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Billet de blog 21 août 2009

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Partage

Le partage est, selon le dictionnaire (1), une « action visant à diviser en parts un bien commun » à l'occasion, par exemple, d'un héritage, d'un don ou d'une redistribution après acquisition.

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Le partage est, selon le dictionnaire (1), une « action visant à diviser en parts un bien commun » à l'occasion, par exemple, d'un héritage, d'un don ou d'une redistribution après acquisition.

Jusque-là, tout le monde est plus ou moins d'accord. Là où ça se complique, c'est quand il s'agit de savoir quel est le bien commun à partager et s'il doit être partagé en parts égales ou inégales. L'acte de propriété individuelle, en effet, n'est pas toujours authentique, légal ou légitime. Et même s'il l'est, il peut encore se heurter au droit d'expropriation au nom d'un intérêt public supérieur, comme à l'occasion de la construction d'autoroutes ou de barrages hydroélectriques, moyennant alors une juste indemnisation. Nous connaissons aussi le droit d'aînesse qui donne une priorité dans le partage par ordre de primogéniture et nous connaissons encore la « part du lion » qui donne un avantage certain au puissant en lui accordant la plus grande part du fait de sa seule condition.

Ainsi, dans la fable de Jean de La Fontaine « La génisse, la chèvre et la brebis en société avec le lion », nous avons :

« ...Eux venus, le lion par ses ongles compta

et dit : « nous sommes quatre à partager la proie »,

puis en autant de parts il dépeça ;

prit pour lui la première en qualité de sire :

« elle doit être à moi, dit-il, et la raison,

c'est que je m'appelle lion :

A cela, l'on n'a rien à dire,

La seconde, par droit, me doit échoir encor :

ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.

Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.

Si quelqu'une de vous touche à la quatrième,

je l'étranglerai tout d'abord. » (2)

Bien sûr, nous sommes loin du système eucharistique, où lors de la dernière cène, selon les évangiles, Jésus prit du pain, le partagea entre ses disciples et dit : « mangez, ceci est mon corps », puis il prit du vin, le partagea de même et dit : « buvez, ceci est mon sang » (3).

Car, dans la plupart des cas, on est tout prêt à partager le bien du voisin mais pas le sien.

A titre d'illustration, je citerai trois cas plus ou moins récents qu'on présente parfois comme modèles de liberté individuelle en société alors qu'ils en sont exactement l'inverse :

- le premier cas est français et nous vient du bouclier fiscal : la nécessité de l'impôt n'est contestée par personne car il faut bien financer d'une manière ou d'une autre les dépenses publiques. Ce qui est en cause, c'est la justice fiscale. Tout le monde doit-il être égal devant l'impôt, ce qui signifie faire payer la même chose aux riches et aux pauvres ou au contraire inégal de manière à ce que l'impôt soit équitablement réparti et proportionnel à l'état de fortune. Le bouclier fiscal est une réponse mitigée puisqu'il reconnait aux pauvres la légitimité de payer moins d'impôts que les riches (voir pas du tout sous certaines conditions), mais jusqu'à une certaine limite. Il ne faudrait tout de même pas exagérer. Le terme de bouclier fait d'ailleurs penser à une panoplie d'armurier que les riches devraient revêtir d'office pour ne pas avoir à être dépouillés par l'Etat. Cette limite a été fixée à 60% des revenus par le Gouvernement de Villepin en 2006 ramené à 50% par le premier Gouvernement Fillon en 2007. C'est ainsi que la moitié de l'état de fortune des contribuables échappe à la justice fiscale alors que l'Etat percepteur est présenté comme un voleur et non comme répartiteur de richesses.

 

- le second cas est belge et italien et nous vient des mouvements sécessionistes : qu'il s'agisse des indépendantistes flamands ou des autonomistes padans, la motivation est toujours la même : la richesse ne doit pas être partagée quand on est riche parce que s'il en est ainsi c'est qu'on l'a mérité et les pauvres doivent admettre la nécessité de leur condition de pauvre. Ainsi, la principale motivation des séparatistes flamands n'est pas linguistique ou culturelle mais socio-économique avec la peur du nivellement par le bas, la région la plus riche du royaume devant payer pour la région la plus pauvre (3). De même, le nouveau « fédéralisme fiscal » prôné en Italie par Umberto Bossi, président de la Ligue du Nord alliée au Gouvernement au parti de Silvio Berlusconi, est clair. Il s'agit d'insuffler l'idée que chaque région ne peut pas dépenser plus qu'elle ne gagne et que les salaires doivent être différenciés entre le Nord et le Sud puisque le coût de la vie y serait lui-même différent (4). La notion d'Etat-arbitre correcteur de disparités est évidemment absente de tous ces débats, les riches devant pouvoir continuer à s'enrichir davantage et les pauvres n'ayant qu'à s'en prendre à eux-mêmes.

- le troisième cas est américain et a trait à la réforme du système de santé : la montée au créneau d'une droite revancharde et haineuse sur un projet visant à rendre tous les américains assurés contre les risques de maladie en a surpris plus d'un, y compris le nouveau locataire de la Maison Blanche. Le raisonnement est le suivant : on doit pouvoir choisir si on veut être assuré ou pas et dans quelles conditions. L'Etat fédéral n'a pas à imposer une couverture sociale pour tous. « Je ne suis responsable que de moi-même, pas des autres. Je ne devrais pas avoir à partager les fruits de mon travail avec d'autres », lit-on sous la plume de Sylvain Cypel (5).

Le problème, c'est que la solidarité financière est "le" principe de base du développement économique, que ce soit dans le cadre des organisations internationales où l'on promeut le commerce équitable, ou dans les organisations européennes où l'on parle de « marché commun » et de « préférence communautaire ». S'il y a une efficacité économique des interventions communautaires, c'est précisément sur la réduction des écarts de développement entre régions européennes qu'on peut en attendre quelque chose, pas sur leur accélération : ajustement structurel pour celles qui sont le plus en retard, reconversion pour les zones en difficulté, pactes pour l'emploi, etc...

Sans partage, il ne peut pas y avoir de construction européenne.

Et sans construction europénne, c'est le retour à la construction impériale des nations.

Lincunable, 21 août 2009

___________

  1. http://www.lafontaine.net/lesFables/afficheFable.php?id=6

  2. Lc 22/17-22, Jn 6/51-58, Mt 26/26-29

  3. http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2007-01-17/belgique-flandre-la-tentation-separatiste/924/0/27568

  4. Philippe Ridet dans Le Monde daté du 20 août 2009, p.7.

  5. Sylvain Cypel dans Le Monde daté des 16 et 17 août 2009, p. 5.

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