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Billet de blog 9 décembre 2009

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Panthéonisation et Pantalonnade

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le débat sur l'entrée au Panthéon de grands hommes, avec reconnaissance comme tels de la patrie, a été relancé à l'occasion de la volonté exprimée par le président Sarkozy d'ajouter sa pierre à l'édifice en y déposant les restes d'Albert Camus, ce qui semble se heurter à l'opposition de la famille de l'ancien prix Nobel de littérature.

Le dernier camouflet en date donné ainsi à un président de la République en exercice plein d'égards pour la postérité vient de notre dernier poilu national, parfait inconnu jusqu'à son accession au statut de super-centenaire, Lazare Ponticeli, 110 ans, qui déclina poliment l'offre du président Chirac en recevant toutefois des obsèques nationales dans la cour des Invalides à Paris, autre haut lieu de la patrie reconnaissante (1).

Ceci ne manque pas d'interpeller sur le sens à donner à cette importante manifestation relevant pourtant d'une simple décision prise par décret sans aucune nécessité de consultation préalable pour marquer les esprits des générations futures autant sur la personne nommée que sur la personne nommant, sinon moins.

J'avoue que j'ai moi-même longtemps déambulé autour de la place du Panthéon sans avoir l'ambition d'y séjourner un jour et indépendamment du fait qu'elle a longtemps abrité le couple Tibéri, Jean et Xavière, comme locataires de la mairie du cinquième arrondissement, installée là par bravade et suspectée d'avoir servi de siège à un système de fraude électorale organisée durant les années de plomb 1995-1997 (2). Pour ma part, il y avait bien une rue adjacente dîte « Soufflot » mais sans lien apparent avec la construction monumentale commencée en 1758 en remerciement d'une guérison royale miraculeuse et achevée en 1790 avec changement de destination, l'illustre architecte étant à la fois bâtisseur et pensionnaire du glorieux monument puisqu'il fut lui-même panthéonisé en 1829, allez savoir pourquoi. Certains ont eu moins de chance que lui et que Louis le Quinzième : panthéonisés d'abord, ils furent dépanthéonisés ensuite, à l'instar de Mirabeau et de Marat, véritables statues déboulonnées de Lénine et de Staline avant la lettre (3).

Autour de cette place circulaire rappelant vaguement la place Saint Pierre de Rome, j'allais en effet plutôt trainer mes baskets dans l'enceinte de la bibliothèque Sainte Geneviève (2 millions de documents couvrant un large éventail de champs disciplinaires en sciences humaines et sociales mais aussi en sciences pures et appliquées), à l'entrée de lycées réputés où j'avais réussi à obtenir quelques connaissances à l'occasion de teufs inter-collégiales (Henri IV, Louis-le-Grand) ou dans la cour de l'Université où je suivais quelques cours (Paris I, Paris II). Il m'arrivait aussi de redescendre de mon nuage et de cette fameuse montagne (Sainte Geneviève y aurait arrêté, parait-il, Attila dans son entreprise de sac de la ville de Paris en +451) dans un sens ou dans l'autre : vers le Luxembourg et le Boul'Mich d'un côté, les quais de Seine et la rue Saint-Jacques d'un autre, la Contrescarpe et la rue Mouffetard d'un troisième.

Ceci étant, même sans être entré à l'intérieur, les pieds ni devant ni derrière, à l'horizontale ou à la verticale, j'ai le souvenir d'avoir vibré tout de même au son du Panthéon une première fois en 1964 quand André Malraux, juché sur un escabeau servant de tribune officielle, déclama devant un général de Gaulle silencieux et un auditoire attentif un vibrant hommage à Jean Moulin, héros de la Résistance, avec sa voix caverneuse et chevrotante qui lui était caractéristique : « Rentre ici, Jean Moulin... » (4). C'était un de ces moments historiques comme on les aime car on se sent acteur autant que spectateur, en étant courtisé par le metteur en scène, une belle réussite sonore, oratoire et littéraire, qu'on pouvait suivre en direct à la radio, l'oreille adolescente collée au transistor, si bien qu'on se demandait in fine si le véritable héros du jour ainsi fêté était bien Moulin et pas plutôt Malraux, lequel d'ailleurs entra à son tour au Panthéon en 1996 en récompense de ses services rendus.

Une deuxième fois encore, j'ai vibré, non plus seulement au son mais aussi à l'image du Panthéon retransmise à la télévision sur les trois chaînes alors accessibles (TF1, A2, FR3) : François Mitterrand venait d'être élu président et portait sur les épaules les espoirs de toute une génération réunie dans une Union de la gauche plus solide qu'un Front populaire. Dans le climat d'euphorie qui régnait alors, il avait décidé en effet, le jour même de sa prise de fonction le 21 mai 1981, d'aller, geste hautement symbolique, se recueillir sur la tombe de Jean Jaurès en passant accessoirement devant celles de Jean Moulin et de Victor Schoelcher, ce qui constituait en soi une façon de s'inscrire dans l'histoire mais aussi d'établir une sélection arbitraire de grands hommes en excluant tous les autres : l'image d'un homme seul, montant vers le Panthéon une rose à la main devant une foule massée de part et d'autre, avait quelque chose de solennellement visuel (5).

Le mot le plus approprié qui me vient à l'esprit pour qualifier ces débordements d'orgueil est la pantalonnade : « bouffonnerie et posture comique semblable à un pantalon » (6).

Lincunable, 8.12.2009

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  1. http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2585

  2. http://yvescontassot.eu/?2009/05/27/280-fraude-electorale-tiberi-condamne-chirac-oublie

  3. http://www.ladepeche.fr/article/2002/11/28/356801-Pantheonisation-a-qui-le-tour.html

  4. http://fr.wikisource.org/wiki/Discours_du_transfert_des_cendres_de_Jean_Moulin_au_Panth%C3%A9on

  5. http://www.ina.fr/politique/presidents-de-la-republique/video/CAB88017701/portrait-mitterrand.fr.html

  6. http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/pantalonnade/53772

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