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Billet de blog 18 août 2014

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Résidence au Camp nou

Toutes les conditions sont réunies pour désaimer le football d’aujourd’hui surmené par l’argent. Pourtant, je reste à table. Toutefois à une seule table. Celle de « mon » club, le Barça.

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Toutes les conditions sont réunies pour désaimer le football d’aujourd’hui surmené par l’argent. Pourtant, je reste à table. Toutefois à une seule table. Celle de « mon » club, le Barça. La pelouse était celle île verte entourée d’une rambarde où les gardiens de but avaient leur place de stationnement réservée devant la cage, un rond d’humus granuleux au marron retourné par les pieds postés dans l’attente d’une attaque. Il y a quelques mois, j’ai revu l’une de ces îles, à Meyssac, dans les collines corréziennes, en Limousin. C’était un jour mouillé et gras d’avril, sans personne à l’entour, un panneau à la porte du vestiaire clos annonçait le match du dimanche suivant contre Brignac-la-Plaine. En face, avec la perspective, les planches grises des cabanes servant d’ateliers disparaissaient dans le creux du ruisseau. J’avais dû marquer en ce lieu un but, ou le manquer, en présence de papa, la seule fois où il était venu suivre un match à l’extérieur, un dimanche de printemps, au bout de mille virages dans les grés vermeils, vingt kilomètres depuis Brive après qu’on a dépassé Collonges-la-Rouge, un des plus beaux villages de France. Nous revêtions un maillot jaune orné d’une étoile bleue. En semaine, nous lacions les chaussures, en n’omettant pas de déplacer le noeud sur le côté extérieur s’il tombait sur l’empeigne, dans le stade Le Clère bordé par la rivière, la Corrèze aux reflets de métal, laquelle un jour de 1960 avait tout noyé et avait emporté les armoires du vestiaire.

Depuis ma place au premier rang du Camp nou, parmi « les croisés unanimes » allés au stade comme un seul homme, je suis débarrassé du réflexe stupide de demander pardon de me trouver là au lieu de suivre un opéra au Liceu. Quelque amie ou ami va bien me dire « Tu ne vas pas m’en faire croquer » lorsque je lui annoncerai cette chronique. On demeure à jamais en dette des meilleurs jours anciens, et l’un d’eux est celui où papa, je ne saurais donner ni l’heure ni le jour ni l’année, évoqua pour la première fois, avec assez de conviction pour que je le cloue à mon coeur, le nom du club de la terre dont il était banni. Il avait adopté un ton gai, ça je m’en souviens bien aussi, lui qui était plutôt empreint de gravité probablement à cause de ses deux guerres, de sa déportation et de son exil forcé. Il est jusqu’à maman qui rapportait de ses voyages en Catalogne à l’intention de ses petits-enfants garçons, un fanion ou bien un maillot bleu et grenat accompagné d’une enveloppe de tourons. On est de qui on naît, voilà tout.

Certains soirs au Camp nou, avant que le match ne commence, flottant à égale distance de toutes choses, et ainsi établi dans un état d’équilibre qu’on nomme insouciance, je suis transporté par la force du ressouvenir pour un temps dont je suis éloigné désormais de six cents kilomètres. Un petit clapet que j’ai dans la tête se soulève, à son ouverture surgissent l’herbe fraîchement coupée au retour des vacances à la fin des mois d’août, les lignes de craie rétablies, les premiers entraînements de reprise, les ballons partagés avec gourmandise, les frôlements aux chevilles, la leste invincibilité après la réussite d’un « petit pont », et ce mijoté me porte au silence alors qu’une pointe de joie très aigue est en train de gagner tout le stade. C’est un état bien étrange que de se sentir dans deux « dedans » à la fois, le passé ressuscité par le présent, et d’attendre au bord du décompte des quatre-vingt-dix minutes, bien plus qu’une victoire : du beau jeu. Arabesques dignes d’un Noureev, - comme de ce point de vue nous fûmes gâtés avec Ronaldinho ! -, définitions multiples du mot « intelligence » dans le dictionnaire rédigé par Xavi, etc.

Je vais manquer la rentrée de la Liga. Justement, je serai parti croquer dans mes racines, à Brive-la-Gaillarde, où l’Étoile Sportive évolue maintenant à un rang obscur, dans un autre espace que le stade Le Clère. Dimanche prochain, nous jouons donc contre Elche qui vient sans sa Dame mais avec des joueurs préparés pour perdre par le plus petit écart possible. C’est ainsi que mon voisin voit les choses. En vérité, j’ignore tout de cet adversaire. Je ne suis plus un journaliste de sport, - je le fus -, mais un résidant du Camp nou, un « soci », avec son écharpe, la même que celle du ténor Josep Carreras, un « soci » donc, une sorte de copropiétaire du Camp nou avec son siège à vie, à dix mètres de la ligne blanche, qui ne suit que l’actualité des siens, Real Madrid excepté en raison d’une inimitié profonde et réfractaire au plus puissant des dissolvants. Il faut toujours savoir de son principal adversaire, voire ennemi les jours chauds.

J’éprouve cette saison des gros doutes sur mon équipe. Mais le doute est consubstantiel au « soci ». Il sera temps d’en parler, ou pas, la prochaine fois.

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