De même qu'on a longtemps dit que François Mitterrand n'avait accepté de recevoir la francisque des mains du Maréchal Pétain que pour mieux servir la Résistance, de même a-t-on laissé courir le bruit qu'il n'était devenu ministre de la IVème République que pour mieux assurer la décolonisation.
Présenté hier en avant-première aux abonnés de Médiapart (1), le film s'attache à démonter ce mythe mais aussi à démontrer comment un homme de gauche installé aux affaires dans des Gouvernements successifs s'est laissé enfermer dans l'engrenage de la répression en devenant au nom de l'idéal républicain l'un de ses plus fervents partisans, contrairement à l'image qu'il a voulu se donner après coup, notamment en abolissant la peine de mort en France.
Réalisé par Frédéric Brunquell à partir de l'ouvrage de Benjamin Stora et de François Mayle intitulé : « François Mitterrand et la guerre d'Algérie » publié aux éditions Calmann-Lévy, un débat s'est ensuite engagé dans la salle avec les auteurs en présence d'Edwy Plenel , débat animé par Antoine Perraud qui en avait préalablement livré une analyse détaillée sur le site de Médiapart (1).
Comme il a été très justement observé, cet événement documentaire peut être comparé à celui qui a présidé à la sortie du film de Marcel Ophüls, Le chagrin et la pitié, en 1971, même s'il n'est pas à l'avantage du fédérateur de l'union de la gauche de 1981, et ce pour au moins deux raisons :
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dénonciation d'un système de gouvernement et non de quelques personnalités seulement soumises à la pression des évènements (ici la collaboration, là la mise en place d'un régime d'exception pratiquant les exécutions sommaires et la justice expéditive) ;
focus sur les témoins directs tant du côté français que du côté algérien, ce qui est assez nouveau, illustré par des images d'archives et des discours-clefs.
Or, il apparaît clairement après avoir visionné ce film qu'un certain malaise s'empare in fine du spectateur : comment en est-on arrivé là ? Comment d'authentiques démocrates, pour beaucoup anciens résistants au nazisme ou combattants de la France libre, en sont-ils venus à justifier en Algérie la torture et l'application de la peine capitale sans beaucoup d'égards pour le droit à la défense (plus de 80% des demandes de recours en grâce auraient été rejetées par le ministre de la justice Mitterrand dont l'avis était toujours suivi par le Président de la république René Coty) ? Certains ont certes démissionné devant la gravité des exactions comme Pierre Mendès-France et Alain Savary, mais d'autres ont persisté comme François Mitterrand, Robert Lacoste ou le Général Massu qui se vantait d'avoir lui-même pratiqué la « gégène » sur des prisonniers.
Sans doute faut-il voir dans les questions d'ego qui nous guettent tous cette transformation plus ou moins consciente de défenseur s des droits de l'homme en tortionnaires actifs ou passifs. Face à la rébellion et aux attentats aveugles, il ne s'agit plus alors de chercher à punir des coupables mais de faire des exemples pour montrer à ceux qui nous défient qui est le maître et qui est le plus fort., le véritable objectif politique étant perdu de vue. Ainsi, le colonel Argoud aborde sans état d'âme et sans aucun regret ses « corvées de bois » ou assassinats sommaires qu'il évalue à titre personnel à 200, le but avoué étant moins de trouver des terroristes que de montrer à la population locale sa propre capacité de répression en exhibant les victimes sur les places publiques, pour l'exemple. Ainsi de la Veuve qui fonctionne sans discontinuer pendant plusieurs mois à la demande expresse de François Mitterrand sans autre but que de frapper les esprits (45 fois en moins d'un an même pour des faits mineurs ou non prouvés, selon Gisèle Halimi).
Lincunable, 26.10.2010
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(1) diffusion prévue sur France 2 le 4 novembre vers 23h
(2) http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/201010/francois-mitterrand-un-passe-algerien-devoile
