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Billet de blog 3 avril 2012

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Nicolas Sarkozy et le syndrome du poisson rouge

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article extrait du "Journal des chercheurs" du 2 avril 2012

L'historien Jean-Noël Jeanneney, dans un livre récent, analyse "L'État blessé" par le quinquennat de l'actuel Président de la République [1]. A son propos il évoque de "syndrome du poisson rouge". Il paraît qu'un poisson rouge n'a que quelques secondes de mémoire active. Ainsi de Nicolas Sarkozy qui n'arrête pas de dire le tout et son contraire dans sa stratégie bling-bling.

Nicolas Sarkozy est un des présidents les plus autocrates que la France ait connu depuis longtemps.Il n'en fait qu'à sa tête, sans considération pour les autres et s'il existait encore des "lettres de cachet" monarchiques, il en ferait un usage immodéré.

Michel Winock, commentant le livre de Jeanneney, rappelle son "bon plaisir" Le "car tel est mon bon plaisir" du président s'est manifesté dans tous les domaines. Veut-il rendre hommage à Simone Veil ? Il lui attribue d'emblée la grand-croix de la Légion d'honneur alors qu'elle n'en avait pas gravi le premier échelon (on n'a pas protesté parce que c'est une grande dame et tout le monde l'admire). Le pavillon de la Lanterne, réservé jusqu'à lui au Premier ministre, lui plaît-il ? Il se l'annexe sans vergogne. Il entend s'occuper de tout, réduisant son Premier ministre aux fonctions d'un sous-ordre, au point que, décidant de réunir ses ministres favoris en conseil informel, il en exclut François Fillon. D'une manière générale, le court-circuitage des ministres a été de règle, même quand il s'agissait d'Alain Juppé : on se souvient de l'épisode de l'entrée en guerre en Libye.

Son langage qui se veut proche du peuple est, en fait, un profond mépris pour celui-ci. Car le "peuple" comme il l'appelle, c'est à dire l'ensemble des gens qui n'ont pas eu la chance de poursuivre des études, s'ils ont leur langage de communication, ont toujours été respectueux de la langue française et de la parole élaborée mais sans sophistication. Traiter un quidam de "pauvre con" dans une assemblée ou déclarer qu'il vient d'envoyer à un pays "le plus con" comme ambassadeur, ne fait pas d'un Président de la République, un membre à part entière de la classe populaire, au contraire, cela marque une condescendance de très mauvais aloi. [2]

Le "peuple" d'ailleurs ne se trompe pas lorsqu'il critique le goût de l'argent de Nicolas Sarkozy et ses liaisons avec les grands financiers et industriels. Il pressent avec lucidité que l'attrait pour le pouvoir politique va de pair avec celui de l'accaparement économique. Il se demande d'où lui vient l'argent qu'il a dépensé pour l'achat d'un appartement de plus de 5 millions d'euros à l'Ile de la Jatte et pour lequel, suivant le journal Médiapart du 29 mars 2012, il n'a jamais pu fournir une explication transparente. Il existe aussi ces toutes dernières années, dans la foulée de l'affaire Bettencourt et autres, une "affaire Sarkozy" extrêmement ténébreuse et dont les journauxMediapart et Marianne ont cherché à comprendre les méandres sans y arriver complètement en avril 2012.

Ne parlons pas de ses bourdes de lycéen ignare concernant la citation de l'écrivain Roland Barthes confondu avec un sportif de renom ou de l'anecdote de "la Princesse de Clèves" comme titre d'un poème qu'il s'agirait d'apprendre par coeur dans un renouveau de la pédagogie traditionnelle. Il ne suffit pas de vouloir dialoguer avec un philosophe contestataire comme Michel Onfray dans un magazine spécialisé pour accéder à la culture philosophique.

Nous savions depuis longtemps que les Présidents de la Ve République, après de Gaulle et Mitterrand, étaient loin d'être des érudits, mais il y a des limites à la pensée creuse et "people" composée de miroitements incessants dans cette "montée de l'insignifiance" dont nous a entretenus dès les années 80 Cornelius Castoriadis. [3] Jacques Chirac, au moins, s'intéressait à la poésie et était ouvert à la culture traditionnelle japonaise.

On se demande quand, enfin en France, un Président de la République à la manière du tchèque Vàclav Havel, sera digne de l'honneur d'être le premier des Français par sa retenue, son intelligence du coeur et sa culture universelle ouverte sur une sagesse contemporaine ?

Si, comme le remarque intelligemment Michel Maffesoli, dans un livre récent [4], Nicolas Sarkozy est l'exemple-type de ce que peut donner aujourd'hui le post-modernisme en politique, je ne suis pas sûr que notre société aille vers des horizons culturels dignes de notre humanité.


[1] Jean-Noël Jeanneney, L'Etat blessé, Paris, Flammarion, Café Voltaire, 2012, 136 pages

[2] La grande différence entre le langage emprunté au peuple par les "bobos" sarkoziens et la réalité conflictuelle du langage populaire, c'est que si, à Belleville par exemple, dans un quartier du 20e arrondissement à l'est de Paris, je traite une personne un peu agressive verbalement à mon égard de "pauvre con", je risque fort de recevoir, en retour, immédiatement, un coup de poing en pleine figure. Ce risque n'existe absolument pas pour Nicolas Sarkozy, entouré en permanence d'une armée de gardes-du-corps surper-armés et entraînés. Il peut employer n'importe quelle injure, même la plus grossière, sans le moindre risque. C'est le propre de la bourgeoisie dominante et sûre d'elle même parce que préservée en permanence par la force policière ou militaire, que de feindre d'aller un peu du côté du peuple sans en avoir jamais les risques physiques d'affrontement qui sont permanents pour ceux qui vivent dans les quartiers difficiles. Le risque physique pour la bourgeoisie dominante n'a lieu que dans des périodes vraiment révolutionnaires, ce qui est loin d'être le cas en France

[3] Cornelius Castoriadis, Les carrefours du labyrinthe : Tome 4, La Montée de l'insignifiance, Paris, Points-essais, 2007, 292 pages

[4] Michel Maffesoli, Sarkologies : Pourquoi tant de haine(s) ? Paris, Albin Michel, , 2011, 200 pages

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