L'évènement du week-end n'aura pas été la retraite des français, dure à avaler, mais la charge de la brigade légère qui rassure et réconforte : deux-zéro ! Quel score ! Même si la première mi-temps était plutôt pitoyable, les Dieux du stade étaient avec nous et nous ont permis de l'emporter sur le fil contre de redoutables adversaires, derniers intégrés de la classe européenne.
Du coup, voilà notre honneur bafoué relevé. Voilà le fiasco d'Afrique du Sud effacé. Laurent Blanc a réussi à renouer avec le succès en retrouvant pour nous le chemin de l'or en Bleu. Nous pouvons à nouveau rêver. Mais de quoi ? D'une France qui gagne, fière d'elle-même et admirée des autres, sinon enviée. D'une France, unie, unanime, groupée derrière son équipe de football comme un seul homme.
Ce week-end, la télé n'a eu d'yeux que pour eux, les Bleus, nos sauveurs, nos enchanteurs merlin : regardez comme ils ont eu fière allure en passant devant leurs jeunes supporteurs à qui ils distribuaient mains paternalistes dans les cheveux et dédicaces sur les maillots qui portent encore les déchirures des batailles gagnées au corps à corps.
Au JT du 13 heures de dimanche sur la 2 (1), Eric Besson était aux anges face à Laurent Delahousse, conquis, expliquant que dans son Maroc natal nul ne peut ne pas aimer le couscous, le thé à la menthe et le football, c'est impossible, interdit, banni. Vous ne pouvez pas. Alors en France ? C'était sa récompense de plusieurs mois de débat sur l'identité nationale. Car il avait eu cette chance inestimable et historique d'avoir été présent dans la tribune officielle ce jour-là au Stade de France si bien nommé, en présence de l'ambassadeur de Roumanie et du ministre roumain de l'éducation en personne, avec qui il disait avoir profité de l'occasion pour régler d'un coup une partie des problèmes bilatéraux relatifs aux ressortissants en situation irrégulière encore présents sur notre sol (on ne parle plus de roms mais de roumains, ça ferait tâche d'huile à quelques jours de la visite de contrition de Nicolas Sarkozy au Vatican et les tâches d'huile sont indélébiles même débiles).
Parmi les invités chargés de lui apporter la contradiction, l'historien Fabrice d'Almeida s'est joint à l'éloge officiel en reconnaissant que la rencontre sportive forçait l'admiration en tant que spectacle (2), tandis que la philosophe Cynthia Fleury, se disant hostile aux retransmissions télévisées (on se demande pourquoi le virtuel serait ainsi écarté de la vie collective) s'est déclarée subjuguée par la voix des stades qui circule comme à l'agora (comme si les tribunes permettaient d'échanger des idées et des marchandises plutôt que des invectives et des hourras) (3).
« Panem et Circenses », voilà ce qui tenait lieu de programme politique aux douze césars de Suétone.
Lincunable, 11.10.2010
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http://www.leclubfrancetelevisions.fr/?page=a-l-antenne&video=3157
lire son ouvrage critique : 2007 : La politique au naturel : Comportement des hommes politiques et représentations publiques en France et en Italie du XIXe au XXIe siècle, École française de Rome, coll. « Collection de l'École française de Rome » (no 388), Rome, diff. de Boccard, 525 p.
lire son très bel essai sur le courage : http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/marie-anne-kraft/140310/la-fin-du-courage-de-cynthia-fleury