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Billet de blog 10 juin 2018

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Soudaine prise de conscience écologique à la FNSEA ?

Refus de voire importer des produits que les agriculteurs français ont interdiction de produire pour des raisons environnementales, autorisation donnée au groupe Total d'importer de l'huile de palme : la FNSEA riposte par l’appel au blocage des dépôts de carburant. Comment les défenseurs de l’environnement, traditionnellement hostiles à la FNSEA, peuvent-ils interpréter ce geste ?

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Une fois n'est pas coutume, je suis d'accord avec un mouvement de grogne de la FNSEA ! A compter de ce soir, dimanche 10 juin, 13 dépôts de carburant du pays devraient être bloqués par les militants de cette puissante fédération agricole. Ils reprochent au gouvernement une forte incohérence entre ce qui est demandé aux agriculteurs français, dans la droite lignes des revendications des citoyens et des conclusions des récents états généraux de l'alimentation, et un certain nombre de décisions commerciales. La FNSEA semble avoir entendu - enfin - les attentes de l'opinion publique en matière d'alimentation et se dit désormais sensible aux questions liées à la qualité de l'alimentation des français. Or c'est précisément le moment que choisit le gouvernement pour passer des accords commerciaux qui vont précisément à l'encontre des aspirations de l'opinion publique et des conclusions des états généraux de l'alimentation. Résultat paradoxal, les agriculteurs français sont appelés à ne plus produire des aliments que parallèlement, les traités commerciaux vont autoriser à l'importation. La FNSEA a raison, c'est incohérent et contraire aux intérêts des populations car les préoccupations environnementales sont presque totalement absentes des accords commerciaux récents avec le Mercosur ou avec le Canada par exemple. La "goutte d'huile", pour reprendre l'expression de la patronne du syndicat, Christiane Lambert, est la possibilité offerte par le gouvernement au groupe Total d'importer de l'huile de palme à hauteur de 50% des matières premières permettant de fabriquer des bio-carburants dans son usine de La Mède. Selon la FNSEA, ces biocarburants pourraient être obtenus à partir de matières premières produites en France, par exemple de la betterave.

Favorable à une révolution dans nos modes de transport, je ne suis pas défenseur, a priori, des biocarburants, notamment parce qu'ils sont un gros consommateur d'espaces potentiellement naturels. Je trouve néanmoins, il faut l'avouer, assez cohérent l'argumentaire de la FNSEA. Et je me dis que pour les défenseurs de l'environnement, il y a dans le conflit qui monte une occasion en or d'avancer réellement sur certaines questions et de pousser la FNSEA à réfléchir sur d'autres sujets. Pourquoi en effet ne pas prendre le syndicat agricole aux mots ? Pourquoi ne pas acter, effectivement, un virage idéologique, que l'on qualifiera de pragmatique, dans les paradigmes de l'agriculture productiviste ? Si les agriculteurs gagnent correctement leur vie avec le bio, le raisonné, les productions propres et le remplacement des produits phytosanitaires, alors pourquoi ne pas (provisoirement ?) fédérer leurs revendications avec celles des mouvements écologistes, des défenseurs de l'environnement et plus généralement de tous ceux qui prennent conscience que notre avenir est menacé par nos propres pratiques ?

Oui il faut aider la FNSEA à entraver les accords commerciaux récents et leurs conséquences ravageuses sur la qualité de notre alimentation. Parce que les défenseurs de l'environnement ne disent finalement pas autre chose. Oui il faut aider la FNSEA à lutter contre l'autorisation de l'huile de palme, dont la production est un véritable carnage dans certains pays. Car là non plus, les défenseurs de l'environnement ne disent pas autre chose. Notamment à propos de l'ile de Bornéo : c'est une chose de s'émouvoir devant la vidéo d'un singe qui s'en prend à une machine pour défendre sa forêt. C'en est une autre de comprendre que si sa forêt est menacée, c'est en grande partie à cause de NOS modes de consommation et de NOS politiques commerciales. Avec la décision d'autoriser l'usage de l'huile de palme, le gouvernement d'Emmanuel Macron et le groupe Total se rendent directement et ouvertement complices de la déforestation en Indonésie et ailleurs, et doivent assumer les désastres écologiques que cela implique. Que ce soient les associations environnementales ou la FNSEA qui le dénonce, cela ne change rien à la réalité des faits et au bien-fondé de cette dénonciation.

Mais tout autant, pour être crédible et apparaître sincère, la prise de conscience de la FNSEA doit être globale. A nous, défenseurs de l'environnement, de prendre acte du fait que le combat que mènent les agriculteurs français contre l'huile de palme et contre les récents accords commerciaux est un combat juste, qui rejoint les nôtres ; à nous également de leur faire prendre conscience que notre combat contre leur utilisation des produits phytosanitaires, et spécialement du glyphosate, est un combat tout aussi juste. Car au fond, c'est le même combat : celui pour une société enfin réconciliée avec son environnement. En France comme à Bornéo ou au Brésil. Nous n'avons qu'une planète, et le combat pour l'environnement est un combat nécessairement global, qui n'est en rien compatible avec la logique du "en même temps".

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