Comme tous les Etats membres de l'Union européenne, le Royaume-Uni (= Grande-Bretagne + Irlande du Nord) a vu la vie quotidienne de ses ressortissants modifiée à la suite de son adhésion au projet commun : libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux européens, application à tous les européens du droit de séjour, de résidence, de travail et de scolarité, reconnaissance mutuelle des permis de conduire nationaux et des titres nationaux d'identité, adoption de normes communes relatives à la qualité et à la sécurité des produits, à la santé des personnes et à la protection de l'environnement, etc...
De plus, l'ouverture du tunnel sous la Manche, tant de fois imaginée mais tant de fois repoussée, amarre enfin l'île au continent.
Ceci ne signifie pas pour autant que la Grande-Bretagne ait renoncé à l'insularité : tout d'abord, le Royaume-Uni est entré à reculons dans le projet de construction européenne, en 1972, et essentiellement pour éviter l'isolement international devant ce qui apparaissait alors de l'avis général comme un succès inédit. On se souvient du mot attribué à Winston Churchill à l'adresse du général de Gaulle à la veille du débarquement de Normandie sur l'avenir de l'Europe : « Chaque fois qu'il nous faudra choisir entre l'Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large ». Puis, il y a eu en 1979 cette entorse mémorable à la solidarité financière, réclamée et obtenue par Margaret Thatcher : « I want my money back », contrevenant ainsi à l'un des principes de base du traité de Rome qui veut que les contributions financières des Etats membres ne soient pas calculées en fonction du montant des subventions obtenues en retour mais en fonction du niveau de vie et de la population. Certes, Tony Blair, et aujourd'hui Gordon Brown, ont beaucoup fait pour changer l'image négative de leur pays vis-à-vis de l'Europe, en s'investissant notamment dans le champ de la connaissance, mais ils n'ont pas renoncé à leur ristourne financière annuelle ni à leur opposition à tout interventionnisme sur les marchés comme dans le cadre de la politique agricole commune.
Et puis, il y a une absence significative du Royaume-Uni quand il s'agit des grandes politiques communes : non ratification des accords de Schengen, non participation à l'Eurogroupe. Un pied dedans, un pied dehors, telle pourrait être la devise britannique en Europe, d'autant que si 80% des français se déclarent encore favorables à la construction européenne, ils ne sont que 37% de britanniques à avoir la même opinion selon Eurobaromètre, Flash n° 274, juillet 2009 (1).
En définitive, les britanniques semblent toujours plus attentifs à leur différenciation du continent plutôt qu'à leur rapprochement :
- la conduite à gauche fait toujours exception : même la Norvège qui est pourtant hors UE sur le continent est passée à droite en 1976. Or, ce n'est pas demain la veille qu'on changera ici le sens des « round about » (rond-point), alors que le « shakehand » s'effectue toujours par la droite même pour les gauchers. La raison semble être d'ordre stratégique. En cas d'invasion, cette différenciation peut en effet s'avérer précieuse en retardant l'avance d'armées continentales habituées à la conduite à droite. Le mythe de l'invasion continentale continue d'ailleurs à occuper les esprits en répondant, il est vrai, à une certaine réalité, puisque la dernière tentative remonte à 1797 quand le général Hoche tenta d'aborder en masse à Fishgard, Pays de Galles, avant de voir sa flotte anéantie et de rebrousser chemin. Probablement pour les mêmes raisons, le Japon aussi a adopté la conduite à gauche.
- la monnaie, symbole de l'indépendance du pays, avec billets émis à l'effigie de la reine, reste la « pound» (la livre), naguère divisée en 20 shillings de 12 pence et aujourd'hui divisée en 100 new pence depuis l'adoption de la décimalisation en 1971. Le basculement vers l'euro est donc impensable car il équivaudrait à un abandon de souveraineté même si la valeur de la livre continue de s'effriter (1 £ = 1,1 € actuellement).
- cette décimalisation de la monnaie reste une exception : l'unité de longueur est toujours le mile (= 1,6 km) divisé en 1760 yards de 3 pieds de 36 pouces chacun, ce qui ne simplifie pas les calculs de distance. De même, l'unité de poids est la livre (0,45 kg) divisée en 16 once et la mesure de capacité est le gallon (4,5 litres) divisé en 8 pintes. Toute évolution contraire serait donner raison à la Révolution française qui a inventé le système métrique et donc à Napoléon qui en est l'aboutissement.
- la vie pratique est ponctuée d'exceptions britanniques : les prises électriques trois fiches sont inutilisables par des continentaux sans adaptateur spécial ; les robinets d'arrivée d'eau n'ont pas d'échangeur et sont souvent éloignés les uns des autres si bien que l'arrivée d'eau chaude est vite brûlante et l'arrivée d'eau froide vite glacée ; dans les pièces des habitations, il y a parfois un cordon qu'il faut tirer pour enclencher l'éclairage mais si le cordon existe aussi dans la salle de bains, ce n'est plus pour l'éclairage mais pour le chauffe-eau. Certaines serrures ne peuvent fonctionner que si l'on soulève préalablement la poignée de porte.
Bien sûr, on pourra objecter du point de vue britannique que la réciproque est vraie et que ce sont les continentaux qui ont des pratiques bizarres. Il n'empêche : un des objectifs de la construction européenne est bien d'établir des normes communes afin de simplifier la vie et les démarches des consommateurs. Il semble qu'on en soit encore loin au Royaume-Uni où l'esprit de résistance veille au grain.
Lincunable, 6 septembre 2009
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(1) http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl_274_en.pdf