Ce n’est pas au vieux sage qu’on apprend à faire la grimace ni au ouistiti à dire non.
Donc, l’autre jour en sortant le chien comme d’habitude pour lui faire faire ses besoins dans le caniveau, je l’ai emmené faire du lèche-vitrines. Il était tout excité rien qu’à l’idée et salivait à grande eau devant les étals de boucherie et les débits de poissons.
« -Kalmos ! Kalmos ! », fis-je à son endroit, car c’était bien son nom, « Nous ne sommes pas là pour rigoler mais pour faire briller les devantures comme des miroirs. Commençons par cette vitrine-ci. Kalmos ne se fit pas prier et lapa à grands coups de langue du sol au plafond.
Au bout d’un moment, le commerçant qui avait vu notre manège passa un bras à l’extérieur du magasin et nous fit signe d’entrer. Kalmos essuya ses pattes poliment mais fit une moue désabusée : c’était un confiseur réputé pour les sucreries, pas pour les os à ronger.
Qu’à cela ne tienne, le marchand nous demanda ce que nous accepterions comme récompense car il payait toujours rubis sur l’ongle après service fait.
« - Voyons un peu », fis-je, « vous avez là des compositions en chocolat fort prisées qui épateraient plus d’un ami à l’heure du thé". «- effectivement, c’est une de nos spécialités. Nous sommes même fournisseurs attitrés des palais les plus fins, c’est-à-dire à l’exception de ceux de l’Elysée et de Buckingham".
« - et cette curieuse boîte en réglisse, que contient-elle ?
« - ah ça, Monsieur, ce sont des bêtises.
« de Cambrai ?
« non, non, de Cambronne ».
Par curiosité j’ouvris la boîte, et effectivement des tas de gros mots me sautèrent au visage accompagnés d’aboiements hurleurs et de vociférations imprononçables qui laissèrent Kalmos pantois.
« - C’est bon », fis-je en refermant la boîte. « Je vous laisse les bêtises et me contenterai de deux ou trois marques d’intelligence cachées au fond de ce pain d’épice-là ».
Et nous repartîmes en nous lêchant les babines, le coeur plein de cette intelligence. Elle n’est pas belle la vie ?
Lincunable, 23 juillet 2009