En voyant la facilité avec laquelle se met en place progressivement et insidieusement l’ordre nouveau en France, sans une réelle opposition malgré les molles protestations formulées ici ou là, il ne parait pas inutile de revenir sur la montée du fascisme avant-guerre dans les pays à tradition pourtant démocratique : Italie, Allemagne, France.
Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas nécessairement la force de conviction d’une idéologie nouvelle, autoritaire, irrationnelle, anti-humaniste et raciale qui prime, mais l’absence de crédibilité d’une idéologie contraire. Ainsi, malgré les sonnettes d’alarme tirées à titre individuel par de nombreux intellectuels et démocrates, la montée du fascisme semble, au regard de l’histoire, avoir été quelque chose d’inévitable et d’inarrêtable du fait sans doute de la frilosité des oppositions cherchant plutôt qu’à combattre ensemble à composer avec un phénomène inédit en espérant ainsi pouvoir le canaliser et le manœuvrer sans comprendre que c’est lui qui manœuvrait et canalisait en sous-main. Le fascisme, même comme solution extrême, devient alors le seul à pouvoir nous surprendre et nous faire rêver.
Un des meilleurs témoignages est sans doute celui que Dominique Fernandez nous livre en reconstituant le parcours de son père dans « Ramon » (1). Voilà un écrivain français, naturalisé de fraîche date, progressiste, marxiste, admiré par les plus grands de son époque, non conformiste, qui bascule de manière active dans le fascisme d’abord, dans la collaboration ensuite, rencontrant même Goebbels à Weimar en 1941, sans avoir été apparemment motivé par l’arrivisme, le pouvoir, les honneurs ou l’appât du gain mais par une sorte de tentation autodestructrice que Dominique Fernandez attribue à un échec amoureux personnel.
Il n'y a donc pas de portrait type du fasciste mais la rencontre entre une circonstance et un état d'esprit.Lincunable, 16 août 2010
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(1) http://www.canalacademie.com/ida4100-Ramon-un-livre-de-Dominique.html