A P O P T O S E
Je n’ai jamais cru à la fin du monde. Enfin…Pas maintenant.
Par contre à la fin de CE monde, oui. C’est un « branle pérenne ».
L’obsolescence coule partout dans les veines de la Terre.
Je croyais à la fin d’un monde non pas dans les foudres terrifiantes de l’écroulement des murs de Jéricho. Non. Mais plutôt comme s’écoule notre jeunesse : Insensiblement.
Jusqu’au jour où…
Sans crier gare, et sans paillettes, au cœur du plus banal des jours, IL s’annonça.
Sous la forme d’un instrument inconnu de moi : la kora.
Je ne vis qu’ELLE.
Elle était là, posée du haut de sa splendeur. Un homme la tenait serrée entre ses genoux.
D’une splendeur l’autre.
Je m’approchais. L’homme était occupé dans l’exercice d’accordement des cordes. Je lui demandais de me parler de son instrument.
Il me répondit, toujours sans lever la tête, qu’il était né dedans.
« Je suis un griot. Je connais toute l’histoire des gens de ma famille.
Je suis un seigneur du désert ».
Il se préparait pour un concert. Après avoir récupérer ses coordonnées, je le quittais. Sous le charme de l’instrument.
Bien sûr, je me rendis au concert…
« Elle » était là, ne faisant qu’un avec lui.
Bientôt, une voix.
Une voix que je ne connaissais pas et pourtant qui m’était familière.
Elle portait, comme dit le poète, toutes les multitudes.
Ainsi commença pour moi la fin de CE monde.
Ce qui sortait de lui je n’en avais jamais effleuré la moindre impression. Bien sûr çà n’avait rien à voir avec un de ces arias classiques que j’avais étudiés.
C’était tout simplement une émanation.
De ses entrailles, de son cœur. De son tout.
Un haïku sonore.
Qui me promenait de douceur en rugosité, d’éclaboussements de volupté en âpres raclures, de nostalgies en flèches de lumière.
Je me sentis soulevée, puis aspirée vers des rives obscures.
Face à ce qui m’apparut comme les riffs sauvages de la forêt vierge, je me sentis fondre.
Ma raison soudain baissa la garde : je ne me possédais plus.
Sous l’effet d’une pulsion autant violente qu’imprévisible, je me lâchai. Et commençai de chanter.
Ou plutôt, en écho à ses émanations, je mêlai ma voix à la sienne, sur le même mode de vocalises.
Mon chant le toucha là d’où le sien partait. Qui était son dedans.
Et qui étrangement se fit « notre « dedans.
Il poursuivit ses vocalités, tête enfouie dans sa kora.
Je vis qu’il tremblait. Bientôt tout son corps fut secoué sous des salves de forces terrifiantes. Lorsqu’il émergea des entrailles de sa kora, je découvris son visage.
Il respirait une beauté primitive.
Je me sentis comme prise dans les glaces.
J’avais vu l’artiste.
Là, je soudain, je vis l’homme.
Le désert et ses solitudes innombrables ruisselaient en perles transparentes sur l’ébène de son visage.
Ses yeux étirés jusqu’aux tempes semblaient tombés tout droit des bas reliefs égyptiens. Tout, depuis ses pommettes saillantes jusqu’aux lèvres charnues, rappelaient la grâce d’un pharaon.
Il se leva en dépliant son corps fragments par fragments, du mode végétatif qui anime les êtres authentiques.
Cette statuette de Tanagra vibrait d’une sensorialité sauvage.
Face à cette puissance traversée de transcendance sensuelle,
je tombai à genoux.
Et me fis gazelle…
Je connus la fin de ce monde…Et l’alignement des planètes.
Linden BLOSSOM