Liszt Vieira

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 novembre 2023

Liszt Vieira

Abonné·e de Mediapart

Les vrais responsables du génocide indigène au Roraima

Le territoire Yanomami est victime depuis des décennies des agissements des orpailleurs clandestins. En 2022, la dévastation a atteint 54 % de ces terres. Pour légitimer l'occupation de l'exploitation minière illégale sur les terres Yanomami, l’ancien ministre de la Justice, Sergio Moro, a soumis un projet de loi dans le but d'autoriser l'exploitation minière dans les réserves indigènes. Ce projet de loi contenait un paragraphe assassin. 

Liszt Vieira

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au Brésil, ce que la loi détermine, l’amendement l'efface (Glauber Rocha)

Le territoire Yanomami est victime depuis des décennies des agissements des orpailleurs clandestins. En 2022, la dévastation a atteint 54 % de ces terres – un scénario qui a connu quelques améliorations avec les mesures prises par l’actuel gouvernement depuis janvier de 2023. L'invasion de l’orpaillage prédateur, outre son impact sur l'accroissement des maladies chez les Indiens, provoque de la violence, des conflits armés et dévaste l'environnement – avec l’augmentation de la déforestation, de la pollution des rivières due à l'utilisation de mercure et de graves dommages sur la faune – impactant les ressources naturelles essentielles à la survie des peuples autochtones de la forêt.

Pour légitimer l'occupation de l'exploitation minière illégale sur les terres Yanomami, l’ancien ministre de la Justice, Sérgio Moro, a soumis le projet de loi n° 191/2020, dans le but d'autoriser l'exploitation minière dans les réserves indigènes. Ce projet de loi contenait un paragraphe assassin dans son article 14, qui annulait tout le texte de la loi qui mentionnait que le Président de la République devait prendre en compte l’avis des communautés indigènes affectées par l'exploitation minière. Le deuxième paragraphe de cet article 14 disait :

 "La demande d'autorisation peut être accompagnée d'une déclaration contradictoire des communautés autochtones concernées, à condition qu'elle soit motivée."

Au cours de la discussion et de la lecture de ce projet de loi, des milliers de Yanomami ont succombé à l'exploitation minière prédatrice. Le projet a ouvert la porte à la mort et à l’anéantissement des peuples originels de l’Amazonie. L’autorisation de l’exploitation minière, contre la volonté des peuples originels, est non seulement inconstitutionnelle, mais également nuisible. Apparemment, l'usurpation des richesses des terres indigènes était l'une des priorités du projet de pouvoir du gouvernement Bolsonaro, dont Sérgio Moro a été l'architecte et le protagoniste puisqu'il a condamné, sans preuves à l’appui, l'alors ancien président, Lula, afin d’empêcher sa candidature à la présidentielle de 2018.

Une fois revenu au pouvoir, en janvier 2023 le président Lula a officialisé, le 31 mars dernier, la demande de retrait du projet de loi (PL) 191/2020 de la Chambre des députés. Rédigé par le gouvernement Bolsonaro, ce projet avait pour objectif de libéraliser l’exploitation minière, la production hydroélectrique, l’exploration pétrolière et gazière et l’agriculture à grande échelle sur les terres autochtones.

Les accusations de génocide contre les Yanomami sont arrivées à la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui a également reçu des informations faisant état d'abus sexuels en Territoire Yanomami. Les juges du tribunal se sont rendus dans la région d'Auaris, en terre Yanomami, où ils ont entendu les témoignages de dirigeants autochtones vivant dans des communautés touchées par l'exploitation minière illégale.

Les juges de la Cour interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) ont rapporté le 25/10/2023 avoir reçu des dénonciations d'abus sexuels sur des femmes et des jeunes-filles perpétrés par des orpailleurs en Terre Yanomami et doit incomber l'État brésilien de prendre des mesures garantissant la protection des peuples indigènes.

En plus des rapports d'abus sexuels, la Cour a également entendu des témoignages sur des violations de la santé et de la vie des peuples indigènes et – alors qu'ils se dirigeaient vers le territoire avec l'intention de vérifier si le Brésil avait respecté les mesures de sécurité et de protection des peuples autochtones – a constaté d’existence des sites d’orpaillage ouverts par les envahisseurs dans la forêt.

Cette Cour est l'organisme judiciaire autonome chargé d'appliquer et d'interpréter la Convention américaine relative aux Droits de l'homme. Le Brésil a ratifié le Pacte en 1992 et a reconnu la juridiction obligatoire de la Cour en 1998. En d'autres termes, le pays est obligé de se conformer aux mesures demandées. Ses émissaires sont au Brésil pour savoir si l'État garantit la protection des peuples indigènes Yanomami, Yek'uana et Munduruku.

Après avoir rencontré les dirigeants indigènes, la juge Nancy Hernández a déclaré, lors d'une conférence de presse, qu'elle avait reçu « des photos, des vidéos et des informations sur des cas de viols systématiques de femmes et d'enfants » (Cf. Clima Info, 26/10/2023 et « Band news Difusora », 25/10/2023).

En 2022, un rapport de l’Association Hutukara Yanomami (HAY) rapportait déjà que les orpailleurs imposaient des relations sexuelles avec des jeunes-filles et des femmes autochtones comme monnaie d’échange de nourriture en Terre Yanomami. Les dirigeants des communautés de Paapiu, Uxiu, Palimiu, Waikás, Kuratanha et Auaris, toutes touchées par l'exploitation minière illégale, ont été entendus par les juges.

La Cour entend faire pression sur l'État brésilien afin qu'il intensifie ses actions visant à protéger les peuples autochtones qui vivent dans ces communautés. Selon le vice-président de la CIDH, Eduardo Ferrer Mac-Gregor, ces actions cherchent à éviter que la situation ne devienne irrémédiable. Il a déclaré que "les mesures à prendre sont extrêmement graves et urgentes. Aujourd’hui, nous arrivons seulement à respecter les mesures provisoires qui sont contraignantes, donc liées à l'État brésilien".

Plus grand territoire indigène du Brésil, la terre indigène Yanomami traverse une grave crise humanitaire et sanitaire dans laquelle des dizaines d'adultes et d'enfants souffrent de malnutrition sévère et de paludisme. Depuis le 20 janvier dernier, la région est en situation d'urgence de santé publique et, depuis lors, les forces armées, les organismes et agences fédéraux font partie du groupe de travail du gouvernement fédéral crée pour protéger les peuples indigènes de la région. L'opération se déroule au moyen de l’intervention de patrouilles, des fouilles d’individus, de véhicules terrestres, de bateaux et d'avions et des arrestations en flagrant délit.

Au début de cette année, le scandale du génocide des Yanomami a éclaté dans la presse, en particulier dans Brasil 247, qui a mené une campagne de dénonciation : « Ce qui se passe sur les territoires du peuple Yanomami est un véritable génocide programmé par un capitalisme prédateur, qui convoite la vaste région délimitée appartenant à ces peuples originaires, propriétaires légitimes de ces terres, riches en minéraux et avec des zones convoitées par les agriculteurs et les exploitants forestiers. (Milton Alves, Brésil 247, 10/3/2023). « Le massacre des Yanomami était un meurtre planifié dont les bénéficiaires étaient les trafiquants de l'agro-industrie, de l’exploitation minière et forestière » (Gilvandro Filho, 22/01/2023).

"Ce que j'ai vu au Roraima c’était un génocide", a déclaré le président Lula après sa visite de janvier dernier.

« Crime prémédité contre les Yanomami, commis par un gouvernement insensible », a-t-il déclaré le 22/01/2023. À la même occasion, le ministre de la Justice Flavio Dino a ordonné une enquête sur le génocide dans le territoire Yanomami. Mais, en octobre de cette année, le chef Kayapo Raoni a déclaré : " Lula est peu lent vis à vis des questions indigènes. Je vais frapper à sa porte jusqu'à ce que le problème soit résolu". Les chefs Raoni et Davi Kopenawa affirment que le gouvernement tarde à expulser les envahisseurs des réserves (Le journal O Globo, 27/10/2023).

La ministre de l’environnement, Marina Silva, a déclaré que la crise yanomami est d’une « atrocité indescriptible » (le journal Folha de São Paulo, 6/2/2023). En mars, elle s'est rendue dans une région attaquée par des mineurs en terre Yanomami et a évoqué une « dégradation incommensurable » de leur territoire. En août de cette année, à Belém do Pará, la ministre a déclaré que les terres indigènes menacées par des envahisseurs et des activités telles que l’orpaillage illégal devaient être l’objet de nouvelles opérations visant l’expulsion des populations non autochtones. Et elle a publiquement demandé au gouverneur de l’État du Roraima, Antonio Denarium, de cesser d'encourager l'exploitation minière sur les terres indigènes (Portal Roraima 1, du 3/5/2023).

Les principaux responsables du génocide Yanomami sont au nombre de trois. Premièrement, l’ancien président Jair Bolsonaro, dont les crimes n’ont plus besoin d’être présentés. Il considérait le génocide des Yanomami comme un projet de gouvernement. D’ailleurs, à ce jour, reste sans explication la déviation soudaine et imprévue en décembre de l’année dernière, de l’avion présidentiel avec Bolsonaro à son bord, en route vers Miami, et son atterrissage à Roraima. Selon de nombreux observateurs, l'objectif était de chercher de l'or pour le faire entrer aux États-Unis où, comme il s'agissait d'un avion présidentiel, il n'y aurait pas contrôle douanier.

Deux partis politiques, le Parti des Travailleurs (PT) et PSOL ont demandé le Bureau du Procureur général du Brésil (PGR) contre Bolsonaro et l'ancienne ministre Damares Alves pour génocide. Et l'Articulation des Peuples Indigènes du Brésil (APIB) a déposé une plainte pénale auprès du PGR le 26 janvier 2023 contre Bolsonaro et ses alliés, dont l'ancienne ministre de la Femme, Damares Alves.

En deuxième position sur la liste des responsables du génocide se trouve l'ancien ministre Sergio Moro. Auteur du projet de loi qui a facilité l'exploitation minière dans le territoire Yanomami, Moro est considéré par les habitants de Roraima comme « l'esprit juridique derrière le génocide contre les Yanomami » (Brésil 247, 30/03/2023). Son projet de loi 191/2020 a rendu le génocide autochtone légalement viable.

Troisièmement, vient un personnage moins connu. L’État du Roraima est entre les mains d’un gouverneur bolsonariste qui boycotte les projets de reboisement au profit de l’exploitation minière des terres indigènes et des plantations de soja. L'actuel gouverneur Antonio Denarium a, dans un premier temps, bâti sa fortune aux dépens de centaines de personnes à qui il avait octroyé des emprunts usuriers, ce qui a donné origine à d’innombrables procès en justice contre lui. Son avidité matérielle l’a tourné vers la politique. Lors des élections de 2022, il a détourné des ressources destinées à la santé publique et à l’éducation et a dépensé une fortune pour garantir sa réélection. Ses malversations ont plongé l’État du Roraima dans une crise financière sans précédent. Et pour couronner la barbarie génocidaire, Italo Otavio, conseiller municipal de Boa Vista, la capitale de cet État, un proche du gouverneur et du sénateur bolsonariste Mecias de Jesus, a présenté un projet de loi municipal limitant l'accès au système de santé publique aux résidents de cette ville. Une preuve de résidence serait dorénavant nécessaire dans le but d’empêcher les exilés vénézuéliens et les peuples indigènes d’accéder aux soins dans le système de santé publique.

Actuellement, le gouverneur cherche auprès de la Caixa Econômica Federal (Caisse d’épargne) 800 millions de reais afin de se maintenir au pouvoir, depuis l’annulation de son élection par le Tribunal Régional Électoral  (TRE) de Roraima décidée en juillet dernier. Étonnamment, bien qu’ils aient été levés, les attendus ont été remisés dans un tiroir, empêchant que le processus d’annulation ne soit soumis au Tribunal Supérieur Electoral à Brasilia. Cette instance aurait fatalement révoqué le gouverneur de son poste de façon définitive. L'affaire est donc bloquée au TER de Roraime et ne devrait pas pouvoir parvenir au Tribunal Supérieur avant la fin 2023. (Portal O Poder, 27/10/2023).

Le génocide des Yanomami compte sur le soutien direct du gouverneur Antonio Denarium, qui a toujours favorisé ou couvert le massacre des peuples autochtones, la déforestation, l’orpaillage clandestin source de pollution des rivières. Tôt ou tard, lui, ainsi que Bolsonaro et Moro, seront tenus pour responsables de leurs crimes. Cela prendra du temps, comme toujours dans les procédures judiciaires, surtout au Brésil. Mais la visite de la Commission des Droits de l'Homme qui a recueilli des preuves du génocide yanomami constitue une étape importante pour poursuivre en justice et condamner ces trois criminels, directement responsables du génocide indigène du Roraima.

Liszt Vieira – Professeur et Docteur en Sociologie, ancien député du Parti du Travailleur (PT) à Rio de Janeiro, Défenseur Public (en retraite), ancien réfugié politique en France pendant la dictature militaire au Brésil, Coordinateur du Forum International des ONGs auprès du Forum Global de la Conférence Rio-92 sur l’Environnement et le Développement.

Traduction : Claudia Poncioni

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.