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Billet de blog 20 avril 2015

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Migration, éthique, et politique

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cela fait une dizaine de jours que je préparais une intervention dans le cadre d’un séminaire de philosophie politique sur les rapports entre éthique et politique chez Castoriadis. Question précise et sans doute inutile, charabia académique. Jusqu’à un certain point. Son charabia a quelque chose de pratique, et d’actuel. Il parle du tragique de l’existence, qui noue au plus serré les rapports entre éthique et politique. Entre la recherche du juste, du bien, et les décisions sur l’organisation de notre vie collective - qui ne s’épuisent jamais, ni l’une ni l’autre.

Le tragique de l’homme, c’est d’avoir à prendre des décisions qui auront des conséquences, d’intervenir, sans qu’aucune doctrine religieuse ou morale ne garantisse le Bien (ni le Mal) des conséquences à venir. C’est de devoir juger, penser, agir, dans des contextes toujours ambivalents - tout en visant le juste, le bien, le beau. Et de pouvoir, de devoir, revenir sur les décisions prises au regard de leurs conséquences.

Comment ne pas trouver une illustration dramatique de ce fait dans les évènements migratoires qui ponctuent l’actualité récente? Rendre hommage, faire honneur à ces vies humaines dont l’espoir d’autonomie a été brisé, volé, c’est au minimum réfléchir et délibérer sur ce qui tient à nous - celles de nos politiques, de nos normes et de nos représentations, qui participent et rendent possibles de tels évènements. 

Sommes-nous responsables, avons-nous une influence, collectivement, sur l’afflux même d’immigrants vers l’Europe? En partie, par la politique internationale récente et désastreuse de l’Europe dont les « doubles standards » empêchent parfois la résolution de conflits ou le recul de  la pauvreté dans certaines régions d’Afrique (du nord, de l’est, centrale, …). Sommes-nous responsables, avons-nous une influence, collectivement, sur la manière dont ces migrants en détresse arrivent sur nos côtes européennes? Certainement, par les politiques d’attributions des visas, qui répondent à des logiques racistes et classistes, en considérant tout étranger, encore plus s’il est pauvre, comme un danger pour nos pays prétendument accueillants. Pensons-nous vraiment que quiconque dépenserait une fortune pour passer en Italie ou en Grèce, de manière illégale et face à tous les périls de la mer, de la corruption et de la vénalité des passeurs, s’il ou elle avait la possibilité d’acheter un billet d’avion et d’obtenir un visa, même touristique - le temps d’envisager plus sereinement son avenir et sa sécurité immédiate? 

Sommes nous responsables, avons-nous une influence, même individuelle, sur l’état d’esprit même de nos sphères publiques qui rendent possible l’élaboration et l’application de telles politiques classistes et racistes ? Oui, chaque fois que nous succombons aux alarmes de la peur plutôt que de laisser entendre une curiosité généreuse, chaque fois que nous laissons une place pour un préjugé « pas si faux » sur le caractère « irrémédiable » de différences culturelles, qui constitueraient « toutes mises ensemble » un péril immense pour nos sociétés. Le premier péril, en réalité, est de se laisser, en privé, à la duplicité qui a trop souvent lieu, en public : ne réserver les valeurs d’égalité, de respect, de liberté qu’aux enfants de « notre terre », soi-disant les seuls à compter, ou les seuls sur lesquels nous aurions une prise. 

Certes, changer ces politiques migratoires et cette ambiance culturelle ne se fera pas « sans coût » . Sans doute, nous retrouverons-nous face à de nouvelles situations impossibles, et l’on ne peut pas anticiper exactement quelles seraient les conséquences de telles politiques. Mais ce que l’on sait avec certitude, c’est que maintenir la politique actuelle mènera à de nouveaux chavirages, à de nouvelles rancoeurs entre citoyens d’Europe, et face aux citoyens d’ailleurs. Le pire ne se loge sans doute pas dans la tanière que désigne l’ambiance médiatique au quotidien.

Prendre en compte les conséquences politiques d’une cohérence éthique. Pour toutes ces raisons, jeudi, à 17h, je serai place du Luxembourg à Bruxelles. Et je vous y invite.

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