Je dois à M. Philips d’avoir pu suivre régulièrement sur Mediapart l’état d’évolution de la grippe A : développement de la pandémie, causes, conséquences, précautions à prendre, risques réels ou supposés.
Appartenant à une catégorie de populations dîtes fragiles, je n’avais personnellement pas d’idée préconçue sur la nécessité ou non de la vaccination. Le spécialiste qui me suit habituellement m’avait cependant mis en garde : « - Dans votre cas, il ne faut pas hésiter une seconde, les inconvénients éventuels sont dérisoires par rapport aux avantages escomptés liés à la double vaccination : contre la grippe saisonnière d’abord, contre la grippe A ensuite ». Pour plus de sûreté, il me prescrivit d’ailleurs une boîte de Tamiflu à prendre dès les premiers symptômes si par malheur je devais être contaminé.
J’ai donc suivi son conseil. Je me suis tourné vers mon médecin traitant qui a bien voulu m’injecter une dose de Vaxigrip le 12 novembre en confirmant toutefois qu’il ne pourrait pas le faire pour le vaccin contre la grippe A, ce que j’ai pris comme une source de complications. Mais je n’avais pas à m’en faire, car, dans cette perspective, je serai convoqué directement par la sécurité sociale et, étant sujet prioritaire, je devais pouvoir passer dans les tout premiers. Je ne me suis donc pas affolé, d’autant qu’un délai minimal de trois semaines doit être respecté entre les deux vaccinations pour éviter toute interférence dans les défenses immunitaires. Les nouvelles médiatiques étaient d’ailleurs plutôt rassurantes, la campagne ayant commencé sans précipitation et en bon ordre, malgré les récriminations des uns ou des autres : personnel soignant, enfants en bas âge, femmes enceintes, patients à difficultés respiratoire, etc…
Au bout de trois semaines, je n’avais toujours pas reçu mon bon de vaccination.
J’ai alors commencé à m’interroger sur le service à contacter pour savoir où en était le traitement de mon dossier. Un numéro vert avait été mis à disposition du public, le 36 46. J’ai donc tenté ma chance, mais ce n’est pas aussi simple qu'on pourrait le croire car on tombe sur un disque pré-enregistré qui vous indique une marche à suivre apparemment incontournable et où l'on ne peut pas brûler les étapes : taper étoile, puis taper la touche 1, 2, 3 ou 4 selon l’objet de la demande. Après vous être acquitté de toutes ces manipulations préalables, neuf fois sur dix la communication coupe ou bien le disque reprend en leit-motiv « désolé, nous n’avons pas compris votre demande, veuillez SVP recommencer la manœuvre ». A force de persévérance, j’ai fini par tomber sur une opératrice : « - Oui, bonjour, Lydia à votre service, que souhaitez-vous savoir ? ». J’expose ma situation : « - Voilà, je téléphone au sujet de la grippe A. J’appartiens à une catégorie de personnes prioritaires et je n’ai toujours pas reçu mon bon de vaccination ». « - Ce serait plus simple si vous vous rendiez directement à votre caisse pour vous le faire délivrer. Quel est son numéro ? ». Et là, un blanc. C’est vrai, le numéro d'identification personnelle de la sécurité sociale, je le connais à peu près par cœur, encore que pour les 8 derniers chiffres, je suis toujours obligé de m’y prendre à plusieurs fois. Mais le numéro de la caisse, alors là je n’en ai aucune idée. Généralement, quand j’ai des remboursements de soins à faire, j’envoie tout à ma mutuelle qui s’arrange avec elle. « - bon, vous habitez quelle ville ? », dit la voix au bout du fil. « - Paris », je réponds. « - Alors là, je ne peux rien faire pour vous, vous êtes à Bordeaux sur un pool téléphonique. Mais ne quittez pas, je vous mets en relation ». Nouvelle attente interminable, puis une nouvelle voix, masculine cette fois, prend le relais : « - Oui, bonjour, Eric à votre service, que souhaitez-vous savoir ? ». Je renouvelle mes desiderata. « - Il me faudrait votre numéro de sécurité sociale et votre adresse ». Je m’exécute. « c’est noté, M. Lincunable, le bon vous parviendra mardi au plus tard ». Enfin, me voilà rassuré. J’ai alors une dernière requête : « - Pourriez-vous m’indiquer les coordonnées du centre de vaccination le plus proche de mon domicile ainsi que les horaires d’ouverture ? ». « - Alors là, M. Lincunable, ça sort de mon champ de compétences. Il faudrait que vous appeliez la préfecture du département. Je vous donne le numéro. Veuillez noter je vous prie. Merci pour votre appel et au revoir ».
Le mardi suivant, je n’avais toujours rien dans ma boîte à lettres. Le mercredi non plus. Finalement le jeudi, je décroche à nouveau mon téléphone et recommence les opérations manipulatoires jusqu’à obtenir une nouvelle opératrice, Catherine. J’explique que j’ai déjà effectué une demande de bon et que je n’ai rien reçu. Je voudrais savoir ce qu'il en est. « - Votre numéro de sécurité sociale ? » demande la voix. Je lui communique. « - C’est noté, M. Lincunable. Je vous renvoie immédiatement un bon. Vous le recevrez sans faute en début de semaine prochaine ». « - Ah bon, vous avez déjà relevé mon adresse ? ». « - Non, c’est juste, donnez-la moi M. Lincunable ». Je commence à perdre patience. L’idée me vient alors de passer par l’intermédiaire de la médecine du travail. J’appelle le docteur Dupin qui connaît plus ou moins mes antécédents et comprend l’absurdité de la situation. « - Je serais vous », dit-il « je tenterai le tout pour le tout et je me pointerai directement au centre de vaccination en expliquant les difficultés rencontrées pour la délivrance du bon ».
C’est effectivement ce que j’ai fait.
Le centre de vaccination était un grand gymnase baigné de lumière crue en fin de journée, adossé à une école primaire. En arrivant, je vois un écriteau posé sur la porte indiquant « sortie ». Je fais le tour du bâtiment. Il n'y a pas d’entrée. Par chance, il y avait une dame devant l'école primaire tenant une poussette d'une main et une cigarette de l'autre. Elle pourrait certainement m’éclairer : « - Je cherche le centre de vaccination contre la grippe A », lui dis-je. « - Mais il est exactement là d’où vous venez. Il y a écrit « sortie » sur sa porte d'entrée ». « - Ah ? bon, merci infiniment ». J’entre donc par la sortie dans ce vaste lieu où deux paniers de basket-ball trônent aux extrêmités. Des tables et des chaises sont disposées en plusieurs endroits et un parcours du combattant a été aménagé avec des pans de cartons servant de séparation entre différentes pièces de fortune comme des paravents japonais mais non décorés. Première étape : distribution d’un bon par une employée de la DDASS qui constate à l’écran de son terminal d’ordinateur que j'ai bien effectué une demande en ce sens il y a quinze jours une première fois, il y a cinq jours une deuxième. Pour ne pas la froisser, j’explique qu’il y a actuellement de gros problèmes de distribution de courrier à la poste et que je ne l’ai donc pas encore reçu à domicile (1). « - Oui, fait-elle, compatissante, je suis au courant ». Une fois le bon établi et édité, elle me fait signe de me diriger vers une autre installation de tables et de chaises où trois personnes semblent tenir une conférence de presse. Vérifiant que le bon est conforme aux instructions, l’une d’elle me tend un questionnaire à remplir. Il s’agit de cocher l’une des cases « oui » ou « non » aux différentes questions de santé publique qui sont posées : « - Avez-vous subi une vaccination de la grippe saisonnière il y a moins de trois semaines ? », «- Avez-vous une allergie aux œufs de poule ou aux protéines du poulet ? », « - Prenez-vous des anti-coagulants ? », « - Suivez-vous un traitement médical de longue durée ? », etc…Une fois rempli le questionnaire, vous pouvez reprendre votre bâton de pèlerin jusqu’à la prochaine station où un médecin, vêtu d’une blouse bleue où est imprimé sur la poitrine le mot « médecin », vous fait asseoir et procède à un petit interrogatoire en règle en fonction des réponses que vous avez fournies au questionnaire pour vérifier que le vaccin peut vous être inoculé sans danger pour la santé. Vous êtes alors dirigé vers la pièce aux cartons portant le nom du vaccin à inoculer (dans mon cas il s’est agi de Pandemrix, avec adjuvant, mais ayant prouvé semble-t-il une grande efficacité contre la maladie avec toutefois des effets indérisables possibles comme les maux de tête, la fièvre, les douleurs articulatoires ou musculaires mais sans gravité). Deux étudiants, l'un en fin d'étude d'infirmier, l'autre en cinquième année de médecine, me prennent alors en charge. Le premier sort un flacon à produit qu'il introduit dans la seringue, l'autre pique en s'exclamant : « - Ca va ? Vous n'avez rien senti ? ». Non, en effet, ça s'est passé comme une lettre à la poste les jours où la distribution du courrier fonctionne. Enfin, la dernière étape consiste à se faire délivrer le certificat de vaccination qui vaut diplôme de réussite aux examens.
Comme vous le voyez, cher M. Philips, on l’aura mérité cette vaccination ! Pour le moment, je n’ai pas constaté de manifestation d’effets secondaires. Je ne manquerai pas de vous en faire part si c’est le cas.
Cordialement,
Lincunable, 18 décembre 2009
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J'avais bien sûr en tête l'image montrée à la télévision d'Olivier Besancenot, notre facteur préféré, accidenté du travail après avoir tenté de s'agripper aux grilles du Palais Bourbon pour la sauvegarde du service public et avoir été malmené par les forces de l'ordre : http://www.liberation.fr/politiques/0101608753-doigt-casse-pour-besancenot-lors-de-son-interpellationhttp://www.liberation.fr/politiques/0101608753-doigt-casse-pour-besancenot-lors-de-son-interpellation