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Billet de blog 13 mai 2009

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Statistiques ethniques: mesure de la diversité ou tyrannie des préjugés?

Yazid Sabeg est un homme prudent.Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, il vient de remettre un rapport au Président de la République, presqu’en catimini, le 7 mai dernier, avec pour intitulé : « mesurer la diversité et les discriminations en France ».

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Yazid Sabeg est un homme prudent.

Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, il vient de remettre un rapport au Président de la République, presqu’en catimini, le 7 mai dernier, avec pour intitulé : « mesurer la diversité et les discriminations en France ».

Bien qu’il s’en défende, il s’agissait ni plus ni moins à l’origine que d’autoriser l’établissement et l’exploitation de « statistiques ethniques », contrairement à ce qu’impose depuis 1872 la législation sur le recensement des populations en France. Le Conseil Constitutionnel ne s’y est pas trompé puisqu’il a jugé cette disposition contraire à l’article 1 de la Constitution qui dispose que « la France assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » (1). Devant le tollé suscité par cette initiative, Yazid SABEG renonce donc finalement à suggérer de les faire imposer par la loi et préconise leur réalisation par des mesures indirectes d’ajustement de la formation aux besoins du marché (2).

La commande avait pour origine le discours de Nicolas Sarkozy du 17 décembre 2008 à l’Ecole Polytechnique reprenant à son compte les conclusions d’un colloque de la Maison de la Chimie en date du 19 octobre 2006, organisé par le Centre d’analyses stratégiques du Gouvernement de l’époque, visant à instaurer des « statistiques ethniques » comme outils de mesure pour rendre plus efficaces les politiques publiques à destination de l’emploi et du logement des « minorités visibles ».

Déjà, un statisticien, Alain BLUM, Directeur de Recherches à l’Institut national des études démographiques et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, avait exprimé à cette occasion des réserves sur la démarche entreprise en donnant deux arguments de poids :

- les « statistiques ethniques » ne mesurent pas l’ethnicité des intéressés mais les représentations qu’on en a ;

- les catégories proposées comme unités de mesure ne sont pas des catégories exprimant des données objectives (taille, sexe, âge, etc…) mais des catégories immanentes autodéterminées (sentiment d’appartenance).

Manquait à cette analyse un point de vue de sociologue sur le caractère « ethnique » des statistiques visées.

C’est chose faite avec l’ouvrage collectif qui vient d’être publié sous la direction de Hédi SAIDI, enseignant associé au Groupe d’études et de recherches dans le travail social à Lille, la préface étant de Gilles MANCERON, rédacteur en chef de la revue La ligue des droits de l’homme (4).

Le texte s’organise autour de treize études d’auteurs faisant appel à des disciplines différentes : histoire, ethnologie, psychologie sociale, sociologie. Il questionne les notions d’acculturation en milieu migratoire, d’enseignement du fait colonial, de pluralité des mémoires, autant d’éléments non pris en compte par la mission présidentielle.

Ainsi, dans «Ethnie, ethnicité et stratégies d’acculturation en contexte migratoire », René MOKOUNKOLO met en relief d’une part l’opposition conceptuelle entre « ethnie » qui enferme l’individu dans un groupe enraciné dans un passé et « ethnicité » qui décrit un processus volontaire de différenciation/homogénéisation des groupes minoritaires, et d’autre part, l’opposition entre société étatsunienne conçue comme une succession de migrations ayant côtoyé l’esclavagisme racial et société française bâtie autour de l’intégration républicaine et l’indivisibilité de la Nation qui ne reconnaît pas en son sein de communautés particulières. Il s’ensuit que l’ethnicisation crée des contrastes entre groupes les rendant plus différents qu’ils ne sont en réalité et des similitudes entre individus d’un même groupe plus homogènes qu’elles ne sont avec la création d’un « nous » et d’un « eux » selon la « théorie implicite de personnalité ». Alors que le groupe majoritaire enferme les groupes minoritaires dans une « identité-prison » où les critères sont caricaturaux, les groupes minoritaires en retour en viennent à revendiquer comme nouvelle identité l’appartenance à ces traits caricaturaux : « Black is beautiful », « marche des fiertés », etc…Dans la société française, l’ethnicisation crée une nouvelle forme de colonisation en servant de prétexte à exclure plutôt que d’inclure selon des explications stéréotypées des causes des difficultés rencontrées : catégories à problème scolaire (échec, délinquance), catégories à problème d’habitat (quartiers sensibles) catégorie à problème sur le marché du travail : (ethnostratification, handicap de l’origine ethnique), catégorie à problème médiatisé (candidats de la diversité, éloge de la discrimination positive).

Et l’auteur de conclure page 61 : « les catégories ethniques doivent être perçues comme des moyens d’analyse de l’ethnicité et non pas comme son explication ».

Lincunable, 13 mai 2009.

________

(1) Décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007.

(2) Laetitia Van Eeckout, Le Monde 8/5/2009.

(3) actes du colloque, 2 novembre 2006

(4) « Ethnicisation des rapports sociaux, enjeu et fonction des approches culturaliste, sous la direction de Hédi SAIDI, préface de Gilles Manceron, L’Harmattan, 2009

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