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Billet de blog 5 février 2010

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Quelle justice pour quels citoyens ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous pouvons tous un jour où l’autre être confrontés à la justice de notre pays, soit à titre de plaignant, soit à titre d’accusé, soit encore à titre de témoin, qu’il s’agisse d’affaires mineures ou d’affaires plus importantes. Or, nous n’y sommes pas vraiment préparés et nous sommes le plus souvent démunis quand le Sceau de la Justice plane soudain au-dessus de notre tête comme une épée de Damoclès.

J’en veux pour preuve une récente expérience personnelle :

Ma mère, 86 ans, me téléphone un jour, toute retournée : « - Je viens de recevoir une lettre du tribunal qui me demande d’aller retirer un papier dont je ne comprends rien. Pourrais-tu passer me voir ? ». Sans faire ni une ni deux, je prends donc mon veston, puis le métro, sonne à sa porte et prends connaissance du contenu de la lettre : il s’agit d’un avis de dépôt d’acte de jugement qui, conformément à la loi, est conservé chez huissier où ma mère est sommée de venir le retirer. Vu son âge, il est hors de question qu’elle fasse elle-même le déplacement. Nous rédigeons donc ensemble une procuration et je me présente à l’adresse indiquée, où, après vérification des identités, on me remet une enveloppe contenant un feuillet de 25 pages qui est un extrait des minutes du Greffe du Tribunal de Grande Instance de Paris concernant une affaire de faillite de syndic d’immeubles, remontant à il y a près de vingt ans et dont ma mère ne se souvenait même plus. L’acte reconnaît à ma mère ainsi qu’à 56 autres personnes l’existence d’un préjudice subi et lui accorde une petite indemnisation.

« - Bon, je vous remercie pour la remise du document. Mais que doit faire ma mère à présent pour faire exécuter la décision de justice et récupérer la somme qui lui est ainsi allouée ? »

« -alors là, voyez avec votre avocat ».

Le problème, c’est que ma mère n’a pas d’avocat et n’a pas l’intention d’en prendre un dans l’immédiat. Finalement, après discussion chez l’huissier de justice, j’obtiens les coordonnées du cabinet d’avocats susceptible de me renseigner. Je téléphone et suis mis en relation avec une femme charmante qui m’explique qu’elle ne peut malheureusement pas me renseigner parce qu’elle est avocate de la partie adverse dans cette affaire. Comme je m’étonne que l’huissier de justice ait pu alors m’aiguiller sur elle, elle m’informe que c’est la règle en la matière car c’est l’avocat de la partie qui perd le procès qui notifie l’acte aux intéressés par huissier de justice et que ceux-ci ont donc toujours affaire à lui en priorité. Fort bien, mais alors quel avocat censé s’occuper de mon dossier dois-je contacter pour obtenir de simples renseignements sur la marche à suivre ? Elle hésite, puis, me donne un nom et un téléphone en précisant toutefois qu’elle n’était pas tenue de le faire. C’est trop aimable de sa part. Je tombe donc sur un nouveau cabinet d’avocat qui semble à son tour tomber des nues : « Je ne vois pas de quelle affaire il s’agit. Laissez-moi vos coordonnées. Je vous rappelle si j’ai du nouveau ».

J’attends toujours. Entre temps, j’avais à tout hasard tenté de joindre le greffe du Tribunal de Grande Instance de Paris où j’étais tombé sur un os : une mégère déguisée en Cerbère avait interrompu mes explications pour affirmer sur un ton très agressif : « Je vous arrête tout de suite, je n’ai pas à vous renseigner. D’ailleurs, qui êtes-vous ? Vous pouvez être n’importe qui. Qui me prouve que vous êtes bien celui que vous dîtes à l’autre bout du fil ? Et puis nous n’avons affaire ici qu’aux avocats. Voyez le vôtre. »

Je n’ai toujours pas d’explication sur la marche à suivre pour rendre exécutoire une décision de justice. Je vais donc attendre tranquillement que le délai d'appel s’éteigne de lui-même pour voir si l’exécution de la décision se réalise toute seule ou non, en pestant contre la justice de mon pays, et en me prenant soudain d’empathie pour tous ces citoyens démunis qui doivent faire face à des situations judiciaires autrement plus dramatiques que la mienne, sans parler de tous ceux qui, sans papier, ne peuvent même pas démarcher quoi que ce soit.

Lincunable, 5 février 2010

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