La question commence à faire le tour du monde : « Vous prendrez bien le prochain vol can ? ». En effet, en scrutant le ciel de ce matin, on pouvait voir de rares avions passer en altitude au-dessus de nos têtes en trainant de jolis panaches blancs derrière eux, signes d'une reprise progressive du trafic aérien.
Ouf ! Il était temps. Des voix de plus en plus bruyantes, remuantes, éructantes et concordantes, commençaient en effet à tirer à boulets rouge sur le principe de précaution, déjà malmené par la gestion de la grippe A. Or qui crie le plus fort ? Les compagnies aériennes, les assurances, les entreprises de fret s'indignant du diktat étatique en mettant en avant leurs pertes financières astronomiques : 35 millions d'euros par jour, rendez-vous compte...
Or, il faut savoir que le trafic aérien est devenu particulièrement dense en temps normal et de plus en plus difficile à contrôler, les collisions en période de croisière n'étant plus des cas d'école (1). Parallèlement, il est connu que les avions pris dans des nuages de cendre volcanique voient leurs moteurs coupés, même momentanément, ce qui les oblige à des chutes brutales et des pertes de trajectoire (2). Peut-on imaginer une seconde ce qu'il serait advenu avec non pas un appareil mais la totalité (ou du moins une grande partie) de la flotte aérienne mondiale prise dans la tourmente du ciel européen ? Combien de collisions en chaîne se seraient produites ? Le coût économique est-il supérieur au coût humain ?
La seule inconnue résidait dans l'état de dilution des cendres volcaniques dispersées ou stagnantes dans notre ciel. On met alors en cause l'absence dans les premiers jours d'avions de reconnaissance tournant à vide. Certes, on aurait pu les faire décoller plus tôt. Encore fallait-il préalablement avoir arrêté tout vol de passagers, avoir pris le temps de l'analyse des données et pensé à cette solution inédite puisque jamais mise en oeuvre auparavant.
Beaucoup plus stupéfiante est la gestion des passagers bloqués aux quatre coins du monde, privés de toute information fiable sur place et astreints à la débrouille : pour la très grande majorité d'entre eux, ils en ont été de leur poche : nuitées supplémentaires, moyens de transports de remplacement, avec en prime une exploitation financière scandaleuse des conditions de leur rapatriement. Le cas Marmara est à cet égard exemplaire (3).
Il est alors tout-à-fait surprenant que l'armée n'ait pas été mise à contribution pour assurer les rapatriements d'urgence : marine, mais aussi infanterie motorisée (camions gracieusement mis à disposition du public plutôt que services d'autocars privés exploitants les malheurs des autres).
Seule l'amirauté britannique a eu cette attention. C'est tout à l'honneur de Gordon Brown, même si son efficacité dans l'action n'a pas encore été mesurée avec précision.
Lincunable, le 21 avril 2010
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