C’est pour ainsi dire par hasard que je suis tombé sur le numéro 100 des Cahiers d’histoire datant de janvier – février – mars 2007, soit antérieurement à l’ère Sarkozy (1), à l’occasion des 4èmes Rencontres du livre et de la presse des droits de l’homme des 22 et 23 mai 2010 consacrées au « travail : droits et défis » (2).
N’ayant pu me libérer que pour la dernière des tables rondes, j’en ai profité aussi pour flâner entre les stands des diverses associations et revues présentes à cette manifestation, dont les Cahiers d’histoire.
Ce numéro 100 m’a tout de suite intéressé par sa thématique retenue : « La réconciliation franco-allemande : les oublis de la mémoire ». Que les Espaces Marx et la Fondation Gabriel Péri soient partenaires de la revue ne m’inspire aucun a priori favorable ou défavorable, mais qu’une revue d’histoire décide de s’engager dans la vigilance des usages publics de la mémoire, voilà qui me parait devoir être encouragé et soutenu, la pertinence des regards portés sur le passé devant être mesurés en regard de leur résistance à l’épreuve du temps, ce qui semble bien être ici le cas puisque publié avant que notre mémorialiste en chef ne s’installe à l’Elysée en fixant le cap de notre mémoire et de notre identité nationale.
Or, en introduction au débat, Anne Jollet nous livre une ambition qui préfigure en fait celui d’aujourd’hui, ne serait-ce qu’avec l’affaire de la Croisette à propos de Bouchareb : « croiser les points de vue », « mettre en exergue les oublis », on ne saurait mieux dire.
Je ne pourrais pas ici citer toutes les contributions de ce numéro exceptionnel.
Je me contenterai donc d’évoquer la réconciliation franco-allemande selon Mathias Delori, à l’époque assistant temporaire d’enseignement et de recherches à l’Institut d’études politiques de Grenoble : pour lui, la question des symboles est essentielle pour la fondation de valeurs supposées communes : l’histoire entre pays frontaliers devient une histoire de couple comme si la France et l’Allemagne vivaient une passion amoureuse et même parfois de couple homo (cf. Mitterrand et Kohl main dans la main à Douaumont en 1984). Sarkozy essaiera bien d’inverser cette image à son profit avec Angela Merkel en lui proposant la bise, mais sans succès car elle n’apprécie guère, parait-il, les familiarités. Sont également pointés du doigt les lieux de mémoire renvoyant à l’histoire de France mais pas à celle des deux pays (cf de Gaulle et Adenauer assistant ensemble à un Te Deum à la cathédrale de Reims en 1962). Dans cette lecture aseptisée du passé, on s’efforce aussi de gommer tout ce qui a été relation d’occupant à occupé, en évacuant notamment pendant de longues années le problème des « bébés boches », nés pendant la guerre de relations entre françaises et soldats allemands ou entre allemandes et prisonniers français (3).
C’est bien que la tentative d’homogénéisation du passé se heurte toujours à des résistances qui conduisent à des frustrations et des constructions de mémoires concurrentes prouvant que le travail collectif est resté inachevé.
Une clef peut-être nous est donnée ici pour comprendre le refus d’entendre Bouchareb sur la Croisette de Cannes car il réveille avec « Hors-la-loi » une mémoire nationale dont le travail collectif est aussi resté inachevé.
Lincunable, 24 mai 2010
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(1) revue trimestrielle d’histoire critique publiée avec le concours du Centre national du livre et dont la rédactrice-en-chef est Anne Jollet : http://chrhc.revues.org/(2) http://www.ldh-france.org/fede/paris/wp-content/uploads/2010/04/rencontres-2010-programme.pdf(3) http://www.24heures.ch/actu/monde/enfants-boches-relevent-tete-2009-11-17