Ce matin-là, le radio-réveil me tirait du sommeil un peu plus tôt que d’habitude avec une nouvelle extraordinaire, à peine croyable. Elle venait tout juste d’être annoncée par flash spécial : « Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a démissionné de ses fonctions. Sa décision prend effet aujourd’hui même à midi. Conformément à l’article 7 de la Constitution, M. Gérard Larcher, Président du Sénat, assure l’intérim et expédie les affaires courantes jusqu’à l’élection du prochain Président de la République dans les 20 jours au moins et les 35 au plus ». Suit un programme de musique ininterrompue qui commence avec Henry Purcell : L’Enterrement de la reine Mary. Je me lève aussitôt, m’habille illico presto, et me précipite sur la porte d’entrée où le facteur, le facteur, sonne toujours deux fois après avoir déposé dans la boîte aux lettres Le Petit Gersois Près De Chez Soi auquel je suis abonné. Je l’attrape avec vigueur, referme la porte et cours à la cuisine préparer le petit déjeuner. Des plats chauds et des chats de Léautaud m’y attendent devant un bol de lait, certains les pattes en rond, d’autres croisées, d’autres encore en repose-tête pour faire école boule. L’eau du café bout. Je suis à bout. A la Une du Petit Gersois, pas un mot sur Nicolas Sarkozy. C’est vexant à la fin. A croire qu’il a été élu pour inaugurer les chrysanthèmes, non pour suivre les cortèges funèbres des altesses royales. En revanche, tout sur le marché de la truffe : la blanche et la noire, le poids à l’unité et le prix à la tonne. En pages intérieures, on se lèche les babines avec quelques recettes de foies gras : poëlé aux poires, brioché aux figues, etc…L’entre-filet sur la capitale consacré au contre-filet de Jo-Wilfried Tsonga fait à peine allusion à l’épidémie de sarkose survenue la semaine dernière à Matignon en contaminant tous les ministres à la sortie du conseil, mais sur la démission de Nicolas Sarkozy : silence radio. Tout en beurrant une tartine puis en la confiturant d’abricots maison, je me décide alors à allumer la télévision pour regarder le JT. On y parle abondamment des époux Woerth, couple modèle, et du rapport mère/fille chez les Bettencourt, genre coup de grisou, mais de la démission de Nicolas Sarkozy, pas un mot, pas même une allusion. Dépité, je sors mon téléphone portable et appelle tous azimuth autour de moi depuis le 1er cercle jusqu’aux 500 millions d’amis de Face Book :
« - Allo ? Alors, tu as entendu la nouvelle ? »
« - Laquelle ?
« - Sarko a démissionné !
« - Non, c’est une blague… »
« - pas du tout, je t’assure, ils l’ont dit au radio-réveil .»
« - alors là, je comprends mieux, tu l’as rêvé sans vérifier tes sources. Va donc faire un tour sur Médiapart où tout est en ligne »
Effectivement, j’avais complètement oublié d’ouvrir mon ordinateur. En me branchant sur Médiapart, je comprends alors mon erreur : la démission du Président de la République, même si elle a pu être évoquée ici ou là, au fil de l’eau, des blogs, articles et éditions, n’a jamais été vraiment considérée comme une hypothèse sérieuse, voire un scénario plausible. J’en ai donc informé immédiatement mon psy qui m’a rassuré à ce sujet :
« - oui, ce n’est pas bien grave, vous faîtes ce qu’on appelle un conflit de canard en prenant vos désirs pour les réalités. Partez un peu en vacances, cela vous fera beaucoup de bien, vous verrez… »
Si jamais Elisabeth Roudinesco me lit, je suppose qu'elle acquiescera à son diagnostic.
A tous, portez-vous bien, car, comme disait Robert Lamoureux dans un sketch célèbre : « le lundi matin, le canard était toujours vivant ».
http://www.dailymotion.com/video/x7inum_radio-robert-lamoureux_fun
Lincunable, 24 juillet 2010