Les jeunes ont désormais trente-cinq ans. Suis-je dans cet entre-deux ages qui permet de mieux discerner les tensions, les lignes de fuite ou les perspectives ? Du moins je me sens aussi proche des plus jeunes, les lycéens, qui défilent aujourd’hui dans la rue que de ceux de mon age qui n’ont connus que les petits boulots, la précarité de l’emploi, l’insalubrité du logement à des tarifs dont l’on n’ose pas parler. Jusqu’à l’amour que l’on voudrait nous faire passer pour nécessairement précaire – il suffit, pour s’en convaincre, d’écouter Madame Parisot, Présidente du Medef : « l’amour est précaire, pourquoi le travail ne le serait-il pas aussi ? ». Sans rire, nous avons donc à rappeler que l’amour n’est pas une marchandise et le travail une marchandise bien différente des autres marchandises.
D’autre part, peut-on dire sérieusement que la question de l’emploi soit la plus vitale des questions qui se posent à nous ? Alors même que l’idéalisme n’est plus de mise, alors que l’on ne parle plus de bonheur. Le bonheur : chacun sait ce dont il retourne, tant tous, un jour, nous y prîmes notre part. Alors pourquoi ne pas parler d’amour éternel, de feuilles d’automne ou de nuits d’août. Pourquoi ne pas parler musique ou bien littérature ? Au travail. Parler feuilles mortes au travail, parler printemps, soleil grandissant ou déclinant. Un étrange projet au demeurant. Tant il est vrai que c’est avec acharnement que l’on nous parle de rentabilité, alors que nous parlons d’amour, de grasse matinée, et de corps enlacés. D’amour, vous dis-je !
Vouloir un avenir qui soit radieux, c'est-à-dire la mise en place d’une véritable utopie réalisable: nous aimer. Voilà bien ce que dès aujourd’hui nous pouvons réaliser : l’utopie de l’amour du prochain ; celle qui libère instantanément de bien des entraves, de bien des chaînes. Celle qui permet de forcer le destin par un oubli de soi et par l’abnégation la plus éprouvée. Nul besoin de chercher, l’amour est là, constant. Puisque même le déclin s’impose comme un renouveau ; un renouveau qui ne peut nous échapper.
Car il est à prévoir que de l’amour de l’autre naît la possibilité d’autres choses bien concrètes : salaires véritablement attractifs, retraite à cinquante-cinq ans pour les maçons, les boulangers, les travailleurs à la chaîne. Formation réelle tout au long du parcours professionnel. Les idées ne manquent pas. Tant sont grands les désespoirs, orphelins les choix de société .