Laissez-moi vous décrire la situation incroyablement dégradante pour notre démocratie que vivent actuellement un ami et son "épouse". C'est à dessein que je mets le mot épouse entre guillemets puisque cet ami à l'étonnante particularité d'être marié de l'autre côté de la Méditerranée mais d'être célibataire selon les autorités de notre pays…
C'est un des nombreux avatars créés par l'union matrimoniale que l'on qualifie de "mariage gris" et que l'on doit à ce triste individu qu'est Eric Besson, ci-devant ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire (quel titre… aussi long dans l'intitulé qu'il est explicite dans son objet). Et lorsque l'on sait la signification précise de l'adjectif "gris" dans la bouche de certain, on ne peut qu'être atterré et prier le ciel que cette terminologie ne s'installe pas durablement dans le langage courant…
Mon ami a donc rencontré voici quelques années une jeune femme originaire du Maghreb ; en 2009, ils décident d'officialiser cet amour et se marient dans le pays d'origine de la mariée. La fête est belle, les familles et amis entourent le jeune couple. L'objectif est donc de pouvoir vivre en France cet amour mais… mon ami, qui, bien que nous n'ayons aucun autre lien que cette amitié, est devenu un frère maintenant pour moi, n'a pas le "bon" profil, ni le "bon" prénom, ni le "bon" patronyme…
Pourtant, il a très certainement bien plus de droit de porter avec fierté sa nationalité française que d'aucun logeant à l'Elysée car ses parents sont nés dans ce qui était encore à l'époque partie intégrante du territoire national. Circonstance aggravante en ces temps redoutables de dénonciations calomnieuses, sous-entendus nauséabonds, "plaisanteries douteuses" et de procès d'intention, mon ami a épousé, je le rappelle, une ressortissante d'un pays du Maghreb…
Suspicion légitime aux yeux de ce pouvoir dévoyé ! Une demande de reconnaissance de ce mariage est déposée auprès des autorités françaises, démarche qui s'accompagne donc d'une procédure inquisitoriale : mon ami est convoqué dans les locaux d'une gendarmerie nationale tandis que sa femme est appelée à venir soutenir sa demande au consulat français de son pays d'origine. Pour tester sans doute la solidité de leur requête, ces entretiens se dérouleront près de 10 mois après le dépôt du dossier, sans parler des courriers reçus avec différentes orthographes du nom de mon ami, probablement pour mieux justifier ce délai anormalement long…
Au cours de ces deux entretiens, les questions seront les mêmes, classiques (état-civil du conjoint, renseignements divers) et certaines beaucoup plus tendancieuses ("Avez-vous vous consommé votre mariage ?", etc.). Je rougis à l'idée qu'un de mes concitoyens puisse être amené à devoir étaler sa vie privée face à un agent de l'état, de cette République Française, patrie des droits de l'homme et du citoyen !
Sortant des locaux de la représentation diplomatique française, la femme de mon ami a été abordée par deux femmes qui lui ont proposé "l'arrangement de son affaire et la satisfaction de sa demande" contre la somme de 3.000 € (trois milles euros, ce qui correspond tout de même à près de 25 fois le salaire moyen du pays concerné…). Sa mère et son frère l'attendaient au-dehors et ont entendu les termes de cette proposition scandaleuse ; ils sont intervenus et ont menacé les deux femmes de faire appel aux forces de police. Un homme attendait devant la porte du Consulat, restée entrouverte, et après avoir fait signe aux deux femmes, ces trois personnes sont entrées dans le Consulat.
Quelques jours plus tard, l'épouse de mon ami est à nouveau convoquée au consulat (distant de plus de 200 kms de son domicile) pour se voir remettre un courrier indiquant qu'elle avait bien été reçue à telle date, telle heure pour tel motif. J'imagine que cette lettre devait être remise en main propre pour une bonne raison (sinon l'envoi par la poste eut épargnée à la femme de mon ami les kilomètres A/R) car la femme qui lui tend le courrier, et qui l'avait reçue effectivement dans les locaux du consulat quelques jours auparavant, lui demande "Vous vous souvenez de moi ; vous vous souvenez que nous nous sommes vues ?". Curieuse demande dont on ne sait pas trop si elle faisait référence à l'entretien ou à la proposition scandaleuse faite sur le coin d'un trottoir…
Bien entendu, les 3.000 € n'ont pas été versés et bien évidemment, les services du procureur de Nantes (qui régissent les demandes de reconnaissance de mariage organisé à l'étranger entre ressortissant français et étranger) ont rejeté cette demande de reconnaissance au motif que, selon les autorités consulaires, la femme de mon ami aurait été incapable de donner l'âge de son mari, ainsi que des informations sur sa vie professionnelle ; allégations des plus farfelues si l'on veut bien considérer que son épouse lui envoie régulièrement ses souhaits de bon et heureux anniversaire et qu'elle sait évidemment quelle est sa profession ! Conclusions du procureur de Nantes "refus car il n'y a pas de projet d'insertion prévu en France"… Qu'une personne soit désireuse de vivre avec son mari ne suffit apparemment pas dans la France de 2010 ; il faut un "projet d'insertion" ! Demande-t-on aux milliers de couples qui convolent chaque année en justes noces dans notre pays s'ils ont un "projet d'insertion" ?
Je trouve pour le moins troublantque soumis aux mêmes questions et ayant fourni, et pour cause, les mêmes réponses, la demande de l'épouse de mon ami a été jugée irrecevable par les autorités consulaires françaises alors que le représentant de la Gendarmerie Nationale qui avait interrogé mon ami a conclu à la validité de leur demande ! Et je n'évoquerai pas plus le profond sentiment d'irrespect que représente la non reconnaissance d'un mariage régulièrement enregistré dans un pays avec lequel nous avons des liens économiques, diplomatiques, commerciaux et accessoirement historiques !
Dans cette affaire, assez emblématique du pourrissement des mœurs démocratiques dans notre "douce France" des années sarkoziennes, force est de constater que l'ignoble, ces questions proprement scandaleuses quant à la vie privée, le dispute au sordide avec cette proposition financière. Dans quel pays vivons-nous pour accepter qu'une femme et un homme légitimement mariés doivent attendre plus d'un an avant de pouvoir vivre ensemble leur amour ? Comment pourrions-nous vivre dans une société qui déciderait qui doit être valablement marié, selon des critères qui incluraient la race, le nom, la couleur de peau ou la croyance religieuse ? Nous sommes décidément dans une société pré-orwellienne… très près.
"De toutes les manières d'opprimer les hommes, l'oppression légale me paraît la plus odieuse." Condorcet