Lise Poirier Courbet (avatar)

Lise Poirier Courbet

Psychosociologue, écrivaine engagée sur l'altermondialisme et l'émancipation

Abonné·e de Mediapart

5 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 novembre 2015

Lise Poirier Courbet (avatar)

Lise Poirier Courbet

Psychosociologue, écrivaine engagée sur l'altermondialisme et l'émancipation

Abonné·e de Mediapart

Se reconstruire après un viol

A l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences sexuelles, découvrez l'essai de Lise Poirier Courbet, chemins de reconstruction après un viol. Cet essai est un livre qui donne espoir, au croisement de l'histoire personnelle et familiale et du contexte socio-historique. Il aborde les conséquences comme la manière de s'en sortir et participe du combat contre l'impunité.

Lise Poirier Courbet (avatar)

Lise Poirier Courbet

Psychosociologue, écrivaine engagée sur l'altermondialisme et l'émancipation

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je suis Lise Poirier Courbet, sociologue clinicienne, auteure d’un essai intitulé vivre après un viol, chemins de reconstruction publiée le 24 septembre aux éditions Erès, préfacé par Clémentine Autain. Vous pouvez consulter allez écouter sur le site lisepoiriercourbet.fr une vidéo de l’intervention de Clémentine Autain préfacière.

Ce fut un travail de longue haleine, deux enquêtes à dix ans d’intervalle, un travail qui se veut un message d’espoir et de mobilisation face aux violences sexuelles contre les femmes, contre le viol.

Les femmes victimes de viols disent souvent : «  Pourquoi ramener à la surface cette saloperie, ce truc, cet événement tragique. Nous avons déjà assez souffert et c’est déjà  insupportable d’avoir été violée et de porter au fond de soi cette souffrance là encore et encore… »Alors le refus survient, l’envie d’oublier et de se taire, faire comme si cela n’avait jamais existé.  On se confronte alors soit à la volonté d’oublier soit, au ressassement, à l’impossibilité d’oublier. Il y aussi la difficulté à être entendue, écoutée.

C’est pourquoi dans mon premier travail de recherche, j’ai utilisé le terme de dialectique des silences, préférer taire, oublier car si jamais on ose parler il faut affronter le risque de la gêne, de la non écoute voire des paroles blessantes et ou « stigmatisantes », porter sur votre front le bandeau femme violée, femme foutue. Heureusement il y a aussi les paroles qui réparent qui soutiennent. Le père d’Audrey dit «si tu le prends comme ça on le prendra tous comme ça», ce qui voulait dire sans honte, le frère d’Eva dit « j’ai confiance en toi parce que c’est toi ». Ce sont des paroles qui reconnaissent l’autre dans sa souffrance.

Le titre du premier chapitre de ce livre, vivre après un viol, est  Aurais-je  une dette et une promesse à honorer ? Dette et ou promesse qui fut longtemps inconsciente et sans doute mise à jour à l’occasion de ces recherches et ces écrits. Ces mots qu’il a fallu faire émerger, pas à pas, c’est ce que je nomme maintenant un savoir-violé, en analogie avec le terme savoir-déporté forgé par Anne lise Stern, déportée à Auschwitz, survivante puis psychanalyste. C’est un savoir qu’on aimerait mieux ne pas connaitre, un savoir sur la confrontation à la mort, la violence, la cruauté, au Mal humain, celui qui réduit l’autre à l’état d’objet. Certaines femmes disent « un bout de viande »….Ce savoir est un savoir existentiel et expérientiel.

Mais dans cette tribune de présentation je souhaite me tourner prioritairement vers ce qui aide à s’en sortir, vers les chemins de reconstruction et ce que ça nous apprend, aux femmes concernées mais aussi à leur entourage et à tout humain, ce que ça nous apprend sur ce qui fait humanité face au Mal. Ce savoir violé, un savoir d’expérience et existentiel nous apprend sur les conséquences d’un viol, je pense à la dissociation la coupure d’avec les émotions, la perte des repères spatio-temporelles, la mésestime de soi, la honte et la culpabilité parfois souvent, un avant et un après radical, avant on avait confiance après pas du tout, y compris dans le langage et la parole des autres. Si comme le raconte Eva, le violeur a pu tout en vous menaçant avec un couteau à la main dire « tu sens la rose » alors comment reprendre confiance dans le langage même ?

Je souhaite surtout insister les chemins de reconstruction, chemins que les femmes ont inventé à partir d’une alchimie de moyens, au croisement du singulier et du collectif, au croisement de leur histoire personnelle et familiale et du social, contexte social qui dépend du  statut des femme à un moment donné, historique.  Aujourd’hui on peut dire encore que la France est un pays de silence car seulement 10% des femmes osent porter plainte et 4% seulement ont accès au procès. Alors oui il faut oser porter plainte oser se mobiliser pour sortir de ce silence qui signe au final une victoire sur la mémoire collective et qui signifie une impunité des auteurs de viol. Pour en revenir aux chemins de reconstruction, les huit femmes interviewées ont construit des scénarios d'étayages, de démarches pour survivre dans un premier temps, vivre avec dans un deuxième temps.  Cependant, parler de scénario, de chemin de reconstruction ne doit pas nous faire tomber dans l’illusion qu’il y aurait une maîtrise possible, rationnel comme si on pouvait utiliser une “  panoplie d’outils à sa disposition ”. C’est souvent dans l’errance, le tâtonnement, l’essai-erreur, l’apprivoisement des effets, que se construisent le  dépassement et la reconstruction.  

Cependant j’ai pu identifier quatre perspectives pour s’en sortir. Je ne partage pas une forme d’assignation des femmes à une standardisation des effets syndrome phobique, dissociatif, oui la peur existe, oui la culpabilité existe mais la manière dont ces conséquences se manifestent est toujours singulière et la manière de se reconstruire aussi. Cela n’empêche pas que plus ou moins les femmes victimes passent par ces points cruciaux, que j’ai appelé perspectives

1.      Avoir été reconnue comme victime par une institution, un procès ou par un groupes tiers qui fait microsociété, ou une personne légitime qui vous écoute vraiment

2.      Déconstruire, desserrer les nœuds du traumatisme et élaborer un récit

3.      Reprendre confiance dans la vie et rendre visible à ses propres yeux son chemin, le travail oblige à faire face, reprendre confiance dans l’autre, dans l’amour, l’amitié qui réparent …

4.      Vouloir et en faire quelque chose, redevenir sujet, de sa vie, de sa propre histoire, retrouver du pouvoir d’agir sur soi et sur la société, transformer la blessure par l’art, l’engagement associatif….

Je veux terminer  par une note personnelle. En tant que victime à seize dans d’un viol par un locataire de mes parents, en tant qu’auteure, ce fut pour moi un chemin, une traversée titanesque, un chemin de Sisyphe. Mais j’ai eu la chance de rencontrer des personnes bienveillantes, l’amour. Ce chemin m’a permis de grandir dans ma propre vie et comme je l’écris dans l’épilogue « c’est l’espace bleu entre les nuages », on pourrait dire aussi  entre les orages.

Pour nous les femmes, ce combat contre le viol, contre toute violence à l’égard des femmes reste un combat d’émancipation pour notre liberté de circuler dans l’espace public, contre la peur de l’autre, pour une victoire contre l’impunité des auteurs de violences.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.