Chaque semaine depuis trois mois, le facteur dépose dans ma boîte aux lettres un exemplaire du magazine « Valeurs Actuelles » dont le propriétaire est une holding filiale du groupe Dassault et dont le prix unitaire est de 3 € 50, ce qui n’est pas rien. Je n’ai pourtant rien demandé à personne ni souscrit à quoi que ce soit. Il m’arrive comme par enchantement, mon nom ayant dû sortir d’un chapeau pour terminer sa course dans une mailing-list, ce qui s’apparente à du battage publicitaire, à du harcèlement commercial, à de la violation de domicile. A bien été joint un jour un bulletin d’inscription pour abonnement auquel je n’ai pas donné suite, mais je continue à recevoir mon exemplaire hebdomadaire comme si de rien n’était : quatre-vingt dix pages sur papier glacé qui vont ainsi directement à la poubelle sans même sortir de leur emballage pré-affranchi. Bien sûr, je pourrais me fendre d’une jolie lettre de protestation avec prière de procéder sur-le-champ à ma désinscription. Mais outre le fait que j’en serai pour mes frais (d’au moins un timbre et une enveloppe), je ne vois pas pourquoi je devrais demander à renoncer à ce que je n’ai jamais souhaité obtenir. J’ai donc décidé de ne pas bouger, histoire de voir jusqu’où est capable d’aller une opération promotionnelle qui jette l’argent par les fenêtres.
De l’argent, il y en a sans doute à revendre, puisqu’il constitue la valeur fondamentale de Valeurs Actuelles comme on le découvre à l’intérieur du dernier numéro finalement consulté et dont les titres sont accrocheurs : « combien vaut Areva ? », « réflexions sur l’argent et la morale dans un monde incertain », « placements plaisir », « comment faire pour bien défiscaliser », « l’avis d’expert sur les business models gagnants », etc…Pour se détendre, des pages culture pré-digérées permettent de savoir briller en société : « Lucas Cranach », une exposition vue sous l’angle du négoce, et un « télésubjectif » consacré à un jeune auteur-acteur de théâtre classique qui s’affiche comme catholique et royaliste suscitant ce commentaire d’un certain Basile de Koch : « il y a encore de la belle jeunesse » (sic !).
Le plus intéressant est un dossier dont l’annonce sert de couverture au numéro et qui en dit long sur l’état d’esprit actuel du pouvoir : « Pourquoi elle (Marine Le Pen) fait peur à la droite ? » (1). Partant du principe qu’elle a déjà virtuellement remporté les primaires de l’extrême-droite, l’UMP comme la présidence de la République scrutent les sondages qui ne sont pas bons : avec 12 à 14 % d’intentions de vote aujourd’hui, elle pourrait doubler la mise au jour J et donc passer le 1er tour soit devant le ou les candidats de la droite, soit devant le ou les candidats de la gauche, une sorte d’avril 2002 inversé en quelque sorte. L’analyse est que malgré le virage sécuritaire et anti-immigrés pris depuis 2007, les résultats ne sont pas au rendez-vous (progression de la criminalité et de l’immigration), de plus en plus de militants et sympathisants UMP, déçus, rejoignant le FN, ce qui pose la question de la reconquête de l’électorat frontiste, d’où le débat qui s’ensuit entre Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, et Philippe Meunier, député du Rhône, sur le rapprochement ou non à envisager entre les deux formations.
Par chance, il semble que ces propositions d’ouverture, si le Rubicon devait être franchi, soient trop tardives pour être acceptées par l’intéressée campant plutôt sur la ligne tracée par son père, mais : sait-on jamais ?
Lincunable, 12 décembre 2010
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