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Billet de blog 16 mars 2012

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Un terrible accident de car en Suisse : l'émergence d'une affectivité sociale

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extrait d'un article du "Journal des chercheurs" (avec liens hypertextes)

28 morts d'un coup, dont 22 enfants belges dans l'accident d'un car en Suisse qui revenait de la montagne.

Une minute de silence le 16 mars dans toute la Belgique et dans tous les milieux sociaux.

Une très profonde compassion de toute l'Europe s'est exprimée.

Que penser d'une telle émotion collective, que signifie-t-elle du point de vue de l'imaginaire social contemporain ?

Je pense que nous assistons à la montée d'un imaginaire central au niveau planétaire. C'est celui de l'éthique, bien au delà de toute morale convenue.

Par éthique il faut entendre un sentiment vécu d'une façon existentielle, singulière, de faire partie de l'unité du genre humain et d'en tirer les conséquences en termes de relation avec les autres et avec la nature.

En fait ce sentiment s'élargit à l'ensemble de la vie sur cette terre.

Personnellement les 23 enfants belges font partie pour moi de l'hécatombe de tous les enfants du monde qui meurent pour des causes diverses mais souvent par l'absurdité et la cruauté des pouvoirs établis et par l'inégalité provoquée des ressources sur notre planète. Ces tueries d'enfants sont des barrages infranchissables envers toute acceptation du divin, comme le remarquent aussi bien les philosophes Marcel Conche ou André Comte-Sponville. Elles fomentent en nous-mêmes l'Homme révolté, au sens où Albert Camus en parlait.

Je ne peux dissocier ces enfants déchiquetés dans leur car tombal, de tous ces enfants qui sont actuellement sacrifiés en Syrie, dans les territoires palestiniens, en Afghanistan, et dans tant de pays d'Afrique, d'Amérique latine, ou d'Asie.

Je les unifie aux enfants morts de faim en Chine sous Mao et sous l'affreux Pol Pot, comme aujourd'hui en Corée du nord.

Mais aussi de ceux qui ont disparu jadis au Rwanda dans la région des grands lacs et avant encore au Bangladesh et dans les monstrueux charniers de la Shoah.

Je n'oublie pas la petite fille colombienne Omeyra Sanchez victime à l'âge de 13 ans, le 16 novembre 1985, sous nos yeux, par média interposé, de l'éruption du volcan Nevado del Ruiz et ensevelie dans la boue sans pouvoir être sauvée, malgré tous les moyens mis en oeuvre. Evidemment, elle vivait dans des conditions de grande pauvreté.

L'événement produit par cet accident est, en fait, un avènement. Ce qui se donne à voir dans ce fait, c'est un sens du sensible qui sort de l'émotionnalisme habituel pour s'inscrire dans une compassion au-delà de toute institution religieuse, de toute idéologie et même de toute société du spectacle. Il débouche sur une spiritualité laïque où l'affectivité humaine est portée au jour par une relation interhumaine qui n'a plus besoin de s'afficher par le biais des religions ou de tout autre moyen.

Certes les Eglises (et leurs rituels) ont été encore très présentes durant la phase qui a suivi l'événement. Il est inutile de dire que la croyance demeure une sorte d'enracinement très difficile à comprendre dans l'histoire de l'humanité. Elle est loin de pouvoir être élucidée au profit d'un regard lucide et radical sur la souffrance et la mort, comme Krishnamurti ou un bouddhiste athée comme Stephen Batchelor peuvent l'exprimer [1]

Néanmoins, ce qui unifie les personnes touchées bien qu'elles soient parfois très éloignées des enfants, des parents ou des amis, paraît être d'une autre profondeur.

C'est un sens de l'enfant dont l'importance historique a été reconnue à partir du XIXe siècle et surtout du XXe siècle. Ce sens de l'enfant ou du retour sur soi et aussi sur le champ ouvert de tous les possibles dans la vie, constitue une dimension essentielle de la reliance entre les êtres vivants.

Ce sens de la reliance n'est plus en référence avec les religions mais avec l'athéisme philosophique ou avec l'agnosticisme et débouche sur la gravité, mais une gravité du sensible.


[1] Stephen Batchelor, Confession of a Buddhist Atheist. Random House, 2010, traduit en français en 2012 au Seuil, itinéraire d'un bouddhiste athée, 368 pages

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