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Billet de blog 2 octobre 2024

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Le miroir que Gisèle Pélicot offre à notre société

Le 12 septembre 2020, Dominique Pélicot est arrêté par l’agent de sécurité d’un supermarché, alors que celui-ci le surprend en train de filmer sous la jupe de plusieurs clientes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Arrêté et placé en garde à vue, les policiers décident d’inspecter le matériel informatique saisi à son domicile. Ils découvrent des conversations que Dominique Pélicot menait avec d’autres hommes dans un fil de discussion nommé « À SON INSU ». C’est de cette manière que pendant plus de 10 ans, Dominique Pélicot a pu recruter des hommes afin de venir abuser de sa femme inconsciente, sédatée aux anxiolytiques, sans être inquiété par la justice ou par des signalements de la part d’autres utilisateurs du site Coco. 

Sur les conversations certains s’interrogent  "Tu la fais tester quand même de temps en temps ?" "Elle ne se doute de rien ?"

Dispersés dans plusieurs clefs USB et disques durs, les policiers trouvent près de 20000 photos et vidéos minutieusement documentées et collectionnées par le mari, aux titres suggestifs et évocateurs tels que “ABUS”, “Ma salope doigtée par Richard”, “Pipe moi”. Dans ces dossiers, les photos d’une femme inerte parfois nue ou en tenue légère, mais aussi quelques vidéos des 200 viols qu’a subi Gisèle Pélicot par plus de 90 hommes entre 2011 et 2020. 

Les procès de Mazan se sont ouverts publiquement le 2 septembre dernier. Cette affaire, dans laquelle comparaissent 51 hommes de tout âges et de tout horizons économiques et sociaux est rapidement devenue l’incarnation de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes contre les femmes, mais interroge particulièrement notre société sur la banalité du mal. 

"Ils me considèrent comme une poupée de chiffon."

Ils sont plombiers, journalistes, pompiers, infirmiers, ouvriers, militaires mariés avec enfants ou célibataires âgés de 22 à 76 ans, ils dressent ensemble le portrait d’une France rurale de classe moyenne. On entend dire que ce ne sont pas des “monstres en puissance”, mais les monstres n’ont pas de visage quand le mal est ordinaire. Les agressions qui ont été autorisées par le mari et menées sur une femme endormie illustrent la manière dont le sexe est intimement pensé comme un rapport de domination et d’appropriation du corps de la femme. Selon Gisèle Pélicot, “le corps est chaud, pas froid, mais je suis morte sur mon lit.”

Ils ont tous été piégés, dupés, manipulés, mais aujourd’hui très peu se reconnaissent coupable. 

"Je ne me suis pas posé la question une seule fois."

Joan K. avoue ne jamais s’être soucié du consentement de Gisèle Pélicot. La plupart des accusés admettent s'être suffit de l’autorisation de Dominique. P comme permission d’attouchements sur sa femme. Malgré les doutes, aucun n’a pensé à lui parler directement. D’autres ont parfois réalisé, mais expliquent n’avoir pas su s'arrêter. 

Pas un seul n'a tenté d’alerter la police lorsqu’ils découvraient Gisèle Pélicot inconsciente, la bouche béante sur le lit conjugal. 

En dépit des preuves matérielles de la culpabilité des accusés, 35 d'entre eux reconnaissent la matérialité des faits, mais pas l’intention. Face à l’une des vidéos sur lequel il apparaît, l’un d’entre eux reconnaît « Enfin, c’est un viol mais je ne l’ai pas violée. » 

L’argument de la défense repose une inversion des paradigmes, où le violeur ne donnerait pas son consentement pour un viol, en perpétuant ainsi la culture de victimisation des aggresseurs, alors que les avocats de la défense n’ont pas hésité à interroger Gisèle Pélicot sur ses  “penchants exhibitionniste”, en discutant le degré de conscience de celle-ci sur les photos. 

 "J’ai été sacrifiée sur l’autel du vice."

Violence des pratiques sexuelles, soumission chimique, omerta. Les procès de Mazan, ce sont les procès de l’objectivation de la femme et de la culture du viol. 

Pendant 10 ans, Gisèle Pélicot accusait de pertes de mémoire, d’épisodes de fatigues anormales. Les médecins ne parvenaient pas à expliquer les troubles dont était victime Gisèle Pélicot. 

On connaît la méthodologie de l’agresseur par des échanges retrouvés sur ses appareils électroniques. Dominique P. pouvait lui administrer jusqu’à dix comprimés d’un puissant anxiolytique dissimulés dans sa nourriture. Selon un expert, une telle dose plongeait la victime dans un sommeil profond, proche du coma, qui aurait pu engager son pronostic vital. En l’espace d’une seule année, 450 cachets ont été prescrits à Dominique Pélicot. 

"J’étais anesthésiée, comme quand on va au bloc opératoire, après, vous ne vous souvenez pas de l’opération”. 

Les procès de Mazan lèvent le voile sur la pratique si courante et pourtant si méconnue de la soumission chimique, alors qu’on recense 2000 signalements pour l’année 2022 concernant l’usage de substances dans l’objectif de faciliter une agression sexuelle. 

En refusant le huis-clos, en autorisant la diffusion des vidéos de ses viols dans la salle d’audience en sa présence, Gisèle Pélicot se tient courageusement devant pour tendre un miroir à notre société. Elle nous force tous et toutes à confronter nos pratiques personnelles, à interroger nos acquis, à défaire nos structures idéologiques.  

Parce que la violence sexuelle est systémique, parce que tous les chemins mènent à Mazan. 

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