Le Mur de l'Atlantique est d'abord le titre d'un film de Marcel Camus sorti dans les salles en 1970 et transformant le sympathique français moyen Bourvil, alias Léon Duchemin, restaurateur de son état, en acteur essentiel de la bataille de Normandie du fait de son implication fortuite dans la résistance au gré des liens familiaux tissés sans préméditation (1).
Cette vision idyllique du Mur, associée à quelques promenades estivales personnelles le long des côtes à proximité de restes de blockhaus présentés comme un témoignage de l'effondrement matériel et moral du IIIème Reich alors qu'ils constituent plutôt l'empreinte indélébile de l'asservissement national n'avaient jamais vraiment occupé mon esprit jusqu'à cette réalisation documentaire présentée en avant-première à l'initiative de Médiapart par son auteur, Jérôme Prieur, et en présence d'Edwy Plenel (2).
D'emblée, Jérôme Prieur s'est excusé de n'avoir pas intégré dans son film le récit de témoins survivants, ayant choisi de donner la parole aux historiens et aux traces matérielles. Or, on comprend vite pourquoi, les témoins éventuels (chefs d'entreprise ou ouvriers du bâtiment) n'ayant pas eu le beau rôle en acceptant de collaborer économiquement et socialement avec l'ennemi, triplant parfois le salaire escompté sur n'importe quel autre chantier de l'époque en se rémunérant sur les dettes de guerre des vaincus (300 000 français concernés entre 1943 et 1944), l'enregistrement de leur témoignage pouvant alors être perçu comme une mise en accusation, ce qui n'était probablement pas le but recherché.
Ce nouveau « Mur de l'Atlantique », qui, pour l'auteur, n'était d'ailleurs pas un Mur au sens strict du terme mais un ensemble de fortifications et de casemattes disparates dont la majeure partie était enfouie sous terre comme des icebergs sous l'eau, ayant eu pour nom de code « Opération Todt », du nom de son concepteur bientôt d'ailleurs lui-même remplacé par l'architecte en chef nazi Albert Speer, porte mal son nom puisque s'étalant sur 4 400 km de plages de la Norvège à l'Espagne, il se retrouve non seulement face à l'Atlantique mais aussi face à la Manche et à la Mer du Nord d'où il était censé prévenir toute velléité d'invasion occidentale après l'échec de l'écrasement oriental des soviétiques.
Des films d'archives, publiques et privées, pour la plupart non montrées à ce jour, illustrent parfaitement le propos des historiens sur la vie quotidienne du Mur, et l'on reconnaît ici ou là la patte du photographe Fernand Bignon dont il a été question dans un précédent billet, comme l'arrivée des troupes allemandes à Avranche filmée depuis une fenêtre d'habitation (3).
Plusieurs leçons peuvent être tirées de cette histoire méconnue :
- la mémoire étant sélective, elle s'est inventée un roman national autour de la France résistante (cf. le film de Marcel Camus), sabotant la construction du Mur pour le fragiliser en injectant du sucre et de la farine en lieu et place du sable pour la confection du béton armé (ce qui est absurde en période de rationnement alimentaire) ou en transmettant aux autorités britanniques de précieuses informations sur les installations elles-mêmes (il a pu y en avoir, certes, mais combien ?).
- cet ouvrage militaire gigantesque et mégalomaniaque a certainement pu avoir un effet dissuasif mais l'effort fourni paraît dérisoire au regard de l'efficacité escomptée alors qu'en quelques jours, voire quelques heures de débarquement, c'est l'ensemble du dispositif qui était contourné.
- les leçons de l'histoire n'ont pas été tirées par les nazis, ce qui prouve si besoin était que malgré leur méticulosité bureaucratique ils ne brillaient pas par la rationalité des décisions : du Mur d'Hadrien (117 km) à la Grande Muraille de Chine (7 300 km) en passant pas la Ligne Maginot (700 km), aucun mur ne s'est à ce jour révélé infranchissable.
Ce billet étant tout spécialement destiné aux médiapartiens et clubistes provinciaux privés de réunion-débat faute de transport approprié un jour de grève nationale et générale, et en particulier ceux d'entre eux qui habitent le long du Mur de l'Atlantique, une session de rattrapage sera organisée le 18 novembre prochain puisque le film sera présenté ce jour-là sur Antenne 2.
Lincunable, 21 octobre 2010
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