J'ai entendu hier à la télévision Benjamin Stora expliquer à juste titre qu'un grand homme était quelqu'un qui avait marqué son époque « en bien ou en mal » (je cite de mémoire en espérant son indulgence pour le manque d'exactitude de ma part).
D'accord avec cette définition, je ne peux m'empêcher néanmoins de m'interroger sur la relativité de la notion. Qu'est-ce qu'un grand homme, un petit homme, un homme de la moyenne ? Certains marquent-ils leur époque plus que d'autres ? Comment ? Dans quel domaine ? Certains ne marquent-ils pas plus la postérité que leur époque ? D'autres, considérés comme marquants à leur époque, ne sombrent-ils pas dans l'oubli après leur mort ? Le grand homme ne représente-il pas tout compte fait la plus haute expression de la vanité humaine ?
A toutes ces questions, l'inénarrable Georges Frêche, l'homme qui a fait gagner la gauche en Languedoc-Roussillon aux dernières élections en matant la rébellion parisienne des appareils du parti, semble ne pas se soucier des réponses en consacrant cinq statues de grands hommes dans sa bonne agglomération montpellieraine (1) . Sa réoccupation de l'espace médiatique est déjà en soi un succès, une option pour le grandhomminat futur auquel il aspire lui-même une fois restaurée pour de bon la Septimanie.
En effet, si l'on analyse le profil des cinq grands proposés, nous avons en fait uniquement des personnages du XXème siècle qui ont la particularité d'avoir été à la fois hommes d'Etat et idéologues et qui n'ont d'ailleurs pas forcément laissé le même souvenir à leur peuple. C'est profondément injuste. Est-ce à dire qu'aucun homme des sciences ou des arts ne peut figurer dans la liste ? Est-ce à dire que parmi les hommes d'Etat et idéologues autres que ceux retenus pour le XXème siècle, aucun ne peut leur arriver à la cheville (Gandhi, Tito, Ben Gourion, Mandela...) ? Est-ce à dire qu'Hitler, l'homme qui a fait exterminer le plus d'hommes de son vivant et qui passe pour avoir été le plus grand monstre de l'humanité, ne mérite pas pour sa part le titre de super grand homme ?
Je conseillerai donc à Georges Frêche, avec toute l'humilité du misérable petit homme que je suis, de méditer ne serait-ce que deux minutes sur ce très beau texte d'Emile Durkheim daté de 1883 mais qui n'a rien perdu de sa fraîcheur (2).
Lincunable, 19 aoùt 2010
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