme simple, observateur éclairé d’un temps qui n’est plus, poète attentif au monde qui l’entoure, prévue pour durer jusqu’au 3 octobre, Villa Montebello, 64 rue du Général Leclerc, à deux heures de train corail de la capitale. Le catalogue, réalisé avec soin et comportant de nombreuses reproductions, publié aux éditions Cahiers du Temps à Cabourg, est en vente au musée-villa au prix de 20 €. Il est également disponible à la librairie du musée d’Orsay à Paris.

Lincunable, 3 juillet 2010

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(1) http://fr.wikipedia.org/wiki/Photographie_argentique

(2) http://www.calvados-tourisme.com/fr/170/6/2/FMANOR014FS004SW/sit/detail/sports-et-loisirs/fetes-et-manifestations/Fernand-Bignon-photographe-et-cineaste--dans-le-sillage-de-l-impressionnisme/TROUVILLE-SUR-MER/

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